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plusieurs stropiez par les extremitez, plusieurs roides, transis et immobiles de froid, ayants encores le sens *1 entier 13. Alexandre veid une nation en laquelle on enterre les arbres fruictiers en hyver pour les deffendre de la gelee ; et nous en pouvons aussi veoir.

Sur le subiect de vestir, le roy de la Mexique changeoit quatre fois par iour d'accoustrements, iamais ne les reïteroit, employant sa desferre *** à ses continuelles liberalitez et recompenses; comme aussi ny pot, ny plat, ny ustensile de sa cuisine et de sa table, ne luy estoient servis à deux fois.

13 Voyez Xénophon. Expédition de Cyrus. L. IV, c. 5. 14 Quinte-Curce; L. VII, c. 3, no. 10.

* Le sentiment.

* C'est-à-dire, sa défroque, ou sa dépouille.

SOMMAIRE.

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CHAPITRE XXXVI.

Du ieune Caton.

I. Il ne faut pas apprécier les autres d'après soi. II. Aujourd'hui la vertu n'est qu'un vain mot: on n'est vertueux que par habitude, par intérêt ou par ambition. III. Il est des hommes qui cherchent à rabaisser les personnages éminens par leurs vertus: il faudrait, au contraire, les offrir sans cesse comme des modèles, à l'admiration du monde. IV. Comment cinq poètes anciens

ont parlé de Caton.

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I. IE n'ay point cette erreur commune de iuger d'un aultre selon que ie suis i'en crois ayseement des choses diverses à moy. Pour me sentir engagé à une forme, ie n'y oblige pas le monde, comme chascun faict; et crois et conçois mille contraires façons de vie; et, au rebours du commun, reçois plus facilement la difference que la ressemblance en nous. Ie descharge, tant qu'on veult, un aultre estre de mes conditions et principes; et le considere simplement en luy mesme, sans relation, l'estoffant sur son propre modele. Pour n'estre continent, ie ne laisse d'advouer

sincerement la continence des Feuillants et des Capuchins, et de bien trouver l'air de leur train: ie m'insinue par imagination fort bien en leur place; et les aime et les honore d'autant plus qu'ils sont aultres que moy. Ie desire singulierement qu'on nous iuge chascun à part soy, et qu'on ne me tire en consequence des communs exemples. Ma foiblesse n'altere aulcunement les opinions que ie dois avoir de la force et vigueur de ceulx qui le meritent: Sunt qui nihil suadent quàm quod se imitari posse confidunt 1. Rampant au limon de la terre, ie ne laisse pas de remarquer iusques dans les nues la haulteur inimitable d'aulcunes ames heroïques. C'est beaucoup pour moy d'avoir le iugement reglé, si les effects ne le

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peuvent estre, et maintenir au moins cette maistresse partie exempte de corruption : c'est quelque chose d'avoir la volonté bonne, quand les iambes me faillent.

pour

II. Ce siecle auquel nous vivons, au moins nostre climat, est si plombé, que, ie ne dis pas l'execution, mais l'imagination mesme, de la vertu en est

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« Il y a des gens qui ne conseillent que ce qu'ils croient pouvoir imiter ». Cic. Orator ad Balbum, c. 7. Ici le texte est altéré. On lit dans Cicéron : nunc tantum quisque laudat quantum se posse sperat imitari. L'idée est à peu près la même. On voit par là que Montaigne cite souvent de mémoire, et recompose le latin des passages qu'il a oubliés.

à dire et semble que ce ne soit aultre chose qu'un iargon de college;

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quam vereri deberent, etiam si percipere non possent3; c'est un affiquet à pendre en un cabinet, ou au bout de la langue, comme au bout de l'aureille, pour parement. Il ne se recognoist plus d'action vertueuse : celles qui en portent le visage, elles n'en ont pas pourtant l'essence; car le proufit, la gloire, la crainte, l'accoustumance, et aultres telles causes estrangieres, nous acheminent à les produire. La iustice, la vaillance, la debonnaireté que nous exerçons lors, elles peuvent estre ainsi nommees pour la consideration d'aultruy et du visage qu'elles portent en publicque; mais chez l'ouvrier ce n'est aulcunement vertu, il y a une aultre fin proposee, aultre cause mouvante. Or la vertu n'advoue rien que ce qui se faict par elle et pour elle seule. En cette grande battaille de Potidee",

2

« Ils croient que la vertu n'est qu'un mot, comme ils ne voient du bois à brûler dans un bois sacré ». Horat. que epist. 6. L. I, v. 31.

3 « La vertu qu'ils devraient respecter, quand même ils ne pourraient la comprendre ». Cic. Tusc. quæst. L. V, c. 2. -Montaigne applique à la vertu ce que Cicéron dit de la philosophie, et de ceux qui osent la blâmer.

4 Montaigne a mis, par méprise, Potidée, au lieu de Platée. Cornelius Nepos, dans la Vie de Pausanias, c. 1: Hujus illustrissimum est prælium apud Plateas.

que les Grecs soubs Pausanias gaignerent contre Mardonius et les Perses, les victorieux, suyvant leur coustume, venants à partir entre eulx la gloire de l'exploict, attribuerent à la nation spartiate la precellence de valeur en ce combat. Les Spartiates, excellents iuges de la vertu, quand ils vindrent à decider à quel particulier (de leur nation) debvoit demourer l'honneur d'avoir le mieulx faict en cette iournee, trouverent qu'Aristodeme s'estoit le plus courageusement hazardé ; mais pourtant ils ne luy en donnerent point de prix, parceque sa vertu avoit esté incitee du desir de se purger du reproche qu'il avoit encouru au faict des Thermopyles, et d'un appetit de mourir courageusement pour garantir sa honte passee.

III. Nos iugements sont encores malades, et suyvent la depravation de nos mœurs. Ie veois la pluspart des esprits de mon temps faire les ingenieux à obscurcir la gloire des belles et genereuses actions anciennes, leur donnant quelque interpretation vile, et leur controuvant des occasions et des causes vaines: grande subtilité! Qu'on me donne l'action la plus excellente et pure, ie m'en voys y fournir vraysemblablement cinquante vicieuses intentions. Dieu sçait, à qui les veut estendre, quelle diversité d'images ne souffre nostre interne volonté ! Ils ne font pas tant

5 Hérodote; L. IX.

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