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et nous en avons le cœur déchiré. Après s'être corrompus dans ce qu'ils connoissent, ils blasphèment enfin ce qu'ils ignorent : prodige réservé à nos jours. L'instruction augmente, et la foi diminue. La parole de Dieu, autrefois si féconde, deviendroit stérile, sil'impiété l'osoit; mais elle tremble sous Louis; et, comme Salomon, il la dissipe de son regard. Cependant, de tous les vices, on ne craint plus que le scandale: que dis-je ? le scandale même est au comble; car l'incrédulité, quoique timide, n'est pas muette: elle sait se glisser dans les conversations, tantôt sous des railleries envenimées, tantôt sous des questions où l'on veut tenter Jésus-Christ, comme les Pharisiens; en même temps l'aveugle sagesse de la chair, qui prétend avoir droit de tempérer la Religion au gré de ses désirs, déshonore et énerve ce qui reste de foi parmi nous. Chacun marche dans la voie de son propre conseil ; chacun, ingénieux à se tromper, se fait une fausse conscience. Plus d'autorité dans les pasteurs, plus d'uniformité de discipline: le dérèglement ne se contente plus d'être toléré, il veut être la règle même, et appelle excès tout ce qui s'y oppose. La chaste colombe, dont le partage ici-has est de gémir, redouble ses gémissemens ; le péché abonde, la charité se refroidit, les

ténèbres s'épaississent, le mystère d'iniquité se forme: dans ces jours d'aveuglement et de péché, les élus mêmes seroient séduits, s'ils pouvoient l'être. Le flambeau de l'Evangile, qui doit faire le tour de l'univers, achève sa course. O Dieu, que vois-je ? où sommes-nous ? Le jour de la ruine est proche, et les temps se hâtent d'arriver. Mais adorons en silence et avec tremblement l'impénétrable secret de Dieu.

Ames recueillies, ames ferventes, hâtez vous de retenir la foi prête à nous échapper. Vous savez que dix justes auroient sauvé la ville abominable de Sodome que le feu du ciel consuma. C'est à vous à gémir sans cesse au pied des autels, pour ceux qui ne gémissent pas de leurs misères. Opposez-vous, soyez le bouclier d'Israel contre les traits de la colère du Seigneur; faites violence à Dieu, il le veut d'une main innocente arrêtez le glaive déjà levé.

Seigneur, qui dites dans vos Ecritures: Quand même une mère oublieroit son propre fils, le fruit de ses entrailles, et moi je ne vous oublierai jamais; ne détournez point votre face de dessus nous: que votre parole croisse dans ce royaume où vous l'envoyez; mais n'oubliez pas les anciennes Eglises dont vous avez conduit

si heureusement la main pour planter la foi chez ces nouveaux peuples. Souvenez-vous du siége de Pierre, fondement immobile de vos promesses; souvenez-vous de l'Eglise de France, mère de celle d'Orient, sur qui votre grâce reluit; souvenez-vous de cette maison qui est la vôtre, des ouvriers qu'elle forme, de leurs larmes, de leurs prières, de leurs travaux. Que vous dirai-je, Seigneur, pour nous-mêmes? Souvenez-vous de notre misère et de votre miséricorde; souvenez-vous du sang de votre Fils, qui coule sur nous, qui vous parle en notre faveur, et en qui seul nous nous confions. Bien loin de nous arracher, selon votre justice, ce peu de foi qui nous reste encore, augmentez-la, purifiez-la, rendezla vive; qu'elle perce toutes nos ténèbres, qu'elle étouffe toutes nos passions, qu'elle redresse tous nos jugemens, afin qu'après avoir cru ici-bas, nous puissions voir éternellement dans votre sein ce que nous au

rons cru.

Amen.

SERMON

DE BOURDALOUE,

SUR LES AFFLICTIONS DES JUSTES

ET LA PROSPÉRITÉ DES PÉCHEURS.

Ascendente Jesu in naviculam, secuti sunt eum discipuli ejus : et ecce motus magnus factus est in mari, ita ut navicula operiretur fluctibus. Ipse verò dormiebat; et suscitaverunt eum discipuli ejus, dicentes: Domine, salva nos, perimus; et dicit eis quid timidi estis modicæ fidei?

Jésus étant entré dans une barque, ses disciples le suivirent; et aussitôt il s'éleva sur la mer une grande tempête, en sorte que la barque étoit couverte de flots. Lui cependant dormoit, et ses disciples le réveillèrent en lui disant Seigneur, sauvez-nous; nous allons périr. Jésus leur répondit: pourquoi craignezvous, hommes de peu de foi? En saint Matth. chap. 8.

VOILA, chrétiens, une image bien naturelle de ce qui se passe tous les jours à nos yeux et parmi nous. Il semble que le Saint

Esprit, en nous la traçant dans cet Evangile, ait expressément voulu nous représenter un des plus grands mystères de la conduite de Dieu sur les hommes, et en faire le sujet de notre instruction. Les disciples de Jésus-Christ, c'est-à-dire, les justes et les élus de Dieu, vivent dans le monde, que nous pouvons considérer comme une mer orageuse, et s'y trouvent embarqués par les ordres mêmes de la Providence; Dieu est avec eux, et ne les quitte jamais, il les suit dans toutes leurs voies, il les éclaire et les soutient; mais du reste, à en juger par les apparences, on diroit en mille rencontres qu'il s'en éloigne, qu'il les oublie, qu'il les abandonne, qu'il est à leur égard comme endormi: Ipse verò dormiebat. Il permet qu'ils soient assaillis et battus des plus violens orages, qu'ils soient exposés aux plus rudes tentations, qu'ils soient affligés et presque accablés des misères de cette vie. Or, qui croiroit alors qu'il y a une Providence qui prend soin de leurs personnes, ou qui ne croiroit pas au moins que cette Providence est ensevelie dans un profond sommeil, et qu'elle ignore leurs besoins, surtout lorsqu'on voit les impies prospérer sur la terre, vivre dans le calme, tenir les premiers rangs, jouir de l'abondance, être en possession de tout

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