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CATILINA EST AUX PORTES DE ROME, ET L'ON
DÉLIBÈRE ! Et certes, il n'y avait autour de nous
ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome...
Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideuse
banqueroute est-là; elle menace de consumer
vous, vos propriétés, votre honneur
vous délibérez! (50)

II. (51)

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et

Que faisons-nous, Romains,

Dit-il, et quel démon nous fait venir aux mains?
Souffrons que la raison éclaire enfin nos ames:
Nous sommes vos voisins, nos filles sont vos femmes,
Et l'Hymen nous a joints par tant et tant de nœuds,
Qu'il est peu de vos fils qui ne soient nos neveux.
Nous ne sommes qu'un sang et qu'un peuple en deux villes,
Pourquoi nous déchirer par des guerres civiles,
Où la mort des vaincus affaiblit les vainqueurs,
Et le plus beau triomphe est arrosé de pleurs?
Nos ennemis communs attendent avec joie
Qu'un des partis défait leur donne l'autre en proie,
Lassé, demi-rompu, vainqueur, mais pour tout fruit!
Dénué d'un secours par lui-même détruit.

Ils ont assez long-temps joui de nos divorces:
Contre eux dorénavant joignons toutes nos forces,

Et noyons dans l'oubli ces petits différends,
Qui de si bons guerriers font de mauvais parens,
Que si l'ambition de commander aux autres
Fait marcher aujourd'hui vos troupes et les nôtres,
Pourvu qu'à moins de sang nous voulions l'appaiser,
Elle nous unira, loin de nous diviser.
Nommons des combattans pour la cause commune,
Que chaque Peuple aux siens attache sa fortune;
Et suivant ce que d'eux ordonnera le sort,
Que le faible parti prenne loi du plus fort.
Mais sans indignité pour des guerriers si braves,
Qu'ils deviennent sujets sans devenir esclaves,
Sans honte, sans tribut, et sans autre rigueur
Que de suivre en tous lieux les drapeaux du vainqueur:
Ainsi nos deux états ne feront qu'un Empire. (52)

III. (53)

MITHRIDATE.

JE fuis: ainsi le veut la fortune ennemie.'
Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie
Pour croire que long-temps, soigneux de me cacher,
J'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher.

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La guerre a ses faveurs ainsi que ses disgraces
Déjà plus d'une fois retournant sur mes traces,
Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
Tenait après son char un vain peuple occupé,
Et, gravant en airain ses frêles avantages,
De mes états conquis enchaînait les images,
Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener la terreur du fond de ces marais,
Et chassant les Romains de l'Asie étonnée,
Renverser en un jour l'ouvrage d'une année.
D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé
Ne peut plus soutenir leur effort redoublé;
Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains que la
enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,

guerre

Le bruit de nos trésors les a tous attirés;

Ils

y courent en foule, et, jaloux l'un et l'autre, Désertent leur pays pour inonder le nôtre. Moi seul je leur résiste : ou lassés, ou soumis, Ma funeste amitié pèse à tous mes amis; Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête. Le grand nom de Pompée assure sa conquête; C'est l'effroi de l'Asie; et loin de l'y chercher', C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher.

Ce dessein vous surprend ; et vous croyez peut-être Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître.

J'excuse votre erreur : et, pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que de cette contrée
Par d'éternels remparts Rome soit séparée :
Je sais tous les chemins par où je dois passer;
Et, si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus loin l'effet de ma parole,
Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours?
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée,
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?
Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque pas.
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,
Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie :
Vous avez vu l'Espagne, et sur-tout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois
Exciter ma vengeance, et, jusque dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser ma paresse :

Ils savent que, sur eux prêt à se déborder,
Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder;
Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l'Italie et suivre mon passage.

C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin, Vous trouverez par-tout l'horreur du nom romain,

Et la triste Italie encor toute fumante
Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante.
Non, prince, ce n'est point au bout de l'univers
Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers:
Et de près inspirant les haines les plus fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur;

S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent;
De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent
Sous les drapeaux d'un roi long-temps victorieux,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux ?
Que dis-je? en quel état croyez-vous la surprendre?
Vide de légions qui la puissent défendre,
Tandis que tout s'occupe à me persécuter,
Leurs femmes, leurs enfans pourront-ils m'arrêter?
Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre
Que sa fureur envoie au deux bouts de la terre ;
Attaquons dans leurs murs ces conquérans si fiers;
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme :
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons-la dans son sang justement répandu :
Brûlons ce Capitole où j'étais attendu :
Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître

La honte de cent rois, et la mienne peut-être. (54)

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