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salon, eurent été absolument consumés. On appela bonheur ce qui restait de la maison, quoiqu'il y ait pour Guitaut pour plus de dix mille écus de perte : car on compte de faire rebâtir cet appartement, qui était peint et doré. Il y avait plusieurs beaux tableaux à M. le Blanc, à qui est la maison: il y avait aussi plusieurs tables, miroirs, miniatures, meubles, tapisseries. Ils ont un grand regret à des lettres; je me suis imaginée que c'étaient des lettres de M. le Prince. Cependant vers les cinq heures du matin il fallut songer à M.e Guitaut; je lui offris mon lit; mais M.e Guêton la mit dans le sien, parce qu'elle a meublées. Nous la fimes voyâmes quérir Boucher cette grande émotion ne lui couche. Elle est donc chez Guêton; tout le monde les vient voir. Vous m'allez demander comment le feu s'était mis à cette maison; on n'en sait rien, il n'y en avait point dans l'appartement où il a pris: mais si on avait pu rire dans une aussi triste occasion, quels portraits n'aurait-on pas faits de l'état où nous étions tous? Guitaut était en chemise avec des chausses; M.e de Guitaut était nues jambes, et avait perdu une de ses pantoufles; Madame de Vauvineux était en

plusieurs chambres saigner; nous enil craint bien que cause une fausse cette pauvre M.e

petite jupe, sans robe de chambre; tous les valets, tous les voisins en bonnets de nuit : l'Ambassadeur était en robe de chambre et en perruque, et conserva fort bien la gravité de la Sérénissime; mais son secrétaire était admirable vous parlez de la poitrine d'Hercule, vraiment celle-ci était bien autre chose; on la voyait toute entière : elle est blanche, grasse, potelée, et sur-tout sans aucune chemise : car le cordon qui la devait attacher, avait eté perdu à la bataille; voilà les tristes nouvelles de notre quartier. Je prie Derville de faire tous les soirs une ronde, pour voir si le feu est éteint par tout; on ne saurait avoir trop de précautions pour éviter ce malheur. Je souhaite que l'eau vous ait été favorable; en un mot, je vous souhaite tous les biens, et je prie dieu qu'il vous garantisse de tous maux. (28)

IV. (29)

THERA MÈNE.

A peine nous sortions des portes de Trézène,

Il était sur son char; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés:

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Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes;
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes :
Ses superbes coursiers qu'on voyait autrefois,
Pleins d'une ardeur si noble, obéir à sa voix
L'œil morne maintenant, et la tête baissée
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs, en ce moment, a troublé le repos;
Et, du sein de la terre, une voix formidable
Répond, en gémissant, à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé.
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide.
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes,
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes.
Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa

croupe se recourbe en replis tortueux;
Ses longs mugissemens font trembler le rivage,
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté,
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Tout fuit; et, sans s'armer d'un courage inutile,

Dans le temple voisin chacun cherche un asyle.

Hippolyte lui seul, digne fils d'un hércs

Arrête ses coursiers, saisit ses javelots.

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Pousse au monstre, et, d'un dard lancé d'une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée,
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur les emporte; et, sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein, ni la voix.
En efforts impuissans leur maître se consume.
Ils rougissent le mords d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,
Un dieu qui d'aiguillons pressait leurs flancs poudreux.
A travers les rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt. L'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils,
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler; et sa voix les effraie.
Ils courent. Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie
De nos cris douloureux la plaine retentit.

Leur fougue impétueuse enfin se rallentit.

I

Ils s'arrêtent, non loin de ces tombeaux antiques,
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
Je cours, en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit.
Les rochers en sont teints; les ronces dégoûtantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J'arrive, je l'appelle; et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant, qu'il referme soudain :
Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie,
Prends soin, après ma mort, de la triste Aricie;
Cher ami, si mon père, un jour désabusé,
Plaint le malheur d'un fils faussement accusé,
Pour appaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive,
Qu'il lui rende... A ces mots, ce héros expiré
N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré;
Triste objet où des dieux triomphe la colère,
Et que méconnaîtrait l'oeil même de son père. (30)

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