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voir cette merveilleuse chanteuse, il se hâta de sortir du cabinet et de la maison: il retourna chez lui, s'enferma dans sa chambre, et il expia par des torrens de larmes le plaisir involontaire qu'il venait de goûter. Ses parens recommencèrent à le persécuter, afin de prendre le jour pour l'entrevue avec mademoiselle de Téflis; et le jour fatal arrivé, il se trouva dans le salon de ses parens à l'heure indiquée. Madame et mademoiselle de Téflis n'y étaient point encore: il n'y trouva qu'un notaire, le baron et la baronne de Linange, et la vicomtesse de Flavy; ce qui le surprit, car il savait à quel point sa mère aimait le inonde et l'éclat. La vicomtesse, l'appelant auprès d'elle, lui dit : « Voilà des tablettes que je suis chargée de vous remettre; mais il faut d'abord vous expliquer ce que c'est. Contre l'usage reçu, mademoiselle de Téflis, afin de vous faire connaître son talent pour la peinture, a voulu vous faire présent de ces tablettes, et, n'osant vous les offrir elle-même, elle m'a priée de vous les donner. Vous verrez qu'elle peint comme un artisté; et, ayant rencontré chez moi une personne dont elle sait que vous aimez la figure, c'est elle qu'elle a voulu peindre, et

voici ce portrait, dont je crois que vous serez content». A ces mots, elle lui présente les tablettes. Jules, par un pressentiment indéfinissable, les reçoit d'une main tremblante; il les ouvre avec émotion et découvre le portrait; et quels sont sa surprise et son saisissement, en reconnaissant aussitôt Célénie!..... Il reste confondu, pétrifié; dans ce moment, les deux battans de la porte du salon s'ouvrent avec bruit, et on annonce à haute voix madame et mademoiselle de Téflis. Jules, en tressaillant, lève les yeux et reconnaît encore Célénie, plus belle que jamais, brillante de bonheur, de parure et de joie; il tombe à genoux en s'écriant: << O ciel! n'est-ce point une illusion? Non, s'écrie-t-on de toutes parts. Mademoiselle de Téflis est cette Célénie que vous regrettiez avec tant d'amertume. Oui, c'est elle, reprit la vicomtesse; voilà l'épouse que je vous réservais depuis long-temps; et sachant qu'elle était décidée, du consentement et même par l'ordre exprès de sa mère, à n'épouser que celui dont l'affection pour elle ne serait point équivoque, nous avons tous de concert composé ce petit roman. Je lui ai montré successivement tous les billets que vous m'avez

non,

écrits; elle a connu avec certitude qu'en épousant mademoiselle de Téflis, vous vous immoliez à l'obéissance filiale; elle a vu avec attendrissement l'expression de vos regrets, de votre douleur, et ne pouvant douter qu'elle ne soit aimée pour elle-même, elle vous donne sa foi avec autant de satisfaction que vous pouvez en éprouver en la recevant.

Rien ne peut donner une idée des transports qu'excita dans l'âme du jeune amant cette heureuse explication; le reste de la soirée fut un enchantement qui se passa en questions réitérées et en exclamations. L'heureux comte Jules épousa l'aimable et sensible Célénie: on n'avait pas recherché pour lui, comme la première fois, la plus riche héritière; le baron de Linange avait enfin appris que l'argent ne fait pas tout, et d'autant plus, que la riche Octavie, ruinée, perdue de réputation, était reléguée dans un couvent, et que son mari, victime de toutes les passions honteuses, était enfermé à Saumur. Madame de Téflis avait proposé à sa fille un riche étranger, possesseur de deux millions de rente, jeune et d'une figure agréable; Célénie prit beaucoup d'informations sur lui; elle n'en apprit qu'une seule

chose qui lui suffit pour le refuser : c'est qu'il se mourait d'ennui et qu'il avait tous les symptômes de la consomption, quoiqu'il eût vainement cherché dans la dissipation tous les moyens de s'égayer et de se distraire. Eh! que ne les cherchait-il, dit-elle, dans la bienfaisance et dans la pitié; il les eût trouvés sans doute : c'est le seul parti heureux et raisonnable que l'on puisse tirer d'une fortune immense. Elle refusa avec fermeté d'unir son sort à celui d'un homme dont les sentimens avaient si peu de rapport avec les siens.

La destinée du comte Jules et de sa femme fut ce qu'elle devait être, également douce et pure; leur confiance mutuelle, leur parfaite sincérité, leurs principes religieux, les préservèrent des égaremens des passions sans frein, et du goût désordonné pour le faste eț la magnificence. Ils mirent toujours en pratique les sublimes préceptes de l'Écriture sainte, sur l'amour filial, l'amitié, l'aumône; ils ne s'ennuyèrent jamais, et ils purent se dire à la fin de leur carrière: Ce que j'ai reçu de mes ancêtres, passe à d'autres; ce que j'ai dépensé, je l'ai perdu; ce que j'ai donné, je l'emporte avec moi.

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Comme je l'ai déjà dit, j'ai composé cette nouvelle de trois événemens véritables; l'un ancien, et les deux autres arrivés dans le même temps, il y a environ dix-huit mois.

Un homme de lettres de beaucoup d'esprit (ce qui ne se trouve pas toujours nécessairement réuni), et que je n'avais pas l'honneur de connaître, me fit celui de m'écrire de Toulouse, il y a trois ou quatre ans, pour me proposer un sujet de nouvelle : c'était une anecdote ancienne, reconnue authentique dans la province, sur un château gothique situé aux environs de Toulouse. Ce château était habité par une jeune personne engagée par ses parens et par son inclination à épouser très-prochainement un de ses voisins qu'elle aimait depuis l'enfance; mais il devint inconstant. Il donna sa foi à une autre, et comme, pour aller à l'église, la noce devait passer à pied devant le château de la jeune personne délaissée, celle-ci, au désespoir, l'attendit à une fenêtre, et lorsqu'elle aperçut son parjure amant, elle le laissa s'avancer, et ensuite elle s'élança volontairement par la fénêtre, et elle tomba morte à ses pieds!....

J'ai toujours eu de l'horreur et du mépris pour les suicides, et je n'ai point voulu souiller l'innocence de mon héroïne par cet acte de frénésie. Ainsi, j'ai supposé qu'elle était tombée involontairement en voulant seulement lancer une lettre.

Voici le second événement. Mon ancien ami, le docteur Alibert, reçut à l'hospice royal de Saint-Louis une jeune fille devenue tout à coup aveugle par une révolution subite, causée par l'amour, c'est-à-dire par l'abandon total et l'infi

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