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Le spectacle des passions féroces, des intérêts insatiables qui envahissent la presse devient, de jour en jour, plus complexe, plus dramatique. Pendant longtemps, les politiciens et les journalistes ont marché d'accord. Maintenant, ils se battent pour la possession du pouvoir et pour le partage des bénéfices. Cette violente dispute sera peut-être l'événement principal de la période où

nous entrons.

CHAPITRE V

LES AUMONIERS DE LA DÉMOCRATIE

Le malaise du siècle. Du pouvoir spirituel dans la Démocratie. Chateaubriand et Lamennais. - Victor Cousin et le spiritualisme. — Auguste Comte et le positivisme. — Michelet et Quinet. - L'Université de France. La nouvelle Idole. Les philosophes et les historiens.

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Le jour de Pâques de l'année 1802, les prêtres et les fidèles de l'Église de France s'abandonnèrent aux transports de la plus vive allégresse. Les cathédrales, les basiliques et même les plus humbles chapelles venaient de se rouvrir après dix années de clôture et de désolation. Les cloches, longtemps muettes, recommençaient à chanter dans la lumière d'un tiède renouveau. Et le peuple, content d'aller à la messe, se réjouissait.

Dans les palais où les simples citoyens ne pénètrent pas, une longue et difficile négociation

venait d'aboutir à un concordat. Trois prêtres italiens, l'archevêque Spina, le cardinal Consalvi et le père Caselli; trois plénipotentiaires français, Joseph Bonaparte, M. Cretet, conseiller d'État, et le fougueux abbé Bernier, s'étaient enfin mis d'accord pour signer, sous les ordres du Premier Consul, un papier qui semblait régler pour toujours les relations du Saint-Siège avec le gouvernement français.

C'est pourquoi, ce jour-là, 18 avril, jour de Pâques, un Te Deum fut chanté dans l'église métropolitaine de Notre-Dame. Le Premier Consul y vint en cérémonie, précédé et suivi par des laquais en livrée verte et par des diplomates en frac brodé. Il portait, à la garde de son épée, un fameux diamant, connu sous le nom de Régent. Il fut encensé par le cardinal Caprara. Cet attirail, ce protocole, ces formalités irritèrent quelques généraux qui, pour marquer leur mécontentement, s'amusèrent, pendant la messe, à traîner les pieds et à faire du bruit avec leurs sabres. Bernadotte, le plus indiscipliné de tous, faillit passer en conseil de guerre...

Malgré tout, on crut avec quelque sincérité qu'une ère de concorde et d'apaisement allait s'ouvrir pour la patrie, si cruellement déchirée les discordes civiles. Cette espérance, universellement répandue, causa le succès d'un gros livre, le Génie du Christianisme, qui, méprisé par

par

lité »,

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l'Académie française, mais porté par l'« actuafit un beau chemin dans le monde. Bonaparte, dit Chateaubriand, désirait alors fonder sa puissance sur la première base de la société... Il avait à lutter contre les hommes qui l'entouraient et contre des ennemis déclarés du culte; il fut donc heureux d'être défendu au dehors par l'opinion que le Génie du Christianisme appelait. Plus tard, il se repentit de sa méprise : les idées monarchiques régulières étaient arrivées avec les idées religieuses. »

Il me semble que Chateaubriand définit ici, avec une précision singulière, le drame bientôt séculaire, où s'agite notre société. Cent ans d'histoire politique, intellectuelle et morale tiennent dans cette formule. Le malaise du siècle y apparaît clairement. Depuis le prodigieux branle-bas de la Révolution, le peuple français a perdu son équilibre. Il le cherche plus que jamais, désespérément. Tous, tant que nous sommes, n'est-il pas vrai que nous tâtonnons comme les aveugles qui ont perdu leur bâton ou leur caniche? Nous voudrions trouver des principes capables de soutenir nos constitutions politiques. Nous n'avons plus de règles fixes même pour diriger les moindres démarches de notre vie privée. De temps en temps, après d'effroyables crises de scepticisme, nous sommes tentés, comme les viveurs fatigués et comme les filles repenties, d'implorer, en bal

utant, les sommes de la religion. Mus [Ery ent Lagemente. Elle a entrepris d'etre a la fis millante et time, uphan e. Netant plus ten ze edg regne par des rocnemements capables de la modéver en la protegeant, elle envahit tout ds qa on lui oetrole la licence de participer a la g tion des affaires publiques. De gré ou de force il faut qu'elle confisque et qu'elle accapare. Libe d'une domination suprême est sa raison d'etre. Elle a flechi devant Napoleon, mais sans désarmer. Et quand Empereur tomba, elle oublia le promoteur du Concordat, le protecteur du Génie du Christianisme, pour accabler de ses anathèmes I' « usurpateur », l'« ogre de Corse », le « César jacobin ». Peu s'en fallut qu'elle n'excommuniat Louis XVIII et son ministre Decazes. Elle trouva un roi selon son cœur dans la personne de Charles X (qui cependant fut invité officiellement a expulser les jésuites). La chute lamentable de ce malheureux prince entraina l'écroulement d'un systéme qui répugnait aux habitudes libérales des Français.

Alors, notre nation, qui pendant ce siècle a toujours oscillé entre les servitudes extrêmes de la théocratie et les licences périlleuses de la laïcité, suivit les bourgeois voltairiens de 1830 dans leur mouvement défensif vers la philosophie du libre examen. Les écrivains, les moralistes, les penseurs, les professeurs, les poètes eux

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