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avait enlevé un nombre prodigieux de captifs : mais lorsque dans sa retraite il fut parvenu sur les bords du Tagliamento, il ne voulut pas embarrasser son armée d'une si grande multitude, et, après avoir fait choix des prisonniers dont il pourrait tirer le meilleur service, il fit massacrer tous les autres 1.

Quoique les rois d'Espagne n'eussent presque point contribué à la guerre contre Charles VIII, ils étaient cependant entrés dans la précédente ligue d'Italie : mais le duc de Milan ne pouvait plus placer en eux aucune confiance; ils avaient formellement renoncé à leurs précédents engagements; et, par le traité que Ferdinand et Isabelle avaient signé avec Louis XII à Marcoussi, le 5 août 1498, ils n'avaient nommé, parmi les alliés qu'ils se réservaient le droit de secourir même contre la France, que l'empereur, l'archiduc son fils, le duc de Lorraine et le roi d'Angleterre, tandis qu'ils n'avaient fait une semblable réserve en faveur d'aucun des souverains d'Italie 2.

Le pape avait donné quelques espérances à Louis-le-Maure; toute son ambition était de faire épouser à son fils, César Borgia, une princesse de sang royal, et il avait porté ses vues sur Charlotte, fille de Frédéric, roi de Naples. Il chargea Louis-le-Maure de négocier pour lui ce mariage, qui devait être suivi d'une étroite alliance entre le pape, le roi de Naples, et le duc de Milan. Mais Frédéric et sa fille Charlotte sentaient, pour le prêtre apostat, bâtard et fils de prêtre, pour l'assassin de son frère et l'amant de sa sœur, une si invincible répugnance, qu'ils ne voulurent point à ce prix acheter leur sûreté. Sur leur refus, César Borgia épousa Charlotte, fille d'Alain d'Albret, et sœur du roi de Navarre. Cette alliance

1 Ann. eccles. 1499, § 7 et 8, p. 480. montii Hist. urbis Mediol. Lib. VII, p. 662. Lib. I, p. 188. tique. T. II.

Chron. Veneta. p. 116. — Josephi Ripa

Pauli Jovii de Vita magni Consalvi.

· 2 Garnier, Hist. de France. T. XI, p. 55. — Dumont, Corps diploma

l'unissait à la famille royale de France, et l'attachait au parti français 1.

Le roi Frédéric de Naples avait promis à Louis-le-Maure de lui envoyer Prosper Colonne, avec quatre cents cavaliers, et quinze cents fantassins; mais, épuisé comme il l'était par la guerre précédente, il n'accomplit point cette promesse, encore qu'il l'eût faite autant pour son propre avantage que pour celui de son allié. Les Florentins, engagés dans la guerre de Pise, ne pouvaient donner au duc de Milan aucun secours; le duc de Ferrare, quoique beau-père de Louis Sforza, ne voulut pas lui promettre la moindre assistance, de peur de compromettre sa neutralité auprès du roi de France.

Louis Sforza, abandonné par tout le monde, ne s'abandonna du moins pas lui-même; il fortifia soigneusement le château d'Annone, à peu de distance d'Asti, aussi bien qu'Alexandrie et Novare: il chargea Galéaz de San-Sévérino de s'opposer aux Français qui, du Piémont ou du Montferrat, voudraient pénétrer en Lombardie ; il lui donna à commander seize cents hommes d'armes, quinze cents chevau-légers, dix mille fantassins italiens, et cinq cents Allemands: la guerre de la ligue de Souabe et des Suisses ne lui avait pas permis de faire parmi ces derniers des levées plus considérables. Il avait compté opposer le marquis de Mantoue, avec une autre armée, aux Vénitiens, mais il 'mécontenta ce marquis pour complaire à Galéaz de San-Sévérino, dont la vanité ne pouvait souffrir qu'un autre général eût un titre supérieur au sien. Sur le refus de Gonzague, il confia cette armée au comte de Caiazzo. On assure qu'un serviteur fidèle avertit Louis-leMaure que ce Galéaz de San-Sévérino, auquel il abandonnait avec le commandement de toutes ses forces, un si absolu pouvoir, le trahissait. Louis réfléchit quelque temps sur les indices

1 Fr. Guicciardini. Lib. IV, p. 223. Belcarius, Comm. Rer, Gall. Lib. VIII, p. 232.

qu'on lui donnait de cette perfidie, puis il répondit en soupirant qu'il ne pouvait se figurer tant d'ingratitude, et que, fûtelle vraie, il ne saurait comment y pourvoir; que personne ne pouvait avoir plus de droits à sa confiance que ceux qu'il avait comblés de bienfaits, et qu'il valait autant pour lui risquer d'être trahi par ses amis que de s'exposer à se privér de leurs secours sur des soupçons mal fondés 1.

Louis Sforza avait recommandé à ses généraux d'éviter toute action décisive, de s'enfermer dans les places fortes et de trainer la guerre en longueur pour laisser le temps à Galéaz Visconti, qu'il avait envoyé en Suisse, de négocier un traité de paix entre Maximilien et les cantons, et de ramener à son service des armées qui s'affaiblissaient dans une guerre impolitique. San-Sévérino ne fit en effet aucun mouvement contre les Français qui s'assemblaient en Piémont, et il attendit leur attaque. Ceux-ci passaient les Alpes sous les ordres de JeanJacques Trivulzio, de Louis de Luxembourg, comte de Ligny, et d'Éverard Stuard, seigneur d'Aubigny. Ils avaient sous leurs ordres seize cents lances ou neuf mille six cents chevaux, cinq mille Suisses, quatre mille Gascons et quatre mille aventuriers levés dans le reste de la France. Louis XII était resté à Lyon, d'où il dirigeait les mouvements de ses généraux et les renforts qu'il leur faisait passer 2.

