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corps. Quoiqu'il n'y ait, difent - ils, aucun vuide répandu dans l'eau, un poiffon avance librement, parce qu'à mefure qu'il avance, il laiffe de la place par derriere, où l'eau coule & fe retire par un espece de mouvement circulaire. Mais cette réponse ne réfout pas la difficulté; car il paroît que s'il n'y a point de vuide, il n'y aura pas la moindre partie de l'eau qui ait le pouvoir de commencer à fe remuer, de céder & de quitter fa place, Comment le poiffon pourra-t-il avancer, & agir au milieu d'une maffe qui eft également résistante de tous côtés, remplie de corps, qui, ne pouvant se pénétrer, ne doivent céder que par le fecours de certains espaces vuides qui puiffent les recevoir (1). Ainfi, loin que le mouvement du poiffon dans l'eau ferve de preuve contre

1 Nam quò fquammigeri poterunt procedere tandem

Ni Spatium dederint latices? Concedere porro,
Quò poterunt undæ, cum pifces ire nequibunt ?
Aut igitur motu privandum eft corpora quæ-

que,

Aut effe admiftum dicendum eft rebus Inane, Unde initum primum capiat res quæque movendi.

Lucretius, de Rerum Naturâ, Lib. I. Verf. 380.

tention qu'on fait à un feul & unique attribut par l'abftraction qu'on fait de tous les autres, il ne fuit point du tout que ces autres ne puiffent fubfifter fans lui, & qu'il ne puiffe fubfifter fans les autres. Je puis trouver un attribut particulier auquel je m'arrêterai, & que je fuppoferai conftituer l'effence du corps : fije tiens fur ma main une fphere pefante, par abstraction je puis concevoir que la pefanteur eft toute dans fon centre, & ne faire attention qu'à l'idée de ce centre; il feroit pourtant abfurde que je concluffe de-là que la nature & l'effence du corps confifte dans fa gravité. D'ailleurs, tout ce qui eft dans le corps, ne nous est point connu, ou du moins ne pouvons-nous démontrer qu'il nous le foit: ainfi nous ne favons point précisément ce qui le conftitue ; & parce que nous n'appercevons que fept ou huit attributs dans le corps, nous ne devons point affurer qu'il n'y en puiffe avoir d'autres, fans lefquels fon exiftence foit auffi impoffible que fans les fept ou huit qui nous font connus. Si la nature d'une chofe confifte en trente attributs nécessaires & inféparables les

uns des autres, & qu'on en prenne dix, il feroit ridicule de conclure qu'on eût cette chose qui en exige trente abfolument; on en auroit au contraire une autre qui n'en demande que dix pour former fon existence. Il en est de même du corps, dont nous ne pouvons démontrer que nous connoiffons les attributs; ainfi nous ne favons point précifément ce qui conftitue fon effence.

La plupart des Philofophes ont fur cette question des fentiments très-différents. Ceux qui veulent que la nature du corps confifte dans la folidité, me paroiffent mieux fondés que les autres qui la font réfider dans l'extenfion. "La folidité, dit Locke, eft une idée fi ,, inféparable du corps, que c'est parce » que le corps eft folide,qu'il remplitl'ef » pace,qu'il touche un autre corps,qu'il ,, le pouffe, & par-là lui communique

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du mouvement. Que fi l'on peut prou» ver que l'efprit eft différent du corps, » parce que ce qui pense n'enferme point l'idée de l'étendue, fi cette rai,, fon eft bonne, elle peut, à mon avis, fervir tout auffi-bien à prouver que » l'espace n'eft pas corps, parce qu'il

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,, n'enferme que l'idée de la folidité, » l'efpace & la folidité étant des idées » auffi différentes entr'elles que la pen, fée & l'étendue ; en forte que l'efprit » peut les féparer entiérement l'un de

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l'autre. Il eft donc évident que le » corps & l'étendue font deux idées dif ,, tinctes (1),,.

Lorfque les Cartéfiens exigent qu'on leur explique & qu'on leur faffe comprendre ce pur efpace étendu & dénué de tout corps, on peut leur demander à eux-mêmes d'expliquer ce que c'eft que l'étendue dont ils parlent tant; & s'ils ne répondent qu'à leur maniere ordinaire, & difent que l'étendue, c'est d'avoir partes extra partes, c'est-à-dire, que l'étendue eft étendue, (car ce n'est dire autre chofe, que de répondre que la nature de l'étendue confifte à avoir des parties étendues, extérieures à d'autres parties étendues) n'eft-on pas en droit de leur reprocher qu'ils n'éclairciffent point ce qu'on leur demande, & qu'il en eft d'eux comme d'un Médecin, qui, interrogé fur la qua

1 LOCKE, Effai Philofophique fur l'Entendement Humain, Livr. II. Chap. XIII. pag. 187.

:

lité & la nature des nerfs, répondroit que ee font des chofes compofées de nerfs? Mais, objecte-t-on, il n'y a que la fubftance & l'accident qui méritent le nom d'être. L'efpace n'eft ni fubftan ce, ni accident; il n'eft donc point un être, & par conféquent n'existe point. Je réponds à cela, qu'il eft vrai que l'efpace pur n'eft ni fubftance ni accident, mais qu'il eft le lieu des fubftances & des accidents, & un être à sa maniere étant inconcevable qu'une fubf tance existe, & qu'elle n'existe point en aucun lieu. Ainfi l'efpace ne peut être ni fubftance ni accident, de même que la fubftance ou l'accident ne peuvent être l'espace ; & fi l'on en demande une explication plus claire, & qu'on perfifte à nier qu'il foit un être, on eft en droit de répondre qu'après avoir dit que l'espace est une certaine étendue, qui fait que deux choses font éloignées l'une de l'autre, & que c'est une certaine capacité propre à recevoir les corps › on eft en droit, dis-je, de répondre qu'il eft des choses dont on ne peut exiger que certaine définition; parce que dès qu'on eft venu à ce qu'il y a de plus connu,

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