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Je renonce à Tancrède, au reste des mortels;
Ils sont faux ou méchans, il sont faibles, cruels,
Ou trompeurs, ou trompés; et ma douleur profonde,
En oubliant Tancrède, oublîra tout le monde. (74)

II. (75)

MONIM E.

Je n'ai point oublié quelle reconnaissance,
Seigneur, m'a dû ranger sous votre obéissance :
Quelque rang où jadis soient montés mes aïeux,
Leur gloire de si loin n'éblouit point mes yeux.
Je songe avec respect de combien je suis née
Au-dessous des grandeurs d'un si noble hyménée :
Et, malgré mon penchant et mes premiers desseins
Pour un fils, après vous, le plus grand des humains,
Du jour que sur mon front on mit ce diadême,
Je renonçai, seigneur, à ce prince, à moi-même.
Tous deux d'intelligence à nous sacrifier,
Loin de moi, par mon ordre, il courait m'oublier.
Dans l'ombre du secret ce feu s'allait éteindre ;
Et même de mon sort je ne pouvais me plaindre,
Puisqu'enfin, aux dépens de mes vœux les plus doux,
Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous.

Vous

Vous seul, seigneur, vous seul, vous m'avez arrachée

A cette obéissance où j'étais attachée,

Et ce fatal amour dont j'avais triomphé
Ce feu que dans l'oubli je croyais étouffé,
Dont la cause à jamais s'éloignait de ma vue,
Vos détours l'ont surpris, et m'en ont convaincue.
Je vous l'ai confessé, je le dois soutenir :
En vain vous en pourriez perdre le souvenir;
Et cet aveu honteux où vous m'avez forcée,
Demeurera toujours présent à ma pensée,
Toujours je vous croirais incertain de ma foi;
Et le tombeau, seigneur, est moins triste pour moi
Que le lit d'un époux qui m'a fait cet outrage,
Qui s'est acquis sur moi ce cruel avantage,
Et qui me préparant un éternel ennui,
M'a fait rougir d'un feu qui n'était pas pour lui. (76)

VOLUPT É.

I. (77)

HEUREUX qui, près de toi, pour toi seule soupire ;

Qui jouit du plaisir de t'entendre parler:

Tome I.

8

Qui te voit quelquefois doucement lui sourire! Les Dieux dans son bonheur peuvent-ils l'égaler ?

Je sens de veine en veine une subtile flamme

Courir

par tout mon corps, sitôt que je te vois; Et dans les doux transports où s'égare mon ame, Je ne saurais trouver de langue ni de voix.

Un nuage confus se répand sur ma vue,

Je n'entends plus, je tombe en de douces langueurs; Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,

Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs. (78)

I I. (79)

O VOLUPTÉ, mère de la nature,
Belle Vénus, seule divinité,

Que dans la Grèce invoquait Épicure,
Qui du chaos chassant la nuit obscure,
Donnes la vie et la fécondité,
Le sentiment et la félicité,

A cette foule innombrable, agissante,
D'êtres mortels à ta voix renaissante;
Toi que l'on peint désarmant dans tes bras
Le Dieu du ciel, et le Dieu de la guerre,

Qui d'un sourire écartes le tonnerre,
Rends l'air serein, fais naître sous tes pas
Les doux plaisirs qui consolent la terre;
Descends des cieux, Déesse des beaux jours;
Viens sur ton char entouré des Amours,
Que les Zéphirs ombragent de leur ailes,
Que font voler tes colombes fidèles,
En se baisant dans le vague des airs:
Viens échauffer et calmer l'univers.

Viens; qu'à ta voix les soupçons, les querelles,
Le triste ennui plus détestable qu'elles,
La noire envie, à l'œil louche et pervers,
Soient replongés dans le fond des enfers,
Et garottés de chaînes éternelles.

Que tout s'enflamme et s'unisse à ta voix,
Que l'univers en aimant se maintienne;
Jetons au feu nos vains fatras de loix,

N'en suivons qu'une, et que ce soit la tienne. (80)

III. (81)

J'ARRIVE ARRIVE plein d'une émotion qui s'accroît en entrant dans cet asyle. Julie! me voici dans ton cabinet, me voici dans le sanctuaire de tout

ce que mon cœur adore. Le flambeau de l'amour guidait mes pas, et j'ai passé sans être aperçu. Lieu charmant, lieu fortuné, qui jadis vis tant réprimer de regards tendres, tant étouffer de soupirs brûlans! toi qui vis naître et nourrir nos premiers feux, pour la seconde fois tu les verras couronner: témoin de ma constance éternelle, sois le témoin de mon bonheur, et voile à jamais les plaisirs du plus fidèle et du plus heureux des hommes.

Que ce séjour mystérieux est charmant ! Tout y flatte et nourrit l'ardeur qui me dévore. O Julie ! il est plein de toi, et la flamme de mes désirs s'y répand sur tous tes vestiges. Oui, tous mes sens y sont enivrés à la fois. Je ne sais quel parfum presque insensible, plus doux que la rose, et plus léger que l'iris, s'exhale ici de toutes parts. J'y crois entendre le son flatteur de ta voix. Toutes les parties de ton habillement éparses présentent à mon ardente imagination celles de toi-même qu'elles recèlent, cette coiffure légère que parent de grands cheveux blonds qu'elle feint de couvrir; cet heureux fichu contre lequel une fois au moins je n'aurai point à murmurer; ce déshabillé élégant et simple qui marque si bien le goût de celle qui le porte; ces mules mignonnes qu'un pied souple remplit sans peine; ce corps si délié qui touche

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