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ceoit; au curateur et maistre d'eschole, non à celuy qui se doibt penser inferieur, non en auctorité seulement, mais aussi en prudence et bon conseil. Quoy qu'il en soit, ie ne vouldrois pas estre servy de cette façon en mon petit faict.

IV. Nous nous soustrayons si volontiers du commandement, soubs quelque pretexte, et usurpons sur la maistrise; chascun aspire si naturellement à la liberté et auctorité, qu'au superieur nulle utilité ne doibt estre si chere, venant de ceulx qui le servent, comme luy doibt estre chere leur naïfve et simple obeïssance. On corrompt l'office du commander, quand on y obeït par discretion, non par subiection 7. Et P. Crassus, celuy que les Romains estimerent cinq fois heureux, lorsqu'il estoit en Asie consul, ayant mandé à un ingenieur grec de luy faire mener le plus grand des deux masts de navire qu'il avoit veus à Athenes, pour quelque engin de batterie qu'il en vouloit faire cettuy cy, soubs tiltre de sa science, se donna loy de choisir aultrement, et mena le plus petit, et, selon la raison de son art, le plus commode. Crassus ayant patiemment ouï ses raisons, luy feit tresbien donner le fouet, estimant l'interest de la discipline plus que l'interest de l'ouvrage. D'aultre part

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7 Cette pensée est prise d'Aulu-Gelle; Noct. Attic. I. I, c. 13.

8 Aulu-Gelle. Ibid.

pourtant, on pourroit aussi considerer que cette obeïssance si contraincte n'appartient qu'aux commandements precis et prefix. Les ambassadeurs ont une charge plus libre, qui en plusieurs parties despend souverainement de leur disposition; ils n'executent pas simplement, mais forment aussi et dressent par leur conseil la volonté du maistre : l'ay veu, en mon temps, des personnes de commandement reprins d'avoir plustost obeï aux paroles des lettres du roy, qu'à l'occasion des affaires qui estoient prez d'eulx : Les hommes d'entendement accusent encores (auiourd'huy) l'usage des roys de Perse de tailler les morceaux si courts à leurs agents et lieutenants, qu'aux moindres choses ils eussent à recourir à leur ordonnance; ce delay, en une si longue estendue de domination, ayant souvent apporté des notables dommages à leurs affaires : Et Crassus, escrivant à un homme du mestier, et luy donnant advis de l'usage auquel il destinoit ce mast, sembloit il pas entrer en conference de sa deliberation, et le convier à interposer son decret?

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SOMMAIRE.

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CHAPITRE XVII.

De la peur.

Effets de la peur sur le vulgaire. Les soldats

même en sont atteints. Elle a souvent des résultats tout con

traires ou elle rend immobile, ou pousse à fuir avec une incroyable vitesse. Elle a quelquefois produit des actions. de valeur. Terreurs paniques.

Exemples: un Soldat des troupes du Connétable de Bourbon;

un Enseigne du capitaine Julle; l'empereur Théophile; les Romains dans leur premier combat avec Annibal; les Compagnons de Pompée.

:

OBSTUPUI, steteruntque comæ, et vox faucibus hæsit 1. Ie ne suis pas bon naturaliste (qu'ils disent), et ne sçais gueres par quels ressorts la peur agit en nous; mais tant y a que c'est une estrange passion et disent les medecins qu'il n'en est aulcune qui emporte plustost nostre iugement hors de sa deue assiette. De vray, i̇'ay veu beaucoup de gents devenus insensez, de peur; et, au plus rassis, il est certain, pendant que son accez dure, qu'elle engendre de terribles esblouïssements. He laisse à part le vulgaire, à qui elle represente tantost les bisayeuls sortis du tumbeau enveloppez en leur suaire, tantost des loups-garous, des lutins et des chimeres; mais parmy les soldats mesmes, où elle debvroit trouver moins de place, combien de fois a elle changé un troupeau de brebis en esquadron de corselets *? des roseaux et des

1 Je frémis, ma voix meurt, et mes cheveux se dressent.
Énéid. L. II, v.774.

*Corselets, espèce de cuirasses en usage dans certaines troupes, et dont le nom servait à les désigner.

cannes, en gentsdarmes et lanciers? nos amis, en nos ennemis? et la croix blanche, à la rouge? Lors que monsieur de Bourbon print Rome, un port'enseigne, qui estoit à la garde du bourg saint Pierre, feut saisi de tel effroy à la premiere alarme, que par le trou d'une ruyne il se iecta, l'enseigne au poing, hors la ville, droict aux ennemis, pensant tirer vers le dedans de la ville; et à peine enfin, voyant la troupe de monsieur de Bourbon se renger pour le soustenir, estimant que ce feust une sortie que ceulx de la ville feissent, il se recogneut, et, tournant teste, rentra par ce mesme trou, par lequel il estoit sorty plus de trois cents pas avant en la campaigne 3. Il n'en adveint pas du tout si heureusement à l'enseigne du capitaine Iulle, lors que sainct Paul feut prins sur nous, par le comte de Bures et monsieur du Reu; car, estant si fort esperdu de frayeur, que de se iecter à tout ** son enseigne hors de la ville par une canoniere, il feut mis en pieces par les assaillants: et, au mesme siege, feut memorable la peur qui serra, saisit et glacea si fort le cœur d'un gentilhomme, qu'il en tumba roide mort par terre, à la bresche, sans aulcune bleceure 5. Pareille peur saisit par fois toute une multitude:

2 En 1527.

3 Mémoires de Martin du Bellay. L. III.

4 Mémoires de Guillaume du Bellay. L. VIII.

5 Id. Ibid.

*2 Avec.

en l'une des rencontres de Germanicus contre les Allemans, deux grosses troupes prinrent, d'effroy, deux routes opposites; l'une fuyoit d'où l'aultre partoit. Tantost elle nous donne des ailes aux talons, comme aux deux premiers: tantost elle nous cloue les pieds et les entrave, comme on lit de l'empereur Theophile, lequel, en une battaille qu'il perdit contre les Agarenes, deveint si estonné et si transi qu'il ne pouvoit prendre party de s'enfuyr, adeo pavor etiam auxilia formidat; iusques à ce que Manuel, l'un des principaulx chefs de son armee, l'ayant tirassé et secoué, comme pour l'esveiller d'un profond somme, luy dict: « Si vous ne me suyvez, ie vous tueray : car il vault mieulx que vous perdiez la vie, que si, estant prisonnier, vous veniez à perdre l'empire' >>.

Lors exprime elle sa derniere force, quand, pour son service, elle nous reiecte à la vaillance qu'elle a soustraict à nostre debvoir et à nostre honneur : en la premiere iuste battaille que les Romains perdirent contre Hannibal, soubs le consul Sempronius, une troupe de bien dix mille hommes de pied ayant prins

l'espouvante, ne voyant ailleurs où faire passage à

par

sa lascheté, s'alla iecter au travers le gros des ennemis, lequel elle percea d'un merveilleux effort, avec grand

6 Tant la peur s'effraie, même de ce qui pourrait lui donner du secours! Quintus Curtius. L. III, c. 11, no. 12.

7 Joannis Zonaro Monachi historiarum L. III.

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