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en restoit cela, que, quand il visitoit les villages qui despendoient de luy, on luy dressoit des sentiers au travers des hayes de leurs bois par où il peust passer bien à l'ayse». Tout cela ne va pas trop mal: mais quoy! ils ne portent point de hault de chausses.

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CHAPITRE XXXI.

Qu'il fault sobrement se mesler de iuger des ordonnances

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divines.

SOMMAIRE. On ne croit rien si fermement que les choses qui ne peuvent être soumises au raisonnement. Les gens qui exercent des professions dans lesquelles presque tout est conjectural, sont aussi ceux qui parlent avec le plus d'assurance. Pour appuyer la vérité de la religion chrétienne, il ne faudrait jamais apporter en preuves le succès de telles ou telles entreprises; c'est donner matière à toutes sortes de contestations. Les événemens sont dus à des causes que Dieu seul connaît, et qu'il n'est donné à l'homme d'expliquer. Exemples: Coligny et le duc d'Anjou; D. Juan d'Autriche; Arius; le pape Léon; Héliogabale; Saint-Irenée; SaintAugustin.

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vray champ et subiect de l'imposture sont les choses incogneues d'autant que, en premier lieu, l'estrangeté mesme donne credit; et puis, n'estants point subiectes à nos discours ordinaires, elles nous

ostent le moyen de les combattre. A cette cause, dict Platon', est il bien plus aysé de satisfaire parlant de la nature des dieux, que de la nature des hommes: parce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carriere et toute liberté au maniement d'une matiere cachee. Il advient de là qu'il n'est rien creu si fermement que ce qu'on sçait le moins; ny gents si asseurez que ceulx qui nous content des fables, alchymistes, prognosticqueurs, iudiciaires **, chiromantiens, medecins, id genus omne 2: ausquels ie ioindrois volontiers, si i'osois, un tas de gents, interpretes et contreroolleurs ordinaires des desseings de Dieu, faisants estat de trouver les causes de chasque accident, et de veoir dans les secrets de la volonté divine les motifs incomprehensibles de ses œuvres; et, quoyque la varieté et discordance continuelle des evenements les reiecte de coing en coing, et d'orient en occident, ils ne laissent de suyvre pourtant leur esteuf *2, et de mesme creon peindre le blanc et le noir. En une nation indienne il y a cette louable observance : Quand il leur mesadvient en quelque rencontre ou battaille, ils en demandent publicquement pardon au soleil, qui est leur dieu, comme d'une

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Dans le dialogue intitulé Critias.

«< Et tous les gens de cette espèce ». Hor. L. 1, sat. 2, V. 2.

* Astrologues.

* Leur balle, au propre; au figuré, leur jeu.

action iniuste; rapportants leur heur ou malheur à la raison divine, et luy soubmettants leur iugement et discours.

Suffit à un chrestien croire toutes choses venir de Dieu, les recevoir avecques recognoissance de sa divine et inscrutable sapience; pourtant les prendre en bonne part, en quelque visage qu'elles luy soyent envoyees. Mais ie treuve mauvais, ce que ie veois en usage, de chercher à fermir et appuyer nostre religion par le bonheur et prosperité de nos entreprinses. Nostre creance a assez d'aultres fondements, sans l'auctoriser par les evenements; car, le peuple accoustumé à ces arguments plausibles et proprement de son goust, il est dangier, quand les evenements viennent à leur tour contraires et desadvantageux, qu'il en esbransle sa foy comme aux guerres où nous sommes pour la religion, ceulx qui eurent l'advantage au rencontre de la Rochelabeille 3, faisants grand'feste de cet accident, et se servants de cette fortune pour certaine approbation de leur party; quand ils viennent aprez à excuser leurs desfortunes de Montcontour et de Iarnac sur ce que sont verges et chastiments 4

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3 Grande escarmouche entre les troupes de l'amiral de Coligny et celles du duc d'Anjou, au mois de mai 1569.

4 La bataille de Montcontour gagnée par le duc d'Anjou, en 1569, au mois d'octobre. Ce prince avait gagné celle de Jarnac au mois de mars de la même année.

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ternels, s'ils n'ont un peuple du tout à leur mercy, ils luy font assez ayseement sentir que c'est prendre d'un sac deux moultures, et de mesme bouche souffler le chauld et le froid. Il vauldroit mieulx l'entretenir des vrays fondements de la verité. C'est une belle battaille navale qui s'est gaignee ces mois passez contre les Turcs, soubs la conduicte de Dom Ioan d'Austria: mais il a bien pleu à Dieu en faire aultresfois veoir d'aultres telles à nos despens. Somme, il est malaysé de ramener les choses divines à nostre balance, qu'elles n'y souffrent du deschet. Et qui vouldroit rendre raison de ce que Arrius, et Leon 6 son pape, chefs principaulx de cette heresie, moururent en divers temps de morts si pareilles et si estranges (car retirez de la dispute, par douleur de ventre, à la garderobe, touts deux y rendirent subitement l'ame), et exaggerer cette vengeance divine par la circonstance du lieu, y pourroit bien encores adiouster la mort de Heliogabalus, qui feut aussi tué en un retraict *3: mais quoy! Irenee se treuve engagé

5 En 1571.

6 Voyez Sandius, Nucleus Hist. Eccles., et les Centuriateurs de Magdebourg. cent. 4, c. 10.

7 St.-Athanase, Epist. ad Serapionem, et Épiphanes, L. II, de Morte Arii, rapportent la mort d'Arius de la même manière.

★3 C'est-à-dire, dans des latrines: in latriná ad quam confugerat occisus. Ælii Lampridii Heliogabalus.

en mesme fortune. Dieu nous voulant apprendre que les bous ont aultre chose à esperer, et les mauvais aultre chose à craindre, que les fortunes ou infortunes de ce monde : il les manie et applique selon sa disposition occulte, et nous oste le moyen d'en faire sottement nostre proufit. Et se mocquent ceulx qui s'en veulent prevaloir selon l'humaine raison : ils n'en donnent iamais une touche, qu'ils n'en reçoivent deux. Saint Augustin en faict une belle preuve sur ses adversaires. C'est un conflict qui se decide par les armes de la memoire plus que par celles de la raison. Il se fault contenter de la lumiere qu'il plaist au soleil nous communiquer par ses rayons; et qui * eslevera ses yeulx pour en prendre une plus grande dans son corps mesme, qu'il ne treuve pas estrange si, pour la peine de son oultrecuidance, ily perd la vue. Quis hominum potest scire consilium Dei? aut quis poterit cogitare quid velit Dominus ? 8.

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"

Quel homme peut connaître les desseins de Dieu, ou imaginer ce que veut le Seigneur ». Sapient. c. 9, v. 13.

*4 Et celui qui.

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