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qui paroisse pour le present au monde, est celuy des Turcs, peuples egalement duicts à l'estimation des armes et mespris des lettres. Ie treuve Rome plus vaillante avant qu'elle feust sçavante. Les plus belliqueuses nations en nos iours sont les plus grossieres et ignorantes : les Scythes, les Parthes, Tamburlan *22, nous servent à cette preuve. Quand les Gots ravagerent la Grece, ce qui sauva toutes les librairies d'estre passées au feu, ce feut un d'entre eulx qui sema cette opinion, qu'il falloit laisser ce meuble entier aux ennemis, propre à les destourner de l'exercice militaire, et amuser à des occupations sédentaires et oysifves 58. Quand nostre roy Charles huictiesme, quasi sans tirer l'espee du fourreau, se veit maistre du royaume de Naples et d'une bonne partie de la Toscane, les seigneurs de sa suitte attribuerent cette inesperee facilité de conqueste à ce que les princes et la noblesse d'Italie s'amusoient plus à se rendre ingenieux et sçavants, que vigoreux et guer

riers.

38 Philippi Camerarii, Medit. Histor. Cent. III, c. 51.

*22 Tamerlan.

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CHAPITRE XXV'.

De l'institution des enfants.

A MADAME DIANE DE FOIX, COMTESSE DE GURSON.

SOMMAIRE. I. On peut, on doit même recourir aux an

ciens, lorsqu'il s'agit de traiter un sujet important; mais de croire qu'il faille tout emprunter d'eux, et que, par ce moyen, on en imposera aux lecteurs instruits, c'est une erreur trop commune. II. L'éducation des hommes commence dès qu'ils sont nés; il est difficile de juger par leurs premières inclinations, de ce qu'ils seront un jour. La science convient surtout aux personnes d'un haut rang; non celle qui apprend à argumenter, à ergoter, mais celle qui rend habile dans le commandement des armées, et le gouvernement des peuples. — III. Le succès de l'éducation

Dans ce chapitre, un des plus importans de l'Ouvrage, Montaigne développe ses principes sur l'éducation des enfans; il en avait seulement jeté les bases dans le chapitre précédent. C'est la source où sont venus puiser tour-à-tour et Charron et Rousseau. Mon intention est bien de faire observer les rapports très-curieux qui existent entre les opinions de ces trois philosophes. Mais, pour éviter les répétitions, je ne ferai la plupart de ces rapprochemens, que dans mes notes sur Charron qu'il faut considérer comme imitateur de Montaigne, Rousseau. et comme imité par

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dépend du choix d'un gouverneur. Il faut que l'homme qui se dévoue à cette profession, ait la tête mieux faite que bien remplie; qu'il ait du jugement et des mœurs plutôt que de la science; il faut qu'il se contente d'aider l'élève 'à s'ouvrir lui-même la route du savoir; qu'au lieu de lui parler sans cesse, il l'écoute à son tour. L'élève ne doit pas adopter servilement les opinions des autres, n'en charger que sa mémoire; il faut qu'il se les approprie, qu'il les rende siennes. IV. Le profit qu'on retire de l'étude est de devenir meilleur. Tout ce qui se présente aux yeux, doit être un sujet d'observations. Les voyages sont utiles, mais faits d'après un meilleur système. Il faudrait voyager dès la plus tendre enfance; s'habituer aux fatigues; fortifier son corps en même tems que son âme. - IV. Il faut inspirer à un jeune homme de la modestie, du courage, de la sincérité, de l'affection pour le prince, etc. VI. II faut lui inspirer une honnête curiosité, le désir surtout de connaître l'Histoire; quel profit il tirera de cette étude. On y joindra la fréquentation du monde. Le monde doit être le livre d'un jeune homme. - VII. C'est surtout à la philosophie qu'il doit rendre un culte assidu. Qu'il borne l'étude des sciences et des arts à ce qu'ils ont d'utile : avant de s'appliquer à bien connaître le cours des astres, il doit observer ses propres penchans, et chercher les moyens de les bien régler. C'est alors qu'il pourra se livrer avec plus de goût à certaines sciences, telles que la logique, la géométrie, la physique, et enfin aux lettres. Mais qu'il rejette les arguties, l'ergotisme; c'est la cause du dédain que l'on affecte pour la philosophie. La vraie philosophie est celle qui ne s'occupe que d'objets utiles. Elle n'a point l'aspect triste et refrogné. Elle peut se mêler aux jeux et exercices des enfans. VIII. Comment on doit gouverner les enfans dans leurs études. Point de violence, mais point de

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mollesse. Dangers des châtimens rigoureux. Il faut que tous les mets leur paraissent bons; qu'aucune manière ne leur semble trop étrange; qu'ils puissent faire tout ce qui leur plaît, mais qu'ils ne désirent faire que ce qui est louable et bon. C'est par leurs actions qu'on jugera de leurs progrès qu'ils soient moins savans dans les mots que dans les choses. Ils doivent mépriser toutes les subtilités sophistiques de l'école. On rend trop difficile l'étude du grec et du latin. Il est des moyens plus simples d'apprendre ces langues.

Exemples le philosophe Chrysippe; Capilupus; JusteLipse; - Cimon; Thémistocles;-Socrates; Archésilas; — Tite-Live; Plutarque; Socrates; Pythagore; Anaximènes; Demetrius le grammairien et Héracléon de Mégare; Socrates; Aristote et Alexandre; Isocrates; le philosophe Speusippe; Germanicus; Callisthènes; Alcibiade; Héraclides; Diogènes; Zeuxidamus; les Ambassadeurs de Samos et Cléomènes roi de Sparte; deux Architectes d'Athènes; Caton; Aristippe; Chrysippe; Michel Montaigne dans son enfance.

I. IE ne veis iamais pere, pour teigneux ou bossé que feust son fils, qui laissast de l'advouer; non pourtant *, s'il n'est du tout enyvré de cette affection, qu'il ne s'apperçoive de sa defaillance; mais

* Ce n'est pas, à moins qu'il ne soit trop enivré de cette affection, qu'il ne s'aperçoive de ses défectuosités.

tant y a qu'il est sien : aussi **

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que

mieulx

que tout aultre que ce ne sont icy que resveries d'homme qui n'a gousté des sciences la crouste premiere en son enfance, et n'en a retenu qu'un general et informe visage; un peu de chasque chose, et rien du tout à la françoise. Car, en somme, ie sçay qu'il y a une medecine, une iurisprudence, quatre parties en la mathematique, et grossierement ce à elles visent; et à l'adventure encores sçay ie la quoy pretention des sciences en general au service de nostre vie: mais d'y enfoncer plus avant, de m'estre rongé les ongles à l'estude d'Aristote de d'Aristote monarque de la doctrine moderne, ou opiniastré aprez quelque science, ie ne l'ay iamais faict; ny n'est art de quoy ie sceusse peindre seulement les premiers lineaments; et n'est enfant des classes moyennes qui ne se puisse dire plus sçavant que moy, qui n'ay seulement de quoy l'examiner sur sa premiere leçon, au moins selon icelle; et, si l'on m'y force, ie suis contrainct assez ineptement d'en tirer quelque matiere de propos universel, sur quoy i̇'examine son iugement naturel : le

pas

* Voici, je crois, comme on peut interpréter, en la développant, l'idée de Montaigne : « de même qu'un père aime ses enfans quels qu'ils soient, de même je suis attaché aux idées que je vais émettre, quoique je reconnaisse, mieux que tout autre, que ce ne sont que les rêveries d'un homme qui n'a qu'une connaissance très-superficielle et imparfaite des sciences ».

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