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On est puny pour s'opiniastrer à une place sans raison.

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SOMMAIRE. On doit punir ceux qui s'obstinent à défendre avec opiniâtreté une trop faible place: mais les vainqueurs abusent souvent de cette loi de la guerre.

Exemples: le Connétable de Montmorenci; Martin du Bellay.

LA vaillance a ses limites, comme les aultres vertus; lesquels franchis, on se treuve dans le train du vice: en maniere que par chez elle on se peult rendre à la temerité, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes, malaisees en verité à choisir sur leurs confins. De cette consideration est nee la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort, ceulx qui s'opiniastrent à deffendre une place qui par les regles militaires ne peult estre soustenue. Aultrement, soubs l'esperance de l'impunité, il n'y auroit poullier qui n'arrestast une armee.

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* Dans l'édition de 1580, ce chapitre est le quinzième. Le quatorzième a pour titre et pour sujet : que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons. C'est le quarantième chapitre des autres éditions. Cette édition première offre, à partir de ce chapitre, de si grandes différences avec toutes celles qui l'ont suivie, que nous ne pourrons plus y avoir recours que très-rarement. * Poulailler, (bicoque).

Monsieur le connestable de Montmorency, au siege de Pavie, ayant esté commis pour passer le Tesin, et se loger aux fauxbourgs saint Antoine, estant empesché d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra iusques à se faire battre, feit pendre tout ce qui estoit dedans'; et encores depuis accompaignant monsieur le dauphin au voyage delà les monts, ayant prins par force le chasteau de Villane, et tout ce qui estoit dedans ayant esté mis en pieces par la furie des soldats, horsmis le capitaine et l'enseigne, il les feit pendre et estrangler pour cette mesme raison: comme feit aussi le capitaine Martin du Bellay, lors gouverneur de Turin en cette mesme contree, le capitaine de S. Bony, le reste de ses gents ayant esté massacré à la prinse de la place3. Mais d'autant que le iugement de la valeur et foiblesse du lieu se prend par l'estimation et contrepoids des forces qui l'assaillent (car tel s'opiniastreroit iustement contre deux couleuvrines, qui feroit l'enragé d'attendre trente canons), où se met encores en compte la grandeur du prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on luy doibt, il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costé là: et en advient par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d'eulx et de

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leurs moyens, que ne leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste, ils passent coulteau partout où ils treuvent resistance, autant que fortune leur dure; comme il se veoid par les formes de sommation et desfi que les princes d'orient, et leurs successeurs qui sont encores, ont en usage, fierc, haultaine et pleine d'un commandement barbaresque. Et au quartier par où les Portugalois escornerent les Indes, ils trouverent des estats avecques cette loy universelle et inviolable, que tout ennemy vaincu du roy en presence, ou de son lieutenant, est hors de composition de rançon et de mercy. Ainsi surtout il se fault garder, qui peult, de tumber entre les mains d'un iuge ennemy, victorieux et armé.

CHAPITRE XV.

De la punition de la couardise.

SOMMAIRE. La lâcheté ne devrait pas être punie de mort dans un soldat, à moins qu'il n'y ait des preuves de méchanceté et de mauvais desseins. Les peuples anciens et modernes ont souvent varié dans leur manière de sévir contre la poltronnerie.

Exemples: le législateur Charondas; l'empereur Julien; le gouverneur Frauget, etc.

I'OUY aultrefois tenir à un prince et tresgrand capitaine, que pour lascheté de cœur un soldat ne pou

voit estre condemné à mort; luy estant à table faict recit du procez du seigneur de Vervins qui feut condemné à mort pour avoir rendu Bouloigne '. A la verité c'est raison qu'on face grande difference entre les faultes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice car en celles icy nous nous sommes bandez à nostre escient contre les regles de la raison que nature a empreintes en nous; et en celles là, il semble que nous puissions appeller à garant cette mesme nature, pour nous avoir laissez en telle imperfection et defaillance. De maniere que prou de gents ont pensé qu'on ne se pouvoit prendre à nous que de ce que nous faisons contre nostre conscience et sur cette regle est en partie fondee l'opinion de ceulx qui condemnent les punitions capitales aux heretiques et mescreans, et celle qui establit qu'un advocat et un iuge ne puissent estre tenus de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge.

Mais quant à la couardise, il est certain que la plus commune façon est de la chastier par honte et ignominie et tient on que cette regle a esté premierement mise en usage par le legislateur Charondas; et qu'avant luy les loix de Grece punissoient de mort ceulx qui s'en estoient fuys d'une bat

Au roi d'Angleterre qui l'assiégeait en personne. Voyez les Mémoires de Martin du Bellay. L. X.

par

taille là où il ordonna seulement qu'ils fussent : trois iours assis emmy * la place publicque, vestus de robe de femme ; esperant encores s'en pouvoir servir, leur ayant faict revenir le courage par cette honte: Suffundere malis hominis sanguinem, quam effundere. Il semble aussi que les loix romaines condemnoient anciennement à mort ceulx qui avoient fuy: car Ammianus Marcellinus dict" que l'empereur Iulien condemna dix de ses soldats, qui avoient tourné le dos en une charge contre les Parthes, à estre degradez, et, aprez, à souffrir mort, suyvant, dict il, les loix anciennes. Toutesfois ailleurs, pour une pareille faulte, il en condemne d'aultres seulement à se tenir parmy les prisonniers soubs l'enseigne du bagage 5. L'aspre condemnation du peuple romain contre les soldats eschapez de Cannes, et, en cette mesme guerre, contre ceulx qui accompaignerent Cn. Fulvius en sa desfaicte, ne veint pas à la mort. Si est il à craindre que la honte les desespere, et les rende non froids seulement, mais ennemis.

Du temps de nos peres, le seigneur de Franget **

⚫ Diodore de Sicile. L. XII, c. 4.

3 <«< Il vaut bien mieux faire monter le sang au visage du coupable, que de le tirer de ses veines ». Tertull. in Apologet. 4 L. XXIV, c. 4.

5 Amm. Marcell. L. XXV, c. 1.

* Emmy, in medio, au milieu.

** Ou plutôt Frauget, comme il est écrit dans les Mémoires de du Bellay.

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