Page images
PDF
EPUB

moi-même; c'est que tu sais mieux aimer que moi. Oui, ma Julie, c'est bien toi qui fais ma vie et mon être; je t'adore bien de toutes les facultés de mon ame; mais la tienne est plus aimante, l'amour l'a plus profondément pénétrée; on le voit, on le sent; c'est lui qui anime tes grâces, qui règne dans tes discours, qui donne à tes yeux cette douceur pénétrante, à ta voix ces accens si touchans; c'est lui qui, par sa seule présence, communique aux autres cœurs, sans qu'ils s'en aperçoivent, la tendre émotion du tien. Que je suis loin de cet être charmant qui se suffit à lui même! je veux jouir, et tu veux aimer ; j'ai des transports, et toi de la passion; tous mes emportemens ne valent pas ta délicieuse langueur, et le sentiment dont ton cœur se nourrit est la seule félicité suprême. Ce n'est que d'hier seulement que j'ai goûté cette volupté si pure. Tu m'as laissé quelque chose de ce charme inconcevable qui est en toi, et je crois qu'avec ta douce haleine tu m'inspirais une ame nouvelle. Hâte-toi, je t'en conjure, d'achever ton ouvrage. Prends de la mienne tout ce qui m'en reste, et mets tout-à-fait la tienne à la place. Non, beauté d'ange, ame céleste, il n'y a que des sentimens comme les tiens qui puissent honorer tes attraits. Toi seule es digne d'inspirer un parfait amour, toi seule est

propre

à le sentir. Ah! donne moi ton cœur,

ma Julie, pour t'aimer comme tu le mérites! (86)

PHILOSOPHIE.

I. (87)

CE monde-ci n'est qu'une œuvre comique

Où chacun fait ses rôles différens.

Là, sur la scène, en habit dramatique
Brillent prélats, ministres, conquérans.
Pour nous vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous d'en bas la pièce est écoutée.
Mais nous payons, utiles spectateurs ;
Et quand la farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs. (88)

Q

II. (89)

UEL sentiment délicieux j'éprouve en commençant cette lettre! Voici la première fois de ma vie où j'ai pu vous écrire sans crainte et sans honte. Je m'honore de l'amitié qui nous joint comme d'un retour sans exemple. On étouffe de grandes passions; rarement on les épure. Oublier ce qui nous fut cher quand l'honneur le veut, c'est l'effort d'un ame honnête et commune; mais après avoir été ce que nous fûmes, être ce que nous sommes aujourd'hui, voilà le vrai triomphe de la vertu.

Aurions-nous jamais fait ce progrès par nos seules forces? Jamais, jamais, mon bon ami, le tenter même était une témérité. Nous fuir était pour nous la première loi du devoir, que rien ne nous eût permis d'enfreindre. Nous nous serions toujours estimés, sans doute; mais nous aurions cessé de nous voir, de nous écrire; nous nous serions efforcés de ne plus penser l'un à l'autre, et le plus grand honneur que nous pouvions nous rendre mutuellement était de rompre tout commerce entre nous.

Voyez, au lieu de cela, quelle est notre situation présente. En est-il au monde une plus agréable, et ne goûtons-nous pas mille fois le jour le prix des combats qu'elle nous à coûtés? Se voir, s'aimer, le sentir, s'en féliciter, passer les jours ensemble dans la familiarité fraternelle et dans la paix de l'innocence, s'occuper l'un de l'autre, y penser sans remords, en parler sans rougir, et s'honorer à ses propres yeux du même attachement qu'on s'est si longtemps reproché, voilà le point où nous en sommes. O ami! quelle carrière d'honneur nous avons déjà parcourue!

A qui devons-nous un bonheur si rare? Vous le savez. J'ai vu votre cœur sensible, plein des bienfaits du meilleur des hommes, aimer à s'en pénétrer; . .

[ocr errors]

Payons

de nos vertus celles de notre bienfaiteur.

Ce n'est point de moi qu'il est question, c'est de vous; je me crois plus en droit de vous donner des conseils depuis qu'ils sont tout-àfait désintéressés et que n'ayant plus ma sûreté pour objet ils ne se rapportent qu'à vous-même.

O bon jeune homme! si vous aimez la vertu, écoutez d'une oreille chaste les conseils de

votre amie. Elle commence en tremblant un discours qu'elle voudrait taire; mais comment le taire sans vous trahir? Sera-t-il temps de voir les objets que vous devez craindre quand ils vous auront égaré? Non, mon ami, je suis la seule personne au monde assez familière avec yous pour vous les présenter. N'ai-je pas le droit de vous parler au besoin comme une sœur, comme une mère? Ah! si les leçons d'un cœur honnête étaient capables de souiller le vôtre, il y a long-temps que je n'en aurais plus à vous donner.

Votre carrière, dites vous, est finie. Mais convenez qu'elle est finie avant l'âge. L'amour est éteint; les sens lui survivent, et leur délire est d'autant plus à craindre, que le seul sentiment qui le bornait n'existant plus, tout est occasion de chûte à qui ne tient à rien. Un homme ardent et sensible, jeune et garçon, veut être continent et chaste; il sait, il sent, il l'a dit mille fois, que la force de l'ame qui produit toutes les vertus tient à la pureté qui les nourrit toutes. . Quel genre de vie a choisi cet homme sage pour suivre les lois qu'il se prescrit ? dérobe-t-il aux occasions dangereuses? Fuitil les objets capables de l'émouvoir ? Fait-il d'un humble défiance de lui-même la sauve

[ocr errors]
[ocr errors]

Se

« PreviousContinue »