Page images
PDF
EPUB

n'avaient pu demeurer d'accord: ils avaient demandé de nouveaux ordres à Milan et à Venise; et leurs gouvernements s'étaient décidés à permettre au roi de se retirer sans combat; les ambassadeurs d'Espagne et d'Allemagne, espérant que leurs maîtres recueilleraient les fruits de la guerre sans être exposés à aucun danger, avaient vainement remontré que l'honneur des armées italiennes serait compromis, si elles n'osaient combattre un ennemi si inférieur en forces, et que les Français ne tarderaient pas à redescendre les Alpes, s'ils étaient assurés que les Italiens ne montreraient jamais le visage 1.

Les provéditeurs vénitiens ne voulurent donc point rejeter absolument les ouvertures de Comines: ils répondirent que le duc d'Orléans, en attaquant Novare, avait commencé les hostilités; que dès lors leurs dispositions n'étaient plus si pacifiques; que cependant l'un d'eux se rendrait volontiers le lendemain à moitié chemin entre les deux armées, pour rencontrer le négociateur français. Cette réponse parvint à Comines le dimanche soir. Les Français passèrent la nuit dans leur camp avec beaucoup d'inquiétude, soit à cause de deux alarmes données successivement par les Stradiotes, contre lesquels on ne s'était point assez soigneusement mis en garde, soit à cause d'une pluie orageuse, accompagnée d'éclairs et de tonnerres, qui commençait déjà à gonfler le Taro; les éclats de la foudre retentissaient dans les gorges de l'Apennin, tandis que le torrent roulait avec fracas des rochers parmi ses flots 2.

Le lendemain, lundi 6 juillet, le roi, déjà armé et à cheval, fit appeler, à sept heures du matin, Comines auprès de lui; il le chargea d'aller avec le cardinal de Saint-Malo, déclarer aux Vénitiens qu'il ne voulait autre chose que continuer sa route, sans faire ni recevoir de dommages. En même temps il tra

1 Fr. Guicciardini. Lib. II, p. 101. - 2 Mémoires de Comines. Liv. VIII, chap. IX, p. 299. — Fr. Guicciardini. L. II, p. 102.

versa le Taro en face de Fornovo, pour continuer à le descendre sur la rive gauche, et passer devant le camp vénitien qu'il laissait sur la rive droite, à un quart de lieue de distance. Des escarmouches étaient engagées de tous côtés entre les troupes légères; et le canon commença à tirer au moment où la lettre de Comines et du cardinal de Saint-Malo parvint aux provéditeurs vénitiens. Ils montrèrent cependant encore quelque désir d'entrer en négociation; mais le comte de Caiazzo s'écria qu'il n'était plus temps de parlementer, et que les Français étaient déjà à demi vaincus. L'un des provéditeurs et le marquis de Mantoue furent du même avis; ils imposèrent silence à ceux qui voulaient encore traiter, et la bataille commença 1.

L'avant-garde française était commandée par le maréchal de Gié et Jean-Jacques Trivulzio: elle était forte de trois cent cinquante hommes d'armes, les meilleurs de l'armée; trois mille Suisses les suivaient, sous la conduite d'Engelbert de Clèves, frère du duc de Nevers, du bailli de Dijon, et de Lornay, grand écuyer de la reine: enfin, ils étaient soutenus par trois cents archers de la garde, auxquels le roi avait fait mettre pied à terre. Le roi, qui commandait la bataille, laissa partir cette avant-garde pendant qu'il passait la rivière, en sorte qu'elle était déjà parvenue en face du camp italien, lorsqu'il en était encore à une grande distance.Guynol de Lousières, un des maîtres d'hôtel du roi, et Jean de la Grange, bailli d'Auxonne, commandaient l'artillerie. Gilles Caronnel de Normandie portait l'enseigne des cent gentilshommes de la garde, et Aymar de Prie, celles des pensionnaires. Deux cents arbalètriers à cheval, les Écossais et deux cents archers français étaient conduits par M. de Crussols. Claude de la Chastre commandait le corps de bataille sous le roi, et l'as

4 Mémoires de Comines. Liv. VIII, ch. X, p. 305.

sistait de ses conseils. Enfin l'arrière-garde était commandée par MM. de Guise et de La Trémouille. Tous les bagages, portés par près de six mille bêtes de somme, furent envoyés du côté de la montagne qui était à quelque distance de l'armée, à sa gauche, sous la conduite du capitaine Odet de Riberac, mais sans troupes pour les couvrir 1.

L'armée italienne avait jusqu'alors observé les mouvements des Français, et les avait laissés se déployer sur la grève; mais lorsqu'ils furent en pleine marche, et que leurs trois corps se furent assez éloignés les uns des autres pour ne plus se soutenir, François de Gonzague fit commencer l'attaque. Pendant que le roi descendait sur la rive gauche du Taro, Gonzague remontait sur la droite : il avait occupé Fornovo, d'où les Français venaient de partir; et c'est là qu'il passa la rivière à leur suite, à la tête de six cents hommes d'armes, la fleur de toutes son armée, d'un gros escadron de Stradiotes, et de cinq mille fantassins. Il laissa sur l'autre rive Antoine de Montefeltro, fils naturel du précédent duc d'Urbin, avec une forte réserve, pour le seconder quand il en aurait besoin. Il avait ordonné que lorsqu'on le verrait engagé avec l'arrière-garde, un autre bataillon de Stradiotes passât la rivière un peu plus bas, et vînt donner sur les flancs de l'armée française, qu'un troisième suivit, sur la gauche et vers les montagnes, les bagages que le capitaine Odet cherchait à éloigner. D'autre part, le comte de Caiazzo, avec quatre cents gendarmes et deux mille fantassins, passa le Taro en face de l'avant-garde française, pour l'attaquer de front. Il laissa sur l'autre bord Annibal Bentivoglio, avec une réserve de deux cents hommes d'armes; enfin, les provéditeurs vénitiens demeurèrent chargés de la garde du camp, avec deux fortes

