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Vivre abreuvé de fiel, d'amertume et d'ennuis!
Expier dans ses jours les rêves de ses nuits!
Faire un avenir à sa tombe!

Oh! que j'aime bien mieux ma joie et mon plaisir,
Et toute ma famille avec tout mon loisir,

Dût la gloire ingrate et frivole,

Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers,
S'enfuir, comme devant un essaim d'écoliers
Une troupe d'oiseaux s'envole !

Mais non.

Au milieu d'eux rien ne s'évanouit.

L'orientale d'or plus riche épanouit

Ses fleurs peintes et ciselées;

La ballade est plus fraîche, et dans le ciel grondant L'ode ne pousse pas d'un souffle moins ardent

Le groupe des strophes ailées !

Je les vois reverdir dans leurs jeux éclatants,
Mes hymnes parfumés comme un champ de printemps.
O vous, dont l'âme est épuisée,

O mes amis ! l'enfance aux riantes couleurs
Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs
L'aurore donne la rosée !

Venez, enfants!

A vous jardins, cours, escaliers;

Ébranlez et planchers, et plafonds, et piliers!

Que le jour s'achève ou renaisse,

Courez et bourdonnez comme l'abeille aux champs!
Ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants
Iront où vous irez, jeunesse !

Il est pour les cœurs sourds aux vulgaires clameurs
D'harmonieuses voix, des accords, des rumeurs,
Qu'on n'entend que dans les retraites,

Notes d'un grand concert interrompu souvent,
Vents, flots, feuilles des bois, bruits dont l'âme en rêvant
Se fait des musiques secrètes !

Moi, quel que soit le monde, et l'homme, et l'avenir,
Soit qu'il faille oublier ou se ressouvenir,

Que Dieu m'afflige ou me console,

Je ne veux habiter la cité des vivants

Que dans une maison qu'une rumeur d'enfants
Fasse toujours vivante et folle.

De même, si jamais enfin je vous revois,
Beau pays, dont la langue est faite pour ma voix,
Dont mes yeux aimaient les campagnes,
Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon,
Fortes villes du Cid! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !

Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d'une arche entre deux monts jetés,
Voir vos palais romains ou maures,

Votre Guadalquivir qui serpente et s'enfuit,

Que dans ces chars dorés qu'emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores!

VICTOR HUGO.

ÉLÉGIE AUX NYMPHES DE VA U X 1.

REMPLISSEZ l'air de cris en vos grottes profondes ;
Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,
Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors

Dont les regards de Flore ont embelli ses bords.
On ne blâmera pas vos larmes innocentes :

Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes;
Chacun attend de vous ce devoir généreux;
Les Destins sont contents, Oronte est malheureux.
Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines,
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevait des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
Hélas! qu'il est déchu de ce bonheur suprême!
Que vous le trouveriez différent de lui-mêine!
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits.

1) Sur la disgrâce de Fouquet, surintendant des finances; il encourut la haine de Louis XIV, qui le fit juger pour dilapidation du trésor. Il fut condamné à une prison perpétuelle. 2) Maison de campagne de Fouquet.

Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,
Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.
Voilà le précipice où l'ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité.

Dans les palais des rois cette plainte est commune ;
On n'y connaît que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstants;
Mais on ne les connaît que quand il n'est plus temps.
Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,
Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles,
Il est bien mal aisé de régler ses désirs;
Le plus sage s'endort sur la foi des zéphirs.
Jamais un favori ne borne sa carrière;

Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière ;
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit.
Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte
Ne suffisaient-ils pas sans la perte d'Oronte?
Ah! si ce faux éclat n'eût pas fait ses plaisirs,
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs,
Qu'il pouvait doucement laisser couler son âge!
Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage,
Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour
Saluer à longs flots le soleil de la cour:
Mais la faveur du ciel vous donne en récompense
Du repos, du loisir, de l'ombre et du silence,
Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens ;
Et jamais à la cour on ne trouve ces biens.
Mais quittons ces pensers, Oronte nous appelle.
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appas,
Si le long de vos bords Louis porte ses pas,
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage1;
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage;
Du titre de clément rendez-le ambitieux :
C'est par-là que les rois sont semblables aux Dieux.
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie ;
Dès qu'il put se venger, il en perdit l'envie.

1) Poétique, pour cœur.

Inspirez à Louis cette même douceur;

La plus belle victoire est de vaincre son cœur.
Oronte est à présent un objet de clémence :
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux,

Et c'est être innocent que d'être malheureux 1.

LA FONTAINE.

STANCES A UN PÈRE SUR LA MORT DE SA FILLE.

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle !
Et les tristes discours 2

3

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle

L'augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

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4) L'éloquent défenseur de Fouquet, Pélisson, adressa aussi à Louis XIV, en faveur de son malheureux client, une pièce de vers, qui se termine par ceux-ci : Libre de passions, et libre d'intérêts,

Je ne suis qu'à demi du rang de vos sujets;

Mais depuis deux hivers admirant votre vie,

Mon cœur se sent touché d'une plus noble envie.

Si je puis quelque jour, d'un vol audacieux,

M'élever de la terre et m'approcher des cieux;

Si je puis quelque jour, charmé de vos merveilles,
Montrant à l'univers, après de longues veilles,
Ce que peut un esprit nourri dans les beaux-arts,
Égaler votre histoire à celle des Césars,

Ne me dérobez point ce beau trait de clémence;

Je l'attends, et mes vœux sont les vœux de la France. »

2) Raisonnements.

pour avec.

3) Pour l'amour. V. Tome 1er. p. 431.

-

4) Vieux,

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin;

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il avenu?

Penses-tu que plus vieille en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil,

Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier;

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles

Et nous laisse crier.

2

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois ;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois3.

De murmurer contre elle et perdre patience
Il est mal à propos;

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.

MALHERBE.

L'ARABE AU TOMBEAU DE SON COURSIER.

ÉLÉGIE.

Ce noble ami, plus léger que les vents,
Il dort couché sous les sables mouvants.

O voyageur! partage ma tristesse ;
Mêle tes cris à mes cris superflus.
Il est tombé le roi de la vitesse !

L'air des combats ne le réveille plus.

1) Archaïsme. — 2) Cela est naturel, mais non d'un beau naturel. mors æquo pulsat pede Pauperum tabernas regumque turres.» Hor,

3) « Pallida

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