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taire particulier; 3° un sous-chef du secrétariat général; 4o un chef des secrétariats; 5° un chef adjoint desdits secrétariats; 6° un chef du cabinet du président du Conseil municipal; 7° un chef du secrétariat particulier; 8° un chef adjoint; 9° deux autres chefs. On s'y perd. Tout le monde commande dans cette maison.

En regard de cette abondance de fonctionnaires désœuvrés, il faut noter l'extension indéfinie des « Commissions ». Chaque ministère traîne après soi une séquelle de sanhédrins, qui s'assemblent et se séparent ordinairement sans avoir rien décidé ni rien éclairci. Prenez une Commission, même composée de gens instruits: neuf fois sur dix, c'est une parlote où chaque orateur rejette sur son voisin le soin de prendre une résolution. Autour de ces tapis verts, on se sent irresponsable et anonyme. Mais ces réunions, quand on sait s'en servir, permettent aux gens souples de glisser dans les emplois. De plus, elles constituent des rideaux protecteurs derrière lesquels on peut tout abriter, tout cacher, tout commettre. Nous ne saurons jamais quels sont les personnages qui ont organisé l'expédition de Madagascar; l'histoire ne pourra jamais noter les grands capitaines qui ont fait mourir plus de cinq mille Français dans une guerre où il n'y eut point de bataille : ce carnage a été tranquillement préparé « au sein d'une Commission.

Je demandais un jour à un sage, égaré dans la politique, pourquoi les finances publiques s'épuisent si rapidement, sans que toutes ces dépenses profitent à l'intérêt général. Il me répondit d'un air désespéré: « Que voulez-vous, ils sont trop! » Par curiosité, j'ai voulu comparer la France d'aujourd'hui à la France d'hier. J'ai consulté l'Almanach de 1818. Exprès, j'ai choisi cette année de népotisme et de favoritisme. Je désirais voir si ce lendemain de curée ressemblait à notre installation effrontée autour de la gamelle nationale. Eh bien! je suis obligé d'avouer que l'appétit des compagnons de Louis XVIII n'est rien auprès de nos fringales démocratiques. Quand la faim des premiers arrivants fut apaisée, on s'arrêta. Le personnel était casé, repu. On eut le loisir d'attendre jusqu'à la prochaine révolution. Si bien qu'en ce temps, justement détesté par notre libéralisme inlassable, la France était administrée par une équipe d'employés dont le chiffre n'égale même pas la moitié de nos gens en place. Pourtant, les moyens de communication étaient moins commodes qu'à présent. La transmission des ordres était malaisée. Les rouages obéissaient moins vite à l'impulsion du ressort central. Ce n'est donc pas une nécessité sociale qui nous force, maintenant, à recruter, pour l'administration de la chose publique, un état-major si considérable de « gros bonnets » largement payés.

LE MALAISE DE LA DÉMOCRATIE.

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Ce qu'il faut reconnaître, et ce qu'il faut dire, c'est que, les syndicats politiques, les clientèles, les convoitises s'accroissant à mesure que les partis et les doctrines s'évanouissent, le chapitre des prébendes, ce que nos ancêtres appelaient la « feuille des bénéfices», doit s'allonger interminablement.

Les services rendus, les titres professionnels, l'ancienneté ou la capacité ne comptent plus guère pour l'avancement. Le fonctionnaire proprement dit, le fonctionnaire qui s'acquitte de sa fonction, et qui a conquis son grade par des moyens légaux, devra se résigner à marquer le pas dans des postes médiocres, tandis que le premier venu, pourvu qu'il soit cousin, camarade, ou factotum d'un ministre, sera installé, d'emblée, dans des emplois immérités.

On peut dire que, depuis une quinzaine d'années, par la faiblesse des uns, par le cynisme des autres, le Trésor public fut soumis à un pillage savamment organisé.

Ouvrez par exemple l'Almanach national à la page où sont cataloguées les charges de finances, ces trésoreries, ces recettes, ces perceptions, qui sont les abbayes de la troisième République. Considérez le Conseil d'État, la Cour des Comptes, les cours de justice. C'est- trop souvent un rendez-vous d'anciens députés, d'anciens préfets, d'anciens chefs de cabinet, d'anciens agents élec

toraux. Tous les groupes de la Chambre s'y rencontrent dans un voisinage fraternel. C'est la vraie concentration. Chaque législature, en passant, a laissé là ses épaves. Chaque secrétaire d'État, en disparaissant, s'est assuré une sorte de survie en versant son cabinet particulier dans les affaires publiques, et en plaçant ses amis aux bons endroits, devant le guichet de la caisse nationale. Les premiers rangs de la hiérarchie sont ainsi occupés par les revenants et par les fantômes de tous les ministères morts. C'est à la fois lugubre, burlesque et odieux.

En vérité cet Almanach national est inquiétant. Si j'étais fonctionnaire, je gémirais en songeant que les avenues de cet asile sont barrées, encombrées de toutes parts par la cohue des politiciens. Simple citoyen, je frémis en pensant que le vœu de la France entière est d'entrer là dedans, que l'ambition de notre pays se réduit, de plus en plus, à la quête des places...

Et je vois ce livre, jadis présentable, grossir, s'enfler, jusqu'à devenir la Bible des temps nouveaux, le dictionnaire des satisfaits, bref - pour parler l'argot des nouvelles couches le « Bottin de l'Assiette-au-beurre ».

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Parmi les types nouveaux que cette chasse aux deniers publics à fait éclore, il faut citer le plus cynique de tous le chef de cabinet.

:

Lorsque le ministère Brisson fut constitué, un

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de mes amis, qui est sous-préfet dans la dernière de nos sous-préfectures, vint me trouver et me dit :

Connaissez-vous quelqu'un qui connaisse le sous-secrétaire des Postes et des Télégraphes? Non.

-

Et le gérant des Colonies?

Pas davantage.

Pourriez-vous me recommander au mon

sieur des Finances?

ture?

Pas le moins du monde.

Auriez-vous des accointances avec l'Agricul

Pas du tout. Mais pourquoi diable me demandez-vous tout cela?

Voici. Je m'ennuie dans la dernière de nos sous-préfectures. Mes administrés me scient le dos. Je me suis esbigné pour trois jours en laissant les clefs de la boîte à mon conseiller d'arrondissement. Je me suis dit que du moment qu'on fabrique un ministère, il faudra nécessairement bâcler des cabinets. Ah! si je pouvais décrocher une chefferie ou une sous-chefferie!

Vous dites?

Je dis que je voudrais bien être chef, chef adjoint ou sous-chef de cabinet quelque part. Je m'ennuie tant là-bas! Vous ne pourriez pas m'aider? »

Je démontrai sans peine à mon ami que je

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