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ON

PREFACE.

N a long-temps agité la question de la prééminence entre les différentes littératures; et, comme il arrive presque toujours dans tout ce qui appartient au genre polémique, on n'a pas manqué d'employer dans cette discussion tout ce que l'esprit de parti et l'égoïsme national peuvent suggérer de plus passionné.

Certain auteur obscur a cru devoir faire amende honorable du blâme (a) qu'il a retiré d'avoir lu Buffon, Racine, Molière, Voltaire, La Bruyère, La Fontaine, tous nos classiques enfin.

Un écrivain des plus recommandables, et assez modéré dans ses opinions, l'auteur des Leçons de Rhétorique et de Belles-Lettres, s'est d'abord déclaré en notre faveur; mais après avoir rendu hommage à la précision et à la perfection grammaticale de notre langue (b) dont il

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admet la supériorité dans tout ce qui est relatif à la sociabilité (c), après nous avoir accordé la palme littéraire dans le Style Épistolaire (d) et dans l'Éloquence de la Chaire (e) et du Barreau (f), et avoir reconnu dans Molière le premier des Comiques anciens et modernes (g), il nie que la langue Française soit propre aux sujets relevés (h); et malgré une espèce de retour sur lui-même qui lui fait cependant avouer que si les Anglais ont plus de feu les Français ont plus de correction (i), par la plus grande des inconséquences, il finit par nous préférer, dans la Tragédie, le monstrueux Shakspeare, dont il ne craint pas ensuite de faire lui-même la satire dans les termes les plus amers. (k)

A l'exemple du docteur Blair, quelques autres auteurs et critiques ont avoué la prééminence de la Littérature Française, mais presque tous comme le savant professeur d'Edimbourg : avec quelques

restrictions intéressées, et en payant le tribut à l'amour-propre national.

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Plus juste qu'eux tous, après avoir fait sentir que le mérite d'une langue consiste bien moins dans la vaine harmonie des sons, que dans la juste, claire et énergique représentation des idées, le premier littérateur de l'Italie, le célèbre Cesarotti, ne fait point de difficulté de dire en propres termes, avec cette franchise qui caractérise l'homme impartial: « Je n'ai parlé de la langue Française qu'autant que le sujet l'exigeait; mais, quoique je ne me sois pas toujours » borné à en dire du bien, je ne pouvais sans commettre une injustice et une » bassesse, m'empêcher d'indiquer les > beautés particulières par lesquelles ses grands écrivains l'ont rendue jusqu'à présent supérieure à la nôtre. » (1)

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»

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Si nous voulions établir ici un parallèle dans lequel il ne serait pas difficile de prouver que nos grands écrivains ont

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su tirer de notre langue des beautés, que l'on peut, avec avantage, opposer à tout ce que les anciens ont de mieux, et que les modernes ne sauraient balancer dans leur totalité, nous pourrions, à notre tour, tracer ici un espèce de tableau, et, de l'aveu de tous les gens de goût, montrer

Bossuet et Mirabeau à côté de Démosthène ;
Massillon et J. J. Rousseau côté de Cicéron;
Fénélon à côté de Xénophon;

Montesquieu au-dessus de Machiavel;

Buffon au-dessus de Pline;

Delille placé par la reconnaissance immédiatement après l'auteur des Géorgiques, comme Cesarotti l'est après l'auteur de l'Iliade (m). Et quoique nous n'ayons personne à opposer à Homère, à Virgile, au Tasse, à Milton et à Klopstock dans le Poëme Épique (n); ni à Hérodote Thucydide, Tacite, Tite-Live, Müller, Hume et Guicciardini dans l'Histoire, nous pourrions, reprenant tous nos avantages, placer

Boileau à côté d'Horace, et au-dessus de Pope; Corneille et Voltaire à côté d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, de Shakspeare et d'Alfieri; et Racine au-dessus d'eux tous;

Molière au-dessus de Plaute et de Térence parmi les anciens, et sans rivaux parmi les modernes (0); J. B. Rousseau à côté de Pindare;

La Bruyère au-dessus de Théophraste;

Montaigne au-dessus, et Nicole et la Rochefoucauld à côté de Sénèque;

Saint-Lambert à côté d'Hésiode, et au- dessus de Thomson et de Parini;

Bernard à côté d'Ovide;

L'auteur de la Nouvelle Héloïse, Bernardin de Saint-Pierre et Madame de Staël, à côté de Richardson;

Lesage et Mesdames de Genlis et de Montolieu, à côté de Fielding, Wieland et Goëthe.

L'auteur de Candide à côté de Swift (p)

Et La Fontaine et Madame de Sévigné, seuls, chacun dans leur genre, comme étant au-dessus de toute comparaison (q).

Mais aussi nos voisins pourraient nous récuser, et ainsi je crois qu'il vaut mieux faire plaider la cause des Français par nos grands écrivains eux-mêmes, et c'est ce que je vais faire. Que Messieurs les Littérateurs étrangers en fassent autant de leur côté, et la question est à jamais décidée.

Quant à la supériorité des langues considérées comme simples moyens représentatifs du langage; c'est une question oiseuse, digne de la vanité pédantesque des demi-savans. La première de toutes les langues, c'est celle qui a le plus de chefs-d'œuvre.

Au reste, mon intention n'ayant pas été de faire ni un traité de rhétorique, ni un cours de littérature, mais seulement un veni mecum où les grands puissent quelquefois jeter les yeux sans crainte de s'ennuyer, et les savans prendre leurs

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