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» prouver qu'une faible émotion, et de se con» tenter d'approuver quand on voudrait que l'esprit fit étonné et le cœur déchiré *.

» Vous avez fait un commentaire de Cor>>neille, pour avoir occasion de vous appesan»tir sur des défauts qui sont moins de lui que » de son temps, pour lui en rechercher d'ima» ginaires, et pour affaiblir, autant que vous >> le pourriez, les beautés sublimes qui vous >> mettent si loin au-dessous de lui. Vous avez >> dit de Boileau qu'on ne trouve aucun en»thousiasme dans ses poésies; et, comme son >> Lutrin vous a toujours offusqué la vue, vous >> avez trouvé que le Dispensari, petit poëme » anglais, était peut-être (admirez cette ré

» serve!) supérieur au Lutrin, ainsi que je

» ne sais quel autre poëme anglais sur les mé

1 De se contenter d'approuver, quand on voudrait que, etc. Il y a une contradiction dans cette phrase: si on se contente, on ne veut pas autre chose. D'ailleurs, comment peut-on dire que Racine ne causé que de faibles émotions! Quoi! Athalie, Phèdre, Britannicus, Iphigénie, Andromaque, Bajazet, etc., etc., ne font éprouver que de faibles émo

tions!......

M. Clément, dans la suite de ses lettres, détaille parfaitement les causes de l'animosité particulière de Voltaire contre Racine.

>>> decins et les apothicaires, qui a, dites-vous, » plus d'imagination, de variété, de naïveté » que ce même Lutrin.

» Vous avez traité le grand Rousseau de » versificateur qui ne connaît ni son siècle » ni la philosophie, ni la poésie, ni la langue; » de poète qui ne pense point, dont le prin»cipal mérite avait consisté dans des épi» grammes qui révoltent l'honnêteté la plus » indulgente, etc. (Ce reproche sied bien dans » la bouche de l'auteur du poëme infâme de la » Pucelle! **)

» Au moment où l'on élevait à Crébillon un » tombeau, vous l'avez surnommé Crébillon»le-Barbare. Vous avez dit de l'auteur de » l'Esprit des lois qu'il n'était qu'un homme » d'esprit.

» Au moment où l'éloquent J.-J. Rousseau

* M. de Voltaire écrivait à madame du Châtelet, en parlant de ce grand poète : Rousseau est retourné à Bruxelles faire de mauvaises odes. Et M. de Voltaire, qui parle ainsi des plus belles odes faites en notre langue, n'en a jamais pu faire une passable!

** Et M. de Voltaire a fait de cette même Jeanne d'Arc l'éloge le plus pompeux dans la Henriade. Il dit que cette héroïne, la honte des Anglais, sauva la France et son roi.

» était banni et malheureux, vous l'avez dé» chiré sans pitié dans un poëme bien indigne » de vous (la Guerre de Genève). Vous avez » fait d'envieuses critiques du style de M. de » Buffon, style assez beau pour vous faire sé» cher de jalousie. Vous avez dit de lui: Rien » n'est plus déplacé que de parler physique poétiquement. C'est de charlatanisme d'un » homme qui veut faire passer de faux sys» tèmes à la faveur d'un vain bruit de paroles. » Les petits esprits sont trompés par ces ap» pas, et les bons esprits le dédaignent. Vous » ne pouvez ignorer cependant que Platon a » parlé de philosophie; Xénophon, de poli»tique; Pline, de physique et d'autres arts » du style le plus sublime et le plus poétique.

» Vous avez tâché d'enlever à la tragédie de » Didon la gloire qu'elle s'est acquise et qu'elle » conservera malgré vous. Vous nous avez dit » que Vert-Vert et la Chartreuse sont tombés, et ne se lisent plus; enfin que n'avez

>> vous pas dit?...

» On a vu même, depuis peu, un de vos » plus écervelés partisans s'établir publi

* M. de La Harpe.

*

» quement votre champion contre le grand » Rousseau, pour lui disputer ce surnom de grand envers et contre tous. On vous a vu » aussitôt, l'encensoir à la main, rendre grâce » à ce généreux champion, qui voulait bien se >> faire honnir pour l'amour de vous *.

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>> Vous aviez donné l'exemple de coudre >> beaucoup de lambeaux philosophiques aux >> discours de vos personnages: dès lors, au» cun acteur, prince ou confident, jeune ou >> vieux, tranquille ou passionné, n'osa plus >> ouvrir la bouche sans lâcher une maxime.

>> Vous aviez semé dans vos pièces des allu>>sions hardies contre la religion, talent facile

* Cette belle prouesse a fait faire l'épigramme suivante, qui ne sera sûrement pas louée dans le Mercure (dont M. de La Harpe était le rédacteur):

Quand la harpie, oracle du Mercure,

Du grand Rousseau vient déchirer le nom,
Et que, pour prix de cette insulte obscure,
Voltaire élève au ciel ce mirmidon,
Expliquez-nous qui des deux, je vous prie,
De plus d'opprobre a souillé son pinceau,
Ou la harpie en déchirant Rousseau,
Ou bien Voltaire en louant la harpie.

(Cette note est de M. Clément.)

>> et misérable qu'avaient eu avant vous Berge>> rac et Théophile on ne rechercha bientôt » que des sujets où l'on pût faire de fortes ap>>plications à notre culte, à nos prêtres.

>> Vous aviez pris la défense de la comédie » larmoyante, où vous aviez eu quelque suc» cès vous aviez dit que tous les genres sont » bons, hors le genre ennuyeux. Comme per» sonne ne se croit né pour ennuyer, chacun >> inventa son genre, qu'il soutient fort bon.

» Les uns en firent un mélange de tragique >> et de comique; les autres un tissu d'aven»tures romanesques, de reconnaissances, de » situations bourgeoisement pathétiques.

>> Ceux-ci s'imaginèrent qu'avec une intrigue >> telle qu'elle, on pouvait en composer une >> suite de dialogues moraux et philosophiques, >> le tout assaisonné de réflexions hardies et » profondes, pour l'instruction du peuple.

» Ceux-là, charmés d'avoir vu que la déco>>ration d'un café, dans votre Écossaise,* » avait fait la moitié du succès de cette pièce >> bizarre, ne s'embarrassèrent plus des pa» roles, ni du style, ni du comique dans une » comédie. Ils y substituèrent une pantomime » très-fréquente et très-utile aux mœurs;

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