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nous serions parfaits; et nous ne sommes communément vicieux, impies, corrompus, que parce que nous sommes incrédules. La foi, telle que la veut saint Paul, nous inspireroit la ferveur, le zèle, la piété; et l'incrédulité ne produit dans nos esprits et dans nos cœurs, que relâchement, qu'aveuglement, qu'endurcissement. Comme la foi, selon le concile de Trente, est le principe et la racine de notre justification, l'incrédulité est l'origine et la source de notre réprobation; comme la foi nous sauve, l'incrédulité nous perd. C'est donc un abrégé de toute la morale chrétienne, que ce que dit Jésus-Christ à saint Thomas: Noli esse incredulus, sed fidelis. C'est aussi ce que j'entreprends de vous montrer dans ce discours, où, sans m'arrêter à faire le panegyrique du glorieux apôtre dont nous célébrons la fête, je veux, en vous appliquant son exemple, vous instruire, premièrement du désordre de l'incrédulité, et en second lieu, du mérite de la foi : du desordre de l'incrédulité, pour vous en donner de l'horreur; du mérite de la foi, pour vous engager à l'acquérir. Ainsi, mes chers auditeurs, n'attendez point de moi d'autre moralité que celle qui regarde la pratique et l'usage de la foi; car c'est à cela que je m'attache uniquement.

par

Demandons les lumières du Saint-Esprit l'intercession de Marie. Ave Maria.

C'est une propriété de l'être de Dieu, que le prophète royal a remarquée, et dont il a prétendu faire un sujet d'éloge quand il a dit, que les ténèbres où Dieu se dérobe à nos yeux, et qui nous le cachent dans cette vie, ne sont pas moins admirables que sa lumière même; et que tout ce que nous découvrons d'éclatant et de lumineux dans ses perfections adorables n'est pas pas plus glorieux pour lui, ni plus vénérable pour nous, que ce qui nous y paroit enveloppé de nuages et couvert du voile d'une mystérieuse obscurité; car c'est ainsi que S. Ambroise a expliqué ce passage du psaume: Sicut tenebræ ejus, ita et lumen ejus; sa lumière est comme ses ténèbres, et ses ténèbres ont quelque chose d'aussi divin que sa lumière. Permettez-moi, chrétiens, en gardant toutes les mesures nécessaires, et sans vouloir en aucune sorte comparer la créature avec Dieu, d'appliquer ces paroles à l'apôtre saint Thomas, dont la conduite et l'exemple nous doivent servir ici de leçon. L'Evangile nous le représente en deux états bien contraires; savoir, dans les ténèbres de l'infidélité, et dans les lumières d'une foi vive et ardente: dans les

ténèbres de l'infidélité, lorsqu'il doute de la résurrection de Jésus-Christ, et qu'il refuse de la croire; dans les lumières d'une foi vive et ardente, lorsque, pleinement persuadé de cette résurrection, il reconnoît Jésus-Christ pour son Seigneur et son Dieu. Or, je prétends que dans ces deux états saint Thomas participe en quelque façon à cette merveilleuse propriété que David attribuoit à Dieu, et qu'on peut très-bien dire de lui, quoique dans un sens tout différent: Sicut tenebræ ejus, ita et lumen ejus. Comment cela ? parce que les lumières de sa foi, et les ténèbres de son infidélité, sans les considérer par rapport à lui-même, ont été également utiles et salutaires pour nous. Les ténèbres de son infidélité nous font connoître le désordre de la nôtre, et les lumières de sa foi ont une vertu particulière pour affermir et pour animer notre foi: Sicut tenebræ ejus, ita et lumen ejus. Aussi est-ce une question entre les Pères, si l'Eglise a moins profité de l'infidélité de saint Thomas que de sa foi, ou si la foi de saint Thomas a été plus utile à l'Eglise que son infidélité ; et tous conviennent que la foi de cet apôtre sans son incrédulité ne nous auroit pas suffi, que son incrédulité sans sa foi nous auroit été pernicieuse; mais que son incrédulité

suivie de sa foi, ou plutôt que sa foi précédée de son incrédulité, a été pour nous une source de grâces. Or, mon dessein est de vous les découvrir ces grâces; et, pour y observer quelque ordre, j'avance deux propositions. Car je dis que l'incrédulité de saint Thomas, par une conduite de Dieu bien surprenante, sert à la justification de notre foi; voilà l'avantage que nous tirons de ses ténèbres, et ce sera la première partie: j'ajoute que la foi de saint Thomas, par une vertu particulière, est le remède de notre infidélité; voilà en quoi nous profitons de ses lumières, et ce sera la seconde partie: Sicut tenebræ ejus, ita et lumen ejus. Un apôtre incrédule, qui par son incrédulité même nous apprend à être fidèles; un apôtre plein de foi, qui par la confession de sa foi nous empêche d'être incrédules : c'est tout le sujet de votre attention.

Ire PARTIE. ENTREPRENDRE de justifier la foi par l'infidélité même, c'est ce qui semble d'abord un paradoxe; mais, dans le sentiment de saint Augustin, c'est une des voies les plus courtes pour discerner la vérité de l'erreur. J'appelle justifier la foi par l'infidélité même, opposer la conduite de l'infidélité à la conduite de la foi, les caractères de l'infidélité aux caractères de

la foi; c'est à dire, opposer les égaremens de l'infidélité à la droiture de la foi, les désordres de l'infidélité à la perfection de la foi, la témérité, la folje, et souffrez que j'use de ce terme qui n'a paru ni trop fort ni trop durà saint Augustin, l'extravagance de l'infidélité à la prudence de la foi; en un mot, comparer l'une avec l'autre, et examiner l'une par l'autre, puisqu'il est vrai

cet examen seul et cette comparaison doit obliger tout homme raisonnable à conclure en faveur de la foi, et le préserver pour jamais du péché de l'infidélité. Arrêtons nous donc à ce plan que je me propose, et considérons-le dans toute son étendue. Car je remarque dans l'incrédulité de saint Thomas quatre différens caractères qui nous expriment parfaitement la nature de ce péché aujourd'hui si contagieux et si répandu dans le monde : j'y remarque, dis-je, l'esprit de singularité, la préoccupation du jugement, l'attache opiniàâtre à sa première résolution, et la petitesse d'un génie borné qui veut mesurer par les sens les choses de Dieu, en ne croyant que ce qu'il voit. Voilà, mes chers auditeurs, ce qui fit le malheur de cet apôtre, et ce que vous avez dû comme moi observer dans la suite de notre Evangile. La singularité paroit, en ce que saint Thomas se trouva sé

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