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matiere ou les parties de la matiere pourroient être divifées, n'étoient ni finies, ni infinies (1). N'eft-il pas abfurde de dire qu'une chofe n'eft point finie, qu'elle n'eft point infinie, mais qu'elle eft indéfinie? J'aimerois autant qu'un homme à qui l'on demanderoit fi les bouteilles de vin qui font dans fa cave, font en nombre pair ou impair, répondît qu'elles font en nombre indépair. S'il en avoit bu quelques-unes, je lui pafferois cette réponse; car il faut avoir réellement le cerveau troublé pour af furer qu'une chofe eft, & n'eft d'aucune maniere. Je rends trop de juftice à Def cartes qui a été réellement un des grands hommes que l'Europe ait eue, pour croire qu'il pensât réellement que les parties de la matiere n'étoient ni finies, ni infinies. Il fentoit qu'il répugnoit à la raifon que les parties d'un tout fini fuffent infinies, & qu'il y en eût dans le pied d'un moucheron une auffi grande quantité que dans toute la terre.. D'un autre côté, l'extenfion qu'il difoit être l'effence du corps, l'empêchoit

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I Nos neque ex quibufdam, neque ex tot vel tot, neque ex finitis, neque ex infinitis conftare.

d'approuver la dureté des atômes, qui ne recevant point de vuide, font plus indivifibles par leur folidité & leur impénétrabilité, que par leur petiteffe. Dans ces deux extrêmités, il tâchoit de fe tirer d'affaire, en ne décidant point entiérement la question.

Il a été obligé d'agir de la même maniere, lorfqu'il a parlé des bornes de l'univers. Comme il n'admettoit point d'efpace incorporel, il s'en fuivoit dé fon fyftême que par-tout où il y a de l'és tendue, il y a de la matiere ; & parce que quelque part qu'on veuille feindre, on peut encore concevoir au-delà des efpaces étendus, il fe trouvoit forcé de conclure que l'étendue étant infinie la matiere l'étoit par conféquent; ce qui devenoit fujet non-feulement à de gran des erreurs, mais même à des conféquences très-dangereufes pour la Religion. Pour fe tirer de ce pas fcabreux il eut recours encore à l'indéfinité, & foutint que l'étendue du monde étoit indéfinie. Je m'étonne comment Descartes, lui qui avoit fi févérement repris les Scholaftiques de l'abus qu'ils faifoient des mots, ofa tomber dans le

même cas, & put dans deux choses très-effentielles ne fonder fon fentiment que fur un jeu de mots & un quolibet; car comment peut-on traiter autrement ce terme qui ne définit rien, & ne porte aucune idée dans l'entendement, fi ce n'eft celle du peu de certitude qu'a la Philofophie qui fe fert d'un pareil subterfuge?

Je vois déja, Madame, frémir tous les Cartéfiens, & me traiter d'ignorant; mais,

Duffent les Grecs encor fondre fur un Rebelle,

je n'avouerai jamais qu'il foit décent à un Philofophe d'abuser des mots, de fe jouer de bagatelles, & de vouloir en imposer aux hommes. J'aurois mieux aimé que Descartes eût avoué bonnement que la matiere étoit infinie, comme il le croyoit intérieurement, que d'avoir déguifé fa penfée, & d'avoir eu recours à cette prétendue indéfinité. Je fais que bien des gens trouveront étrange que j'ofe critiquer un auffi grand homme que Descartes, que je refpecte peut

être plus qu'eux-mêmes; mais je leur dis hardiment que non-feulement je penfe que le fyftême de Descartes eft défectueux en bien des chofes qui ne font pas aifées à digérer, mais même qu'il eft très-aifé à quiconque le fuit entiérement, de devenir Spinofifte. Quelque favant qu'il fût, il étoit homme, & comme tel, il étoit fujet à l'humanité; s'il a éclairci un grand nombre de difficultés, il a auffi donné quelquefois dans l'erreur ; c'eft-là du moins le jugement que fait de fes ouvrages un de fes plus fameux difciples (1).

I M. Defcartes étoit homme comme les autres, fujet à l'erreur & à l'illufion comme les autres. Il n'y a aucun de fes Ouvrages, fans même en excepter fa Géométrie, où il n'y ait quelque mar que de la foibleffe de l'efprit humain. Il ne faut donc point le croire fur fa parole, mais le lire, comme il nous en avertit lui-même, avec précaution, en examinant s'il ne s'eft point trompe, & ne croyant rien de ce qu'il dit, que ce que l'évidence & les reproches fecrets de notre raifon nous obligeront de croire. Mallebranche, de la recherche de la Vérité, Liv. III. Chap. IV. pag. 186.

§. XVIII.

Les principales preuves de Spinofa font tirées du fyftême de Descartes. Spinola n'admettoit qu'une feule fubf

tance matérielle & infinie; il en prouvoit l'infinité de la même maniere que Descartes prouve fon indéfinité. On ne peut, difoit-il, donner aucune borne à T'étendue. A quelque point que notre efprit fe fixe, il conçoit au-delà une étendue, que non-feulement il imagine, mais qu'il connoît devoir être telle qu'il fe l'imagine. Il faut donc, l'étendue étant infinie, que la fubftance le foit auffi, puifque la fubftance s'étend par-tout où il y a de l'étendue. Or, puifque cette fubftance eft infinie, & qu'il ne peut y avoir deux infinis, je dois l'appeller Dieu, ou la caufe efficiente de tous les autres êtres, qui ne font que des modes de cette fubftance infinie > qui les produit tous elle feule, & qui les reçoit tous dans fon fein, lorsqu'ils changent de figure, ou qu'ils font détruits.

Si cette fubftance, continuoit Spi

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