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SIXIÈME SOUPER.

Les mêmes, le maréchal de Ségur, le comte d'Escars.

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LE MARECHAL.

Madame la maréchale

madame

de ***, qui débute dans le monde, vous a-t-elle été présentée?

LA MARECHALE.

Non, pas encore : l'avez-vous vue?

LE MARECHAL.

Oui, chez madame de Puisieux.

LA MARECHALE.

Hé bien, qu'en pensez-vous?

LE MARECHAL.

Madame de Puisieux trouve qu'elle affecte la timidité.

LA COMTESSE.

C'est une mode aujourd'hui ; toutes les jeunes personnes veulent imiter madame de Lauzun.

LA DUCHESSE.

Cette timidité ne peut convenir qu'à moi, avec ma vue basse, qui, sans cesse, me fait craindre si justement de faire des bévues.

LA COMTESSE.

Voilà la vraie modestie; madame de Puisieux même en conviendrait.

Elle avait, en effet, la vue extrêmement basse.

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LA MARÉCHALE.

Madame de Puisieux est un bon juge : croit-elle, du moins, que madame de *** ait de l'esprit?

LE MARECHAL.

Mais, véritablement, elle parle avec une petite voix si basse et si flûtée, qu'on n'entend pás un mot de ce qu'elle dit.

LA MARECHALE.

Est-elle jolie?

LE MARECHAL.

On le saura un jour, si elle cesse d'étre⠀minaudière. Jusqu'ici, elle a des yeux clignotans, une bouche pincée ; elle fait une infinité de petites grimaces qui la défigurent entièrement.

.LE CHEVALIER.

Je la vois d'ici, ce qui me dispensera de la regarder quand je la rencontrerai.

LA MARECHALE.

Et moi, je suis très-sûre que je ne l'aimerai pas.

LE COMTE DE SÉRENT.

On peut applaudir à l'idée de pren¬ dre madame de Lauzun pour modèle ; mais comment madame la maréchale souffre-t-elle la secte des bondissantes *?

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Il y avait dans ce temps une certaine quantité de femmes d'une jeunesse moyenne (de vingt-cinq à vingt-huit ans), qui, pour se donner un air de nymphe, entraient dans une chambre avec une espèce de marche élastique qui ne peut se décrire, et qui, en s'arrêtant, se terminait toujours par une espèce de petit bond fait sur la pointe des pieds d'un

LA MARECHALE.

Je m'en suis déjà moquée, et, d'après votre dénonciation, je continuerai. On m'amena hier, pour la première fois, le vicomte de ***. Il a un beau nom et une figure agréable; mais, ayant perdu ses parens dès son enfance, il a eu le malheur d'être élevé par un vieux tuteur qui n'a jamais été dans le grand monde, et qui lui a laissé prendre des manières et un ton qu'il regarde apparemment comme des gentillesses, qui sont tout-à-fait déplacés. Par exemple, il va se pencher sur le dos du fauteuil de toutes les femmes, jeunes ou vieilles qu'il connaît, et avec une tête penchée et de petits airs confians qui sont

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air vainqueur, qui leur fit donner le surnom de secte bondissante. La maréchale corrigea ce ridicule par ses moqueries.

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