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CHAPITRE XXXIV.

D'un default de nos polices.

SOMMAIRE. Utilité dont serait dans chaque ville un registre public où chaque habitant pourrait faire inscrire des annonces ou des avis; proposer ce qu'il veut vendre, demander ce qu'il veut acheter, etc. · Peut-être faudrait-il aussi qu'il y eût dans chaque famille un livre où seraient enregistrés tous les petits événemens qui l'intéressent: les mariages, les naissances, les morts, les voyages, les nouvelles bonnes ou mauvaises, etc.

Exemples: Lilio Giraldi; Sébastien Castilion; le père de Michel de Montaigne.

FEU mon pere, homme, pour n'estre aydé que de l'experience et du naturel, d'un iugement bien net, m'a dict aultrefois qu'il avoit desiré mettre en train qu'il y eust ez villes certain lieu designé auquel ceulx qui auroient besoing de quelque chose se peussent rendre, et faire enregistrer leur affaire à un officier estably pour cet effect : comme, « le cherche à vendre des perles; le cherche des perles à vendre; Tel veult compaignie pour aller à Paris; Tel s'enquiert d'un serviteur de telle qualité; Tel d'un maistre; Tel demande un ouvrier; qui cecy, qui cela, chascun selon

son besoing ». Et semble que ce moyen de nous entr'advertir apporteroit non legiere commodité au commerce publicque; car à touts coups il y a des conditions qui s'entrecherchent, et, pour ne s'entr'entendre, laissent les hommes en extreme necessité.

l'entends, avecques une grande honte de nostre siecle, qu'à nostre vene deux tresexcellents personnages en sçavoir sont morts en estat de n'avoir pas leur saoul à manger, Lilius Gregorius Giraldus en Italie, et Sebastianus Castalio en Allemaigne; et crois qu'il y a mille hommes qui les eussent appellez avecques tresadvantageuses conditions, ou secourus

Giglio Gregorio Giraldi, très-savant dans les langues anciennes et dans la mythologie, naquit à Ferrare en 1489, et y mourut âgé de 72 ans. Pendant la plus grande partie de sa vie, il fut misérable et souffrant. Aussi disait-il souvent, qu'il avait à combattre trois ennemis, la nature, la fortune et l'injustice. Ses ouvrages ont été recueillis et publiés en 2 vol. in-fol., Leyde 1696. On y trouve une diatribe contre les lettres et les lettrés. Voyez, au sujet de cet auteur, Tiraboschi, et l'histoire littéraire d'Italie, par M. Ginguené ; T. VII, p. 284.

→ Sébastien Castilion, ou plutôt Chateillon, car c'était son vrai nom, naquit en Dauphiné en 1515. Il savait parfaitement l'Hébreu et le Grec, et a donné, entr'autres ouvrages, une version latine et française de la Bible. Calvin lui procura une chaire dans le collège de Genève; mais bientôt ils se brouillèrent, et Castilion fut obligé de se retirer à Bâle, où il vécut et mourut dans la misère, à l'âge de 48 ans.

où ils estoient, s'ils l'eussent sceu. Le monde n'est pas si generalement corrompu, que ie ne sçache tel homme qui souhaitteroit, de bien grande affection, que les moyens que les siens luy ont mis en main se peussent employer, tant qu'il plaira à la fortune qu'il en iouïsse, à mettre à l'abry de la necessité les personnages rares, et remarquables en quelque espece de valeur, que le malheur combat quelquesfois iusques à l'extremité; et qui les mettroit pour le moins en tel estat, qu'il ne tiendroit qu'à faulte de bon discours s'ils n'estoient contents *1.

En la police œconomique, mon pere avoit cet ordre, que ie sçais louer, mais nullement ensuyvre : c'est qu'oultre le registre des negoces du mesnage où se logent les menus comptes, payements, marchés qui ne requierent la main du notaire, lequel registre un receveur a en charge; il ordonnoit à celuy de ses gents qui luy servoit à escrire, un papier iournal à inserer toutes les survenances de quelque remarque, et, iour par iour, les memoires de l'histoire de sa maison; tresplaisante à veoir quand le temps commence à en effacer la souvenance, et trez à propos pour nous oster souvent de peine : « Quand feut entamee telle besongne, quand achevee; Quels trains

* C'est-à-dire : « qui rendrait leur situation telle que, s'ils n'étaient pas contens, c'est qu'ils manqueraient de jugement et de raison ». (Discours est dans le texte pour raison).

y ont passé, combien arresté **; Nos voyages, nos absences, mariages, morts; La reception des heureuses ou malencontreuses nouvelles; Changement des serviteurs principaulx; telles matieres ». Usage ancien, que ie treuve bon à refreschir, chascun en sa chascuniere et me treuve un sot d'y avoir failly.

:

* C'est-à-dire, « quelles personnes sont venues chez lui, avec quels équipages, et combien de tems elles y sont restées ».

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SOMMAIRE.

CHAPITRE XXXV.

De l'usage de se vestir.

La nature nous a-t-elle formés pour être vêtus? Il y a des nations, comme des individus, qui se sont accoutumés à vivre ou nus ou presque nus: et cependant la rigueur du froid est extrême dans plusieurs contrées. Exemples: les Américains; le Fou d'un duc de Florence; le roi Massinissa; l'empereur Sévère; les Égyptiens; Agésilas; César; Annibal; les habitans du Pégu; le roi de Pologne; le roi du Mexique.

Ου U que ie veuille donner, il me fault forcer quelque barriere de la coustume: tant elle a soigneusement bridé toutes nos advenues! Ie devisois, en cette saison frilleuse, si la façon d'aller tout nud, de ces na

par

tions dernierement trouvees, est une façon forcee la chaulde temperature de l'air, comme nous disons des Indiens et des Mores, ou si c'est l'originelle des hommes. Les gents d'entendement, d'autant que tout ce qui est soubs le ciel, comme dict la saincte parole, est subiect à mesmes loix, ont accoustumé en pareilles considerations à celles icy, où il fault distinguer les loix naturelles, des controuvees, de recourir à la generale police du monde, où il n'y peult avoir rien de contrefaict. Or, tout estant exactement fourny ailleurs de filet et d'aiguille pour maintenir son estre, il est mescreable * que nous soyons seuls products en estat defectueux et indigent, et en estat qui ne se puisse maintenir sans secours estrangier. Ainsi ie tiens que, comme les plantes, arbres, animaulx, et tout ce qui vit, se treuve naturellement equippé de suffisante couverture pour se deffendre de l'iniure du temps,

Proptereaque ferè res omnes, aut corio sunt,

Aut setâ, aut conchis, aut callo, aut cortice tectæ ',

aussi estions nous : mais, comme ceulx qui esteignent par artificielle lumiere celle du iour, nous avons es

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« Et que, pour cette raison, presque tous les êtres sont couverts ou de cuir, ou de poil, ou de coquilles, ou d'écorce, ou de callosités ». Lucret. L. IV, v. 933.

* Il n'est pas croyable.

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