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gnage de l'imbecillité humaine, il a esté remarqué les anciens, que Diodorus le dialecticien mourut sur le champ, esprins d'une extreme passion de honte pour, en son eschole et en public, ne se pouvoir desvelopper d'un argument qu'on luy avoit faict 13. Ie suis peu en prinse de ces violentes passions i'ai l'apprehension naturellement dure; et l'encrouste * et espessis touts les iours par discours.

13 Plin. Hist. Nat. L. VII, chap. 53.

*7 Et je l'encroûte, etc.

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Nos affections s'emportent au delà de nous.

SOMMAIRE. I. Un sentiment naturel nous porte

à nous

inquiéter de l'avenir: d'un autre côté, la sagesse voudrait qu'on s'occupât de préférence de ses propres affaires, et qu'on travaillât conséquemment à se bien connaître. II. ** C'était une loi très-sage que celle qui ordonnait d'examiner la conduite des rois après leur mort. · III. Exa

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*Ce chapitre n'avait guères dans la première édition (1580), que trois pages; il ne contenait aucune observation, mais seulement la citation des traits relatifs à Duguesclin, à Bayard et à l'Empereur Maximilien. Montaigne le refit presque entièrement, ainsi que plusieurs autres, pour les éditions subséquentes.

* Là Montaigne paraît abandonner son sujet. Comme il se livre, dans presque tous les chapitres de ses Essais, à des divagations continuelles, nous ne les ferons plus remarquer.

men de ce mot de Solon: on ne peut dire d'aucun homme, avant sa mort, qu'il a été heureux. IV. Les hommes veulent que les égards et la considération publique, ainsi que les faveurs du ciel, les accompagnent dans le tombeau. -V. Dangereuse et puérile superstition des Athéniens, au sujet de l'inhumation des morts.

Exemples: Platon; - Deux Guerriers devant Néron; Lacédémoniens à la mort de leurs rois; -Bertrand Duguesclin; Barthelemi d'Alviane; Nicias; Agesilas; Édouard I, roi d'Angleterre ; Robert, roi d'Ecosse; Jean Zisca; Bayard; l'empereur Maximilien; Cyrus; Marcus Emilius Lepidus; le philosophe Lycon; Capitaines vainqueurs punis par les Athéniens; Chabrias.

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I. CEULX qui accusent les hommes d'aller tousiours beeant *3 aprez les choses futures, et nous apprennent à nous saisir des biens presents et nous rasseoir en ceulx là, comme n'ayants aulcune prinse sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs, s'ils osent appeler erreur, chose à quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant comme assez d'aultres, cette imagination faulse, plus ialouse de nostre action que de nostre science.

Nous ne sommes iamais chez nous; nous sommes tousiours au delà: la crainte, le desir, l'esperance,

*3 De l'ancien verbe béer qui n'est plus d'usage, et qui signifiait regarder avec attention et avidité, bouche béante.

nous eslancent vers l'advenir, et nous desrobbent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius'.

Ce grand precepte est souvent allegué en Platon : «Fay ton faict, et te cognoy ». 2 Chascun de ces deux membres enveloppe generalement tout nostre debvoir, et semblablement enveloppe son compaignon. Qui auroit à faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c'est cognoistre ce qu'il est et ce qui luy est propre : et qui se cognoist, ne prend plus le faict estrangier pour le sien; s'aime et se cultive avant toute aultre chose; refuse les occupations superflues et les pensees et propositions inutiles. Comme la folie, quand on luy octroyera ce qu'elle desire, ne sera pas contente, aussi est la sagesse contente de ce qui est present, et ne se desplaist iamais de soy3. Epicurus dispense son sage de la prevoyance et soucy de l'advenir.

1

« Tout esprit inquiet de l'avenir est malheureux ». Senec. epist. 98.

2 V. Platon dans le Timée. Voici la traduction du passage: « c'est avec raison qu'on répète depuis longtems, que l'homme sage ne doit s'attacher qu'à ses propres affaires et se connaître soi-même ».

3 Cette réflexion est la traduction exacte de ce passage de Cicéron: Ut stultitia, etsi adepta est quod concupivit, nunquam se tamen satis consecutam putat : sic 'sapientia semper eo contenta est quod adest; neque cam unquam suí pœnitet. Tusc, quest. L. V, c. 18.

II. Entre les loix qui regardent les trepassez, celle icy me semble autant solide qui oblige les actions des princes à estre examinees aprez leur mort“. Ils sont compaignons, sinon maistres, des loix : ce que la iustice n'a peu sur leurs testes, c'est raison qu'elle le puisse sur leur reputation et biens de leurs successeurs; choses que souvent nous preferons à la vie. C'est une usance qui apporte des commoditez singulieres aux nations où elle est observee, et desirable à touts bons princes qui ont à se plaindre de ce qu'on traicte la memoire des meschants comme la leur.

Nous debvons la subiection et obeïssance egalement à touts roys, car elle regarde leur office; mais l'estimation, non plus que l'affection, nous ne la debvons qu'à leur vertu. Donnons à l'ordre politique de les souffrir patiemment indignes; de celer leurs vices; d'aider de nostre recommendation leurs actions indifferentes, pendant que leur auctorité a besoing de nostre appuy: mais notre commerce finy, ce n'est pas raison de refuser à la iustice et à nostre liberté, l'expression de nos vrays ressentiments; et nommeement de refuser aux bons subiects la gloire d'avoir reveremment et fidellement servi un maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cogneues ; frustrant la posterité d'un si utile exemple. Et ceulx qui, par respect de quelque obligation privee, espousent iniquement la memoire d'un prince meslouable,

4 Diodore de Sicile. L. I, c. 6.

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font iustice particuliere aux despens de la iustice publicque. Titus Livius dict vray «< que le langage des hommes nourris soubs la royauté, est tousiours plein de vaines ostentations et fauls tesmoignages » : chascun eslevant indifferemment son roy à l'extreme ligne de valeur et grandeur souveraine. On peult reprouver la magnanimité de ces deux soldats qui respondirent à Neron, à sa barbe, l'un enquis de luy pourquoy il lui vouloit mal : « le t'aimoy quand tu le valois; mais depuis que tu es devenu parricide, boutefeu, basteleur, cocher, ie te hay comme tu merites » : l'aultre, pourquoy il le vouloit tuer; « parceque ie

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ne treuve aultre remede à tes continuels malefices >> : mais les publics et universels tesmoignages qui, aprez samort, ont esté rendus, et le seront à tout iamais à luy et à touts meschants comme lui, de ses tyranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peult reprouver?

Il me desplaist qu'en une si saincte police que la lacedemonienne, se feust meslee une si feincte cerimonie : à la mort des roys, touts les confederez et voisins, et touts les Ilotes, hommes, femmes, peslemesle, se descoupoient le front, pour tesmoignage de dueil, et disoient en leurs cris et lamentations, que celuy-là, quel qu'il eust esté, estoit le meilleur roy de touts les leurs ; attribuant au reng le loz qui

5 L. XXXV, c. 48, no. 2.
6 Tacit. Annal. L. XV, c. 67.
7 Hérodote. L. VI.

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