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Qu'en faire? On est obligé de les verser dans quelque bureaucratie lucrative.

Lorsqu'un fonctionnaire régulier demande à servir selon son grade et selon ses aptitudes, les directeurs du personnel lèvent les bras au ciel en s'écriant:

<«< Mais, malheureux, il n'y a plus de places! C'est complet partout! »

Récemment, un jeune savant, M. Colin, revenait de l'École d'Athènes où il a passé quatre ans. Habile épigraphiste, il est déjà classé parmi les plus remarquables disciples d'Homolle et de Foucart. On l'expédie à Beauvais.

Naïf jeune homme! Si, au lieu de travailler au soleil sur les chantiers de Delphes, il s'était seulement assis dans le cabinet de la rue de Grenelle, on n'aurait pas été embarrassé pour lui trouver un poste plus éminent. On l'aurait nommé, à tout le moins, officier d'académie.

Quand un ministre déménage, son cabinet émigre, avec armes et bagages, vers les coins bénis où l'on continue d'émarger. Les uns se transportent au Conseil d'État. Les autres sont installés dans les compagnies judiciaires. Les préfectures recueillent quelques débris. Les perceptions s'offrent aux plus favorisés. Le clergé seul et la gendarmerie ne sont pas encore encombrés par le trop-plein des cabinets ministériels.

Si seulement les ministères étaient durables, le

mal ne serait pas trop étendu. On en pourrait circonscrire les limites. Rouher disait, en parlant de Magne :

« Nous n'avons plus rien à craindre de lui. Tout son monde est casé. »

Hélas! l'interminable défilé des ministères nous amène une série de clientèles à nourrir. On arrive par fournées, comme au buffet de la Présidence. Mais, tandis qu'à la Présidence les invités, après avoir mangé, s'en vont, sous l'œil vigilant du général Bailloud ou du commandant Meaux-SaintMarc, ici, tout le monde veut rester à table.

Et l'augmentation des impôts continue, malgré les louables efforts de la Ligue des Contribuables... Cela durera tant que les ministres s'embarrasseront de ces chefs, sous-chefs, chefs adjoints qui leur servent si peu, et qui nous coûtent si cher.

A ce propos, on raconte une anecdote.

C'était en 1882. On venait de former un ministère. Un jeune professeur, absolument inconnu, publia, dans une revue technique, un article très documenté, très acerbe, où les bureaux de l'Instruction publique étaient malmenés avec une juste rigueur.

Les bureaucrates, irrités, montrèrent ce réquisitoire au ministre qui s'empressa de faire appeler l'auteur irrévérencieux :

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Ah! vous voilà, vous? lui dit-il dès qu'il le

vit entrer. C'est vous qui avez écrit que tout ne va pas pour le mieux dans mes bureaux?

Mon Dieu! monsieur le ministre, j'avoue qu'en effet... j'ai cru... j'ai pensé...

- Je n'accepte pas vos excuses! reprit le ministre. Puisque vous connaissez si bien les abus de mon administration, je vous mets en demeure de m'aider, séance tenante, à les réformer. Vous êtes, à partir de maintenant, mon chef de cabinet.

Quelques jours après cette scène historique, le ministère tomba.

C'était trop beau!

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Les démonstrations de Tocqueville, prolongées et aggravées par nos cruelles expériences, prouvent qu'en France, la plupart des régimes fondés sur la bourgeoisie satisfaite meurent ordinairement de décomposition.

Au mois de septembre de l'année 1841, M. de Lamartine, député et conseiller général du premier arrondissement de Mâcon, adressait à Mme de Girardin, les réflexions suivantes, qui parurent alors fort chagrines :

On parle de moi pour le ministère dans les journaux d'aujourd'hui. J'en suis bien aise pour nos électeurs, que cela flatte, mais il n'y a pas le moindre fondement. Si je reste à la Chambre, je verrai soigneusement passer trois ministères avant de faire partie d'aucun, et, si jamais j'y

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entre, je n'y entrerai que par une breche. On n'a de force que dans les places conquises, dont les bourgmestres vous apportent les clefs. Or, qu'est-ce qu'un ministere sans poucoir? Une duperie.

Le 7 juillet 1845, le même député de Mâcon, dans une lettre au comte de Circourt, écrivait ceci :

Ce pays est mort, rien ne peut le galvaniser qu'une crise. Comme honnête homme je la redoute, comme philosophe la désire; nous marchons à l'inverse de l'esprit de Dieu. Je Pays saus courage et sans vertu, admirable parterre pour lex apostats politiques. Naples a inventé Polichinelle, la France est digne d'inventer pis. Ny pensons plus et trayuillour.

Citons encore, malgré sa forme un peu brutale et injuste, cette boutade du 24 décembre 1846 :

Je polest fou; M. Guizot est une vanité enflée; M. Thiers, mic girquette; la nation, un Géronte. Le mot de la comédie apra tragique pour beaucoup de monde.

Il serait peut être malaisé de trouver dans le Partement, à l'heure qu'il est, un nouveau Lamartine. La poésie s'est tout à fait envolée de la Chambre et du Sénat, à moins qu'elle ne se soit 19thside dans le pupitre de M. Clovis Hugues. wasfois, il est encore possible de rencontrer au Pose Bourbon et au palais du Luxembourg, un Cesa nombre de républicains honnêtes et clair

Is sont attristés, écœurés. Ils ont le de lo dire. Et, bien qu'on ne puisse pas

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