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doivent pas avoir beaucoup de peine à croire, qu'ils n'ont en eux aucun principe de vie spirituelle, que le corps est tout leur être ; et, comme ils imitent les mœurs des bêtes, ils sont pardonnables de s'en attribuer la nature. Mais qu'ils ne jugent pas de tous les hommes par eux-mêmes: il est encore sur la terre des ames chastes, pudiques, tempérantes ; qu'ils ne transportent pas dans la nature les penchans honteux de leur volonté ; qu'ils ne dégradent pas l'humanité toute entière, pour s'être indignement dégradés eux-mêmes ; qu'ils cherchent leurs semblables parmi les hommes; et, se trouvant presque seuls dans l'univers, ils verront qu'ils sont plutôt les monstres que les ouvrages ordinaires de la nature.

D'ailleurs, non-seulement l'impie est insensé, parce que dans une égalité même de raison, son cœur et sa gloire devroient le décider en faveur de la foi, mais encore son propre intérêt. Car, mes frères, on l'a déjà dit, que risque l'impie en croyant ? quelle suite fâcheuse aura sa crédulité, s'il se trompe? Il vivra avec honneur, avec probité, avec innocence; il sera doux, affable, juste,sincère, religieux, ami généreux, époux fidèle, maître équitable; il modérera des passions qui auroient fait tous les malheurs

de sa vie; il s'abstiendra des plaisirs et des excès qui lui eussent préparé une vieillesse douloureuse ou une fortune dérangée; il jouira de la réputation de la vertu et de l'estime des peuples: voilà ce qu'il risque. Quand tout finiroit avec cette vie, ce seroit là le seul secret de la passer heureuse et tranquille : voilà le seul inconvénient que j'y trouve. S'il n'y a point de récompense éternelle, qu'aura-t-il perdu en l'attendant? Il a perdu quelques plaisirs sensuels et rapides qui l'auroient bientôt, ou lassé par le dégoût qui les suit, ou tyrannisé par les nouveaux désirs qu'ils allument; il a perdu l'affreuse satisfaction d'être, pour l'instant qu'il a paru sur la terre, cruel, dénaturé, voluptueux, sans foi, sans mœurs, sans conscience, méprisé peut-être, et déshonoré au milieu de son peuple. Je n'y vois pas de plus grand malheur; il retombe dans le néant, et son erreur n'a point d'autre suite.

Mais, s'il y a un avenir; mais, s'il se trompe en refusant de croire, que ne risque-t-il pas ? la perte des biens éternels; la possession de votre gloire, ô mon Dieu! qui devoit le rendre à jamais heureux. Mais ce n'est là même que le commencement de ses malheurs; il va trouver des ardeurs dévorantes, un supplice sans fin et sans me

sure, une éternité d'horreur et de rage: Or, comparez ces deux destinées; quel parti prendra ici l'impie? risquera-t-il la courte durée de quelques jours? risquera-t-il une éternité toute entière? s'en tiendra-t-il au présent qui doit finir demain, et où il ne sauroit même être heureux? craindra-t-il un avenir qui n'a plus d'autres bornes que l'éternité et qui ne doit finir qu'avec Dieu même ? Quel est l'homme sage qui, dans une intertitude même égale, osât ici balancer? et quel nom donnerons-nous à l'impie qui, n'ayant pour lui que des doutes frivoles, et voyant du côté de la foi, l'autorité, les exemples, la prescription, la raison, la voix de tous les siècles, le monde entier, prend seul le parti affreux de ne point croire; meurt tranquille, comme s'il ne devoit plus vivre; laisse sa destinée éternelle entre les mains du hasard, et va tenter mollement un si grand événement? O Dieu! est-ce donc-là un homme conduit par une raison tranquille, ou un furieux qui n'attend plus de ressource que de son désespoir? L'incertitude de l'impie est donc insensée dans rès raisons sur lesquelles elle s'appuie.

Mais, en dernier lieu, elle est encore affreuse dans ses conséquences. Et ici souffrez que je laisse les grandes raisons de

doctrine je ne veux parler qu'à la conscience de l'incrédule, et m'en tenir aux preuves de sentiment.

nous pas

Or, si tout doit finir avec nous, si l'homme ne doit rien attendre après cette vie, et que ce soit ici notre patrie, notre origine, et la seule félicité que nous pouvous nous promettre, pourquoi n'y sommesheureux? Si nous ne naissons que pour le plaisir des sens, pourquoi ne peuvent-ils nous satisfaire et laissent-ils toujours un fond d'ennui et de tristesse dans notre cœur? Si l'homme n'a rien au-dessus de la bête, que ne coule-t-il ses jours comme elle, sans souci, sans inquiétude, sans dégoût, sans tristesse, dans la félicité des sens et de la chair? Si l'homme n'a point d'autre bonheur à espérer qu'un bonheur temporel, pourquoi ne le trouve-t-il nulle part sur la terre? d'où vient que les richesses l'inquiètent, que les honneurs le fatiguent, que les plaisirs le lassent, que les sciences le confondent et irritent sa curiosité loin de la satisfaire, que la réputation le gêne et l'embarrasse, que tout cela ensemble ne peut remplir l'immensité de son cœur et lui laisse encore quelque chose à désirer? Tous les autres êtres, contens de leur destinée, paroissent heureux à leur manière, dans la situation où l'au

teur de la nature les a placés: les astres; tranquilles dans le firmament, ne quittent pas leur séjour pour aller éclairer une autre terre; la terre, réglée dans ses mouvemens, ne s'élance pas en haut pour aller prendre leur place; les animaux rampent dans les campagnes sans envier la destinée de l'homme qui habite les villes et les palais somptueux; les oiseaux se réjouissent dans les airs sans penser s'il y a des créatures plus heureuses qu'eux sur la terre: tout est heureux, pour ainsi dire, tout est à sa place dans la nature : l'homme seul est inquiet et mécontent; l'homme seul est en proie à ses désirs, se laisse déchirer par des craintes, trouve son supplice dans ses espérances, devient triste et malheureux au milieu de ses plaisirs; l'homme seul ne rencontre rien ici-bas où son cœur puisse se fixer.

D'où vient cela? ô homme! ne seroit-ce point parce que vous êtes ici-bas déplacé, que vous êtes fait pour le ciel, que votre cœur est plus grand que le monde, que la terre n'est pas votre patrie, et que tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien pour vous? Répondez si vous pouvez, ou plutôt interrogez votre cœur, et vous serez fidèle.

En second lieu, si tout meurt avec le corps, qui est-ce qui a pu persuader à tous

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