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CHAPITRE X.

Du parler prompt, ou tardif.

SOMMAIRE. I. Il paraît convenable que les prédicateurs parlent posément et avec lenteur; mais c'est un talent nécessaire aux avocats de parler avec rapidité, et surtout d'improviser leurs répliques. II. Il y a des personnes qui parlent ou écrivent sans préparation, mieux qu'elles ne feraient avec beaucoup de peine et de travail. Exemples: le Chancelier Poyet;

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Severus Cassius.

I. ONC ne furent à touts toutes graces donnees 1:

aussi, voyons nous qu'au don d'eloquence les uns ont la facilité et la promptitude, et, ce qu'on dict, le boutehors* si aisé, qu'à chasque bout de champ ils sont prests; les aultres, plus tardifs, ne parlent iamais rien qu'elaboré et premedité.

Comme on donne des regles aux dames de prendre

Ce vers terminait, suivant le Commentateur Coste, le quatorzième des sonnets d'Étienne de la Boëtie, publiés par Montaigne, son intime ami, en 1572; mais il ne se trouve point dans les vingt-neuf sonnets de cet auteur, que Montaigne avait insérés dès 1580, dans la première édition des Essais, au vingt-huitième chapitre.

* La répartie.

les ieux et les exercices du corps, selon l'advantage de ce qu'elles ont le plus beau; si i'avois à conseiller de mesme en ces deux divers advantages de l'eloquence, de laquelle il semble en nostre siecle que les prescheurs et les advocats facent principale profession, le tardif seroit mieulx prescheur, ce me semble, et l'aultre, mieulx advocat parce que la charge de cestuy là luy donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer; et puis sa carriere se passe d'un fil et d'une suite sans interruption : là où les commoditez de l'advocat le pressent à toute heure de se mettre en lice; et les responses improuveues de sa partie adverse le reiectent de son bransle, où il luy fault sur le champ prendre nouveau party. Si est ce qu'à l'entreveue du Clement et du roy François pape à Marseille, il adveint, tout au rebours, que monsieur Poyet, homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de faire la harangue au pape, et l'ayant de longue main pourpensee, voire, à ce qu'on dict, apportee de Paris toute preste; le iour mesme qu'elle debvoit estre prononcee, le pape, se craignant qu'on luy teinst propos qui peust offenser les ambassadeurs des aultres princes qui estoient autour de luy, manda au roy l'argument qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu, mais, de fortune, tout aultre que celuy sur lequel monsieur Poyet s'estoit travaillé; de façon que sa harangue demeuroit inutile, et luy en falloit promp

tement refaire une aultre: mais s'en sentant incapable, il fallut que monsieur le cardinal du Bellay en prinst la charge 2. La part de l'advocat est plus difficile que celle du prescheur; et nous trouvons pourtant, ce m'est advis, plus de passables advocats que de prescheurs, au moins en France. Il semble que ce soit plus le propre de l'esprit d'avoir son operation prompte et soubdaine; et plus le propre du iugement, de l'avoir lente et posee. Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se preparer, et celuy aussi à qui le loisir ne donne advantage de mieulx dire, ils sont en pareil degré d'estrangeté.

II. On recite de Severus Cassius, qu'il disoit mieulx sans y avoir pensé; qu'il debvoit plus à la fortune qu'à sa diligence; qu'il luy venoit à proufit d'estre troublé en parlant; et que ses adversaires craignoyent de le picquer, de peur que la cholere ne luy feist redoubler son eloquence 3. Ie cognoy par experience cette condition de nature, qui ne peult soustenir une vehemente premeditation et laborieuse : si elle ne va gayement et librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d'aulcuns ouvrages, qu'ils puent l'huyle et la lampe, pour certaine aspreté et rudesse que le travail imprime en ceulx où il a grande part. Mais oultre cela, la solicitude de bien faire, et cette con

→ Mémoires de Martin du Bellay. L. IV.

3 Sénèque, Controv. L. III.

tention de l'ame trop bandee et trop tendue à son entreprinse, la rompt et l'empesche; ainsi qu'il advient à l'eau qui, par force de se presser, de sa violence et abondance ne peult trouver issue en un goulet ouvert. En cette condition de nature dequoy ie parle, il y a quand et quand aussi cela, qu'elle demande à estre non pas esbranslee et picquee par ces passions fortes, comme la cholere de Cassius (car ce mouvement seroit trop aspre), elle veult estre non pas secouee, mais solicitee; elle veult estre eschauffee et resveillee par les occasions estrangieres, presentes, et fortuites: si elle va toute seule, elle ne faict que traisner et languir; l'agitation est sa vie et sa grace. Ie ne me tiens pas bien en ma possession et disposition: le hazard y a plus de droict que moy; l'occasion, la compaignie, le bransle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit, que ie n'y treuve lorsque ie le sonde et employe à part moy. Ainsi les paroles en valent mieulx que les escripts, s'il y peult avoir chois où il n'y a point de prix. Cecy m'advient aussi, que ie ne me treuve pas où ie me cherche; et me treuve plus par rencontre, que par inquisition de mon iugement. l'auray eslancé quelque subtilité en escrivant; i'entens bien : mornee pour un aultre, affilee pour moy. Laissons toutes ces honnestetez : cela se dict par chascun selon sa force. Ie l'ay si bien perdue, que ie ne sçay ce que i'ay voulu dire ; et l'a

* De mort-né, avortée, émoussée.

*2

por

l'estrangier descouverte parfois avant moy. Si ie toy le rasoir partout où cela m'advient, ie me desferoy tout. La rencontre m'en offrira le iour *3 quelque aultre fois plus apparent que celuy du midy, et me fera estonner de ma hesitation.

3 Le hasard m'en offrira le sens.

SOMMAIRE.

CHAPITRE XI.

Des prognostications.

I. Les anciens oracles étaient sans crédit, même avant l'établissement de la Religion chrétienne : on croit encore à certaines divinations.

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II. Origine de l'art de deviner, art vain et dangereux : ceux qui l'exercent ne peuvent prédire la vérité que par hasard. Ce qu'était le démon de Socrate.

Exemples: le Marquis de Saluces;

Diagoras, surnommé

l'Athée.

I. QUANT aux oracles, il est certain que bonne piece* avant la venue de Iesus-christ, ils avoyent commencé à perdre leur credit; car nous voyons que Cicero se met en peine de trouver la cause de leur defaillance et ces mots sont à luy: Cur isto modo

* Longtems.

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