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lancer à la pardonner. Ce qu'il y a de certain, c'est que si les auteurs, dont, pour l'intérêt public, j'ai si constamment attaqué les ouvrages, m'eussent, durant le cours de cette longue querelle, demandé secrètement des preuves non équivoques du pardon de leurs injures et de leurs calomnies, je n'aurais pas hésité à le leur accorder, et je ne m'en serais jamais vantée.

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Vous montrez dans la conversation, M. le Vicomte, un si bon goût littéraire, que je suis sûre que vous aimerez les critiques de M. Clément elles sont calmes, toujours raisonnables, et d'une justesse qui a été généralement reconnue. Il en fit dans plusieurs maisons un grand nombre de lectures, qui eurent le plus éclatant succès. Lorsque je donnai Adèle et Théodore, je fis dans cet ouvrage l'éloge des Lettres (par l'abbé Guenée) de quelques juifs à M. de Voltaire: ces lettres, d'un ton si parfait, mais qui montraient à la fois tant de modération, de lumière et de science, étaient alors complètement oubliées; on en fit sur-le-champ une nouvelle édition, et leur réputation s'est toujours soutenue depuis. Je voudrais avoir le même honneur

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ÉPITRE DÉDICATOIRE.

pour les lettres de M. Clément; ce serait rendre à la jeunesse un service inappréciable.

J'ai dû peindre la maréchale de Luxembourg sous les traits les plus nobles et les plus brillans; c'est ainsi que je l'ai vue depuis mon entrée dans le monde jusqu'à sa mort. Comme elle avait beaucoup de bontés pour moi, et qu'elle était devenue l'oracle du goût et le modèle le plus exemplaire de la charité chrétienne, qu'enfin ses égaremens dataient du temps de la régence, je n'ai connu de sa vie que ce qu'on en pouvait louer, et je n'ai écouté qu'avec beaucoup de peine et de distraction ce qu'on disait de sa première jeunesse.

Agréez, M. le Vicomte, l'expression des sentimens si vrais que je vous ai voués, et. qui vous sont dus à tant de titres, et avec lesquels j'ai l'honneur d'être,

Monsieur le Vicomte,

Votre très-humble et très-obéissante
servante,

DUCREST, COMTESSE DE GENLIS.

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INTRODUCTION.

m

Je crois que, de tous les siècles de notre histoire, le dix-huitième a été le plus favorable aux vieilles femmes, sans même en excepter ceux de la chevalerie. Dans ces derniers, les jeunes personnes reçurent de la galanterie des rôles éclatans; la jeunesse et la beauté exercèrent un empire presque souverain cet empire exigeait des moeurs et de la vertu, qui en assurèrent longtemps la durée; mais il était fondé aussi sur des agrémens frivoles; il dut

nécessairement dégénérer et finir. Il n'y avait nulle exaltation dans l'espèce de domination que les vieilles femmes du dix-huitième siècle s'étaient arrogée dans la société, ou, pour mieux dire, qu'on leur accordait d'un consentement unanime, et qui tenait surtout au respect filial, dont les démonstrations étaient générales alors. On n'aurait point vu s'établir cet ordre de choses, si les jeunes personnes non mariées eussent été dans le monde et aux spectacles, et si elles eussent, ainsi que leurs frères, tutoyé leurs père et mère, grand-père et grand'mère. Les jeunes gens introduits chez les parens de leurs amis, recevaient d'eux, à cet égard, l'exemple d'un profond respect, et le suivaient *.

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* Ce respect était poussé si loin, que les per

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On a donné une telle extension aux idées d'égalité, qu'on a trouvé simple et naturel de les appliquer aux pères, mères et enfans. Cependant c'est une chose impossible; un jeune homme ne peut jamais regarder comme son égal l'homme qui a communément trente ans

sonnes les plus riches et les plus grands seigneurs se trouvaient toujours convenablement logés, lorsqu'ils l'étaient chez leurs parens. M. le comte de Boulainvilliers, prévôt de Paris, était immensément riche; il possédait l'un des plus beaux hôtels de Paris; il maria l'une de ses filles à un homme de la cour qui avait de la fortune et un très-beau nom (M. le baron de Crussol). Il logea les nouveaux mariés, et ce fut dans une petite chambre meublée de l'indienne la plus commune, et sans garde-robe. Il y avait dans un coin de la chambre un rideau toujours tiré qui cachait les meubles nécessaires en ce genre; et cet établissement, qui scandaliserait tant aujourd'hui, n'étonna personne et ne fut nullément critiqué.

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