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FRAGMENT

D'UN SERMON

DE BOSSUET,

SUR L'IMMORTALITÉ DE L'AME.

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N'EN 'EN doutons pas, chrétiens, quoique nous soyons relégués dans cette dernière partie de l'univers, qui est le théâtre des changemens et l'empire de la mort; bien plus, quoiqu'elle nous soit inhérente, et que nous la portions dans notre sein; toutefois au milieu de cette matière, et à travers l'obscurité de nos connoissances qui vient des préjugés de nos sens, si nous savons rentrer en nous-mêmes, nous y trouverons quelque chose qui montre bien, par une certaine vigueur, son origine céleste, et qui n'appréhende pas la corruption.

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Je ne suis pas de ceux qui font grand état des connoissances humaines ; et je confesse néanmoins que je ne puis contempler sans admiration ces merveilleuses découvertes qu'a faites la science pour pénétrer la nature, ni tant de belles inventions que l'art a trouvées pour l'accommoder à notre usage. L'homme a presque changé la face du monde: il a su dompter par l'esprit les animaux qui le surmontoient par la force; il a su discipliner leur humeur brutale, et contraindre leur liberté indocile; il a même fléchi par adresse les créatures inanimées. La terre n'a-t-elle pas été forcée par son industrie à lui donner des alimens plus convenables, les plantes à corriger en sa faveur leur aigreur sauvage, les venins même à se tourner en remèdes pour l'amour de lui? Il seroit superflu de vous raconter comme il sait ménager les élémens, après tant de sortes de miracles qu'il fait faire tous les jours aux plus intraitables, je veux dire au feu et à l'eau, ces deux grands ennemis, qui s'accordent néanmoins à nous servir dans des opérations si utiles et si nécessaires. Quoi plus! il est monté jusqu'aux cieux; pour marcher plus sûrement, il a appris aux astres à le guider dans ses voyages; pour mesurer plus également sa vie, il a obligé le soleil à rendre compte,

pour ainsi dire, de tous ses pas. Mais laissons à la rhétorique cette longue et scrupuleuse énumération, et contentonsnous de remarquer en théologiens, que Dieu ayant formé l'homme, dit l'oracle de l'Ecriture (Sap. 9, 2.), pour être le chef de l'univers; d'une si noble institution, quoique changée par son crime, il lui a laissé un certain instinct de chercher ce qui lui manque dans toute l'étendue de la nature. C'est pourquoi, si je l'ose dire, il fouille partout hardiment comme dans son bien, et il n'y a aucune partie de l'univers où il n'ait signalé son industrie.

Pensez maintenant, messieurs, comment auroit pu prendre un tel ascendant une créature si foible et si exposée, selon le corps, aux insultes de toutes les autres, si elle n'avoit en son esprit une force supérieure à toute la nature visible, un souffle immortel de l'esprit de Dieu, un rayon de sa face, un trait de sa ressemblance: non,

il ne se peut autrement. Si un excellent ouvrier à fait quelque rare machine, aucun ne peut s'en servir que par les luinières qu'il donne. Dieu a fabriqué le monde comme une grande machine que sa seule sagesse pouvoit inventer, que sa seule puissance pouvoit construire. Ó homme ! il t'a établi pour t'en servir; il a mis, pour

ainsi dire, en tes mains, toute la nature, pour l'appliquer à tes usages; il t'a même permis de l'orner et de l'embellir par ton art: car, qu'est-ce autre chose que l'art, sinon l'embellissement de la nature? Tu peux ajouter quelques couleurs pour orner cet admirable tableau; mais comment pourrois-tu faire remuer tant soit peu une machine si forte et si délicate, ou de quelle sorte pourrois-tu faire seulement un trait convenable dans une peinture si riche, s'il n'y avoit en toi-même et dans quelque partie de ton être, quelque art dérivé de ce premier art, quelques fécondes idées tirées de ces idées originales; en un mot, quelque ressemblance, quelque écoulement, quelque portion de cet esprit ouvrier qui a fait le monde? Que s'il est ainsi, chrétiens, qui ne voit que toute la nature conjurée ensemble n'est pas capable d'éteindre un si beau rayon, cette partie de nous-mêmes, de notre être, qui porte un caractère si noble de la puissance divine qui la soutient; et qu'ainsi notre ame supérieure au monde et à toutes les vertus qui le composent, n'a rien à craindre que de

son auteur?

Mais continuons, chrétiens, une méditation si utile de l'image de Dieu en nous; et voyons de quelle manière cette créature

chérie, destinée à se servir de toutes les autres, se prescrit à elle-même ce qu'elle doit faire. Dans la corruption où nous sommes, je confesse que c'est ici notre foible; et toutefois je ne puis considérer sans admiration ces règles immuables des mœurs que la raison a posées. Quoi ! cette ame plongée dans le corps, qui en épouse toutes les passions avec tant d'attache, qui languit, qui se désespère, qui n'est plus à elle-même quand il souffre, dans quelle lumière a-t-elle vu qu'elle eût néanmoins sa félicité à part? qu'elle dût dire quelquefois hardiment, tous les sens, toutes les passions, et presque toute la nature criant à l'encontre: « Ce m'est un gain de » mourir »; et quelquefois : « Je me ré» jouis dans les afflictions»? Ne faut-il pas, chrétiens, qu'elle ait découvert intérieurement une beauté bien exquise dans ce qui s'appelle devoir, pour oser assurer positivement qu'elle doit s'exposer sans crainte, qu'il faut s'exposer même avec joie à des fatigues immenses, à des douleurs incroyables, et à une mort assurée pour les amis, pour la patrie, pour le prince, pour les autels? et n'est-ce pas une espèce de miracle que ces maximes constantes de courage, de probité, de justice, ne pouvant jamais être abolies, je ne dis pas par le

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