[ocr errors]

1 André de La Vigne, Journal, p. 158. Ph. de Comines. Liv. VIII, ch. XI, p. 307. — Fr. Guicciardini. L. II, p. 103.-Pauli Jovii Hist. sui temp. Lib. II, p. 68.—Arnoldi Ferroni. Lib. I, p. 16.

compagnies de gendarmerie et mille fantassins. Ainsi les Vénitiens se préparaient à attaquer en même temps l'armée française, en tête, en queue et en flanc: mais accoutumés aux batailles d'Italie, dans lesquelles un escadron se présentait après l'autre, et s'attendait toujours à être soutenu par des troupes nouvelles, ils négligèrent de faire usage de toutes leurs forces à la fois; ils affaiblirent leur armée par de fortes réserves qu'ils laissèrent au-delà du fleuve, et leur plus grande faute fut de ne pas régler d'avance la marche de ses réserves, pour qu'elles arrivassent successivement au combat 1.

Cependant l'attaque du marquis de Mantoue était conduite avec une grande bravoure : au premier choc entre sa gendarmerie et celle de l'arrière-garde française, toutes les lances volèrent en éclats; et les deux corps se mélèrent, combattant de près avec leurs masses d'armes et leurs estocs. Le roi, qui dans ce moment armait des chevaliers au corps de bataille, averti par le bruit qu'il entendait derrière lui, fit faire volteface à son corps d'armée, et vint secourir son arrière-garde. Il se séparait ainsi toujours plus de l'avant-garde qui, pendant cette marche rétrograde, continuait à avancer le long de la grève. Chacun courant plus ou moins vite, selon son ardeur à entrer dans le combat, le roi se trouva presque seul, tandis qu'un autre corps ennemi qui avait passé la rivière sur ses flancs n'était pas à cent pas de lui. Le bâtard de Bourbon, qui marchait à côté de lui, ayant tourné sur ces nouveaux ennemis pour les charger, fut emporté par son cheval et fait prisonnier. Charles VIII, à ce qu'on assure, se conduisit dans ce danger avec une remarquable intrépidité, se jetant hardiment au plus fort de la mêlée, encourageant ses soldats, et paraissant se croire assuré du secours divin 2.

1 Fr. Guicciardini. Lib. II, p. 104.

Pauli Jovii Hist. L. II, p: 69.

Barthol. Senarega de rebus Gen. T. XXIV, p. 554. — Petri Bembi Hist. Ven. Lib. II, p. 38:- - Andrea Navagiero Stor, Venez. p. 1205. 2 Phil. de Comines, Mémoires. L. VIII, ch. XI,

Les Français, attaqués par des forces très supérieures, n'auraient probablement pas pu résister longtemps, si quinze cents Stradiotes avaient exécuté les ordres qu'ils avaient reçus, et s'étaient mêlés avec les gendarmes; une fois 'que l'ordonnance des derniers était rompue, les Stradiotes, avec leurs longs sabres, acquéraient l'avantage sur des cavaliers armés de lances, et ils auraient fait un grand carnage des chevaliers francais. Mais au milieu du combat, ces troupes légères s'aperçurent que leurs camarades avaient atteint les bagages de l'ennemi, qu'ils se partageaient ce butin considérable, et qu'ils s'enrichissaient, tandis qu'eux ne trouvaient sur leur route que des dangers. Tous les Stradiotes quittèrent aussitôt la bataille pour se jeter sur les bagages qu'ils voyaient livrés au pillage : bientôt les fantassins, et même plusieurs gendarmes, prirent la même route. François de Gonzague, abandonné par ceux sur lesquels il avait le plus compté, perdit alors l'avantage qu'il avait eu au commencement. Son oncle, Rodolphe de Gonzague, avait été tué presque dès les premiers coups de lance. Il avait la commission de faire avancer Antoine de Montefeltro celui-ci ne recevant point d'ordre, resta immobile. François de Gonzague fut enfin repoussé : ses cavaliers en fuyant traversèrent la rivière, les uns pour rentrer dans leur camp, les autres pour se jeter sur Fornovo; et l'arrière-garde française, les poursuivant à bride abattue, s'éloigna du roi, qui se trouva de nouveau séparé de tous les siens, et exposé à d'assez grands dangers 1.

Pendant le même temps le comte de Caiazzo avait chargé l'avant-garde française, mais avec beaucoup moins d'ardeur: quand il fut arrivé sur le front de la gendarmerie française, il tourna bride sans rompre une lance, et commença à fuir,

p. 308.

--

Pauli Jovi Hist. sui temp. Lib. II, p. 68.

↑ Mémoires de Phil. de Comines. Lib. VII, ch. XI, p. 309. — Fr. Guicciardini. Lib. II, p. 105.—Pauli Jovii Hist, sui temp. Lib. II, p. 71.- Petri Bembi Histor. Ven. Lib. II, p. 68.

« PreviousContinue »