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licatesse des sentimens, et sur diverses expressions du langage. On faisait trèssouvent des lectures chez la maréchale; elle connaissait et recevait beaucoup de gens de lettres. Elle était, sur ce point, en rivalité avec la marquise du Deffant; mais elle avait sur elle l'avantage d'avoir été protectrice de Jean-Jacques Rousseau, quoiqu'elle eût toujours été bien éloignée d'adopter tous ses principes. Elle avait d'ailleurs des amis et des parens d'un mérite supérieur. Elle était intimement liée avec la comtesse de Boufflers et M. le prince de Beauvau, et le chevavalier de Boufflers était son

neveu.

J'ai eu avec cette femme justement célèbre à beaucoup d'égards, une liaison si suivie durant un si grand nombre d'années, qu'il me semble que je

puis donner dans cet ouvrage l'idée la plus juste de son esprit et du ton de cette société qui servit avec raison de modèle à toutes les autres. La maréchale mourut un peu avant la révolution; j'étais déjà depuis long-temps à Belle-Chasse. Je n'ai point voulu représenter la maréchale octogénaire, afin de la peindre avec toute sa force dans le tribunal social dont elle était le juge suprême. J'ai choisi l'époque de ma jeunesse, et cette époque n'était pour elle que celle d'une vieillesse affranchie encore de toute infirmité. J'ai été chez elle pendant plus de douze ans avec une grande assiduité; suivant ma coutume, j'écrivais des notes de tout ce que j'y voyais de remarquable. J'ai fidèlement conservé toutes ces notes, et comme j'ai toujours eu l'idée d'en faire un ouvrage

particulier, je n'ai mis aucun des traits qu'elles contiennent dans les Souvenirs de Félicie, le Dictionnaire des étiquettes, et dans mes Mémoires; il m'a paru que l'exactitude chronologique était inutile à ce genre de peinture; je n'ai eu aucun égard à l'ordre des dates; de sorte que j'ai souvent placé dans un seul souper ce que je n'avais recueilli dans quinze ou seize,

que

Des personnes dont j'estime infiniment le jugement m'ont blâmée d'avoir, dans les dîners du baron d'Olbach présenté sous leurs noms les gens du monde que j'y introduis; tous ceux que je désigne y allaient en effet, et je fais toujours l'éloge de ceux-là *; plusieurs

J'ai cependant un peu profité de cette critique en ne nommant que ceux qui sont morts, en taisant les noms du peu de personnes qui existent encore,

d'entre eux admiraient l'esprit et les talens des philosophes, mais sans admettre tous leurs principes; cependant, comme cette nomenclature a été

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critiquée, je voulais la supprimer ici; mais c'était une chose impossible par la confusion qui résultait du mélange des différens personnages désignés seulement par les titres semblables de marquis, de comte, de chevalier, etc.

Il existe encore quelques-uns de mes contemporains qui pourront se reconnaître dans ces réunions si célèbres jadis, et qui trouveront certainement que tous les traits de ce tableau sont d'une parfaite ressemblance. On faisait des lectures chez la maréchale; M. de La Harpe y a lu une grande partie de ses ouvrages, et M. Le Mierre plusieurs tragédies; j'ai entendu plus d'une fois

la maréchale leur donner d'excellens avis; beaucoup d'autres auteurs lui ont rendu cet hommage. Elle avait la mémoire ornée d'un prodigieux nombre d'anecdotes, toutes tirées de l'histoire de France, et même des temps les plus reculés. C'étaient alors, dans les grandes maisons, des traditions de famille; par exemple, elle nous contait les faits les plus curieux du temps des croisades et de la chevalerie; elle nous expliquait des étymologies intéressantes, et des armoiries qui nous paraissaient ridicules et bizarres, et que de certains faits et leur origine simplifiaient, et rendaient quelquefois ingénieuses et

belles.

La maréchale, d'ailleurs, avait peu d'instruction; elle ne connaissait l'histoire grecque et romaine que par le

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