L'armée française, étant enfin réunie, attaqua, le 13 août 1499, la petite forteresse d'Arazzo, située sur les bords du Tanaro, en face d'Annone. Cinq cents fantassins étaient chargés de la défendre : ils la rendirent lâchement dès les premiers coups de canon. Annone fut attaquée immédiatement après. Cette bourgade avait été fortifiée avec soin par Louis Sforza: mais les sept cents hommes de garnison qu'il y avait

1 Fr. Guicciardini. Lib. IV, p. 225. -2 Fr. Guicciardini. L. IV, p. 226. fait l'armée française plus nombreuse. VII.

Fr. Belcarii Comm. Rer. Gall. Lib. VIII, p. 234.
Petri Bembi Hist. Ven. L. IV, p. 86. Ce dernier

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placés étaient de nouvelles levées; et lorsque San-Sévérino voulut y jeter du renfort, il ne fut plus temps. La brèche fut ouverte dès le second jour; Annone fut prise d'assaut, et toute la garnison passée au fil de l'épée. Les Français se répandirent alors dans tout le pays d'outre Pô. Trivulzio faisait en leur nom les promesses les plus magnifiques aux peuples; les soldats n'osaient pas se mesurer avec ces armées barbares, et les bourgeois craignaient le sort de ceux d'Annone: aussi Valenza, Basignano, Voghéra, Castel-Nuovo, Ponte-Corone, et enfin Tortone et sa forteresse, se hâtèrent-elles d'ouvrir leurs portes 1.

Le peuple de Milan supportait avec impatience la domination de Louis Sforza; il se plaignait des contributions excessives dont il était accablé : il trouvait l'orgueil du souverain ridicule, sa politique imprudente autant qu'entachée de mauvaise foi; et il ne lui pardonnait point son usurpation, à laquelle s'attachait le soupçon de l'empoisonnement de son neveu. Cependant, lorsque Louis-le-Maure vit sa puissance ébranlée par les rapides conquêtes des Français, il essaya de recouvrer sa popularité, pour associer ses sujets à sa défense. Il assembla un concile, auquel il invita tous les hommes distingués à Milan par leur rang, leurs richesses ou leur réputation. Il leur expliqua sa conduite, et la nécessité où il s'était trouvé d'entretenir beaucoup de troupes, de payer des subsides aux étrangers, et de lever en conséquence des impôts considérables, pour écarter la guerre loin des frontières de ses états. Il rappela que, pendant sa longue administration, le Milanais n'avait jamais vu de soldats étrangers; que si son gouvernement avait coûté beaucoup d'argent au peuple, il

1 Arnoldi Ferroni. Lib. III, p. 38.-Fr. Guicciardini. Lib. IV, p. 226.-Jacopo Nardi, 1st. Fior. Lib. III, p. 103. — Petri Bembi Hist. Veneto. L. IV, p. 87. Mais le nom de Novi est substitué, par faute d'impression peut-être, à celui de Non ou Annone. Chronica Veneta. T. XXIV, p. 92.-Barth. Senaregæ de rebus Genuens. T. XXIV, p. 566. -Fr. Belcarii Comment. Lib. VIII, p. 233.

avait d'autre part toujours été juste et égal; qu'il s'était toujours rendu lui-même accessible à tous ses sujets, qu'il n'avait jamais négligé les soins et les travaux de l'administration pour se livrer à ses plaisirs; qu'on ne lui pouvait reprocher aucune cruauté; qu'aucun souverain d'Italie n'avait plus que lui épargné le sang et les supplices. Il invita les Milanais à comparer cette administration indulgente avec celle qu'ils devaient attendre des Français, étrangers de mœurs et de langage, orgueilleux, et toujours disposés à mépriser et à opprimer la nation italienne. Il ne s'agissait, leur disait-il, que d'opposer un peu de fermeté et de constance au premier choc de l'ennemi; et les secours du roi de Naples, de l'empereur et des Suisses, ne tarderaient pas à leur arriver 1.

Mais ces discours faisaient peu d'impression sur les esprits d'un peuple ébranlé et intimidé, qui cherchait à excuser son effroi, en affectant le mécontentement. Sforza avait fait faire à Milan un dénombrement de tous les hommes en état de porter les armes; il avait en même temps aboli plusieurs des impôts les plus onéreux; on ne vit dans ces mesures tardives que des preuves de sa terreur et de sa faiblesse. Encore que les Vénitiens, l'attaquant en même temps que les Français, se fussent déjà emparés de Caravaggio 2, il rappela le comte de Caiazzo, qui leur était opposé, pour le faire passer à Pavie, et lui faire rejoindre son frère devant Alexandrie. Mais ce frère, favori et gendre de Louis-le-Maure, ce Galéaz de SanSévérino, qu'on regardait comme un grand militaire, parce qu'on lui voyait manier avec grâce sa lance dans les tournois et vaincre dans des combats simulés, était déjà secrètement gagné par les Français. Trois jours après que ceux-ci furent arrivés à Alexandrie, il quitta lâchement, dans la nuit du

1 Fr. Guicciardini. Lib. IV, p. 227. — Josephi Ripamontii Hist. Urbis Mediolani. L. VII, p. 858. — a Petri Bembi Hist. Ven. L. IV, p. 87.-Chronica Ven. T. XXIV, p. 98. -Fr. Belcari Comment, L. VIII, p. 234,

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