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RÉFLEXIONS

PHILOSOPHIQUES

SUR L'INCERTITUDE Des Connoiffances Humaines.

SUITE DE LA TROISIEME RÉFLEXION.

§. XII.

Des raisons qu'ont les Gaffendiftes pour admettre des espaces incorporels

V

du Vuide dans le Monde.

OUS avez déja vu, Madame, que Gaffendi définit la nature

ou l'effence du corps différem

ment que Defcartes. Il la fait

confifter dans la folidité, comme étant

ce qu'il y a de premier dans la matiere, &

Tome II.

A

la caufe originaire de l'étendue. "Nous ,, concevons, dit ce Philofophe, que ce », qui fait que deux parties de matiere » gardent leur étendue, ou demeurent

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"

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de fuite l'une hors de l'autre fans fe ,, réduire & fe confondre dans un feul ,, & même lieu, c'eft parce qu'elles fe réfiftent mutuellement l'une à l'autre, » & qu'elles fe réfiftent, parce qu'elles " font dures & folides: d'où il faut in,, férer que l'on doit plutôt faire confifter l'effence de la matiere dans la folidité qui eft premiere, que dans l'étendue, ou, fi l'on veut, que dans ,, l'impénétrabilité, qui font des fuites néceffaires de la folidité,,. C'est en vain, continue-t-il, qu'on voudroit objeter qu'il eft des corps qui, n'ayant aucune folidité, comme l'air, l'eau, le feu, & bien d'autres choses matérielles, cefferoient d'être corps fi la folidité faifoit leur effence, puifque n'étant point folides, n'ayant aucune dureté ni réfiftance, ils n'auroient plus cette nature ou cette effence qui fait qu'ils existent ou qu'ils n'exiftent pas. Il n'est aucun corps, quelque mou qu'il paroiffe, qui n'ait quelque folidité. D'ailleurs, les

premieres & les principales parties dont tous font compofés, font extrêmement folides; & ceux qu'elles forment na paroiffent mous & fans réfiftance, que par les petits vuides qui font interceptés entr'elles, & qui leur donnent moyen de céder ailément. Si l'on confidere la poudre de diamant, on verra que, quoiqu'elle paroiffe molle, les parties dont elle eft compofée font extrêmement dures.

Si l'effence du corps confifte dans fa folidité, comme le dit Gaffendi, ou dans l'étendue déterminée, folide & impénétrable, comme prétendent quelques-uns de fes éleves, le vuide eft nonfeulement poffible, mais il eft même néceffaire pour réaliser l'effence des corps mous, qui cedent fans résistance · par fon fecours, comme nous venons de le voir.

Les Philofophes qui mettent l'espace incorporel, prétendent (1) que s'il n'y

1 Effe vero etiam Inane, ex eo manifeftum fit, quod, nifi in rerum natura effet, non haberent corpora, neque ubi effent, neque quâ motus fuos obirent, cam moveri ea quidem res evidens fit.

Sane, fi plena forent omnia, & materia rerum veluti ftipata, non poffent non effe omnia immobilia quia nec moveri quidquam poffet, nifi omnia

avoit point de vuide dans le monde, il ne pourroit y avoir de mouvement, & qu'aucun corps ne pourroit paffer d'un lieu à un autre. Tout étant occu pé, où se logeroit-il? Il ne peut fe placer avec un autre corps : ce feroit introduire une pénétration de dimenfion, contraire à l'ordre de la nature; il faut donc qu'il y ait quelque efpace vuide pour recevoir les corps. Si tout étoit rempli, il feroit impoffible à ces mêmes corps qu'aucun d'eux pût croître & augmenter; les aliments, ou fi l'on veut, les parties par le moyen defquelles fe fait leur accroiffement, ne pourroient fe répandre & s'écouler, par l'empêchement qu'elles rencontreroient en d'autres parties qui occupoient déja la place.

Les Cartéfiens répondent à ces objections, que le mouvement fe fait par la facilité que les corps ont de céder, les plus foibles & les plus mous aux plus durs & aux plus folides, comme Pair & le feu cedent & font place à nos

protruderet, neque locus porro, in quem quidquam protruderetur, eflet. Syntagm. Philosoph. Epicuri, Part. I. pag. 27. Edit. in-4.

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