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DIXIÈME SOUPER.

La maréchale, la duchesse de Lauzun, le chevalier de Coigny, l'abbé de Vauxelles, l'évêque de Lescar, le président de Périgny, la comtesse de Lutzbourg, la marquise de****.

LE CHEVALIER.

On a présenté hier à madame la maréchale la belle et jeune madame de ***** ?

LA MARECHALE.

Oui, et je vous avoue que cette figure si vantée ne me plaît pas plaît pas du tout.

LA DUCHESSE.

Elle est pourtant bien belle.

LA MARÉCHALE, à madame de Lauzun.

Vous l'avez entendu dire, et vous le croyez. (Au chevalier.) Elle est d'une crédulité par

faite pour toutes les louanges données aux

autres.

LE CHEVALIER.

Et d'une incrédulité touchante pour toutes les critiques, les satires et les médisances.

LA MARECHALE.

Allons, gâtez-la bien; achevez de la rendre bien insipide.

L'ABBÉ *.

L'extrême bonté sans ostentation ne peut jamais l'être.

LA MARÉCHAle.

Vous parlez en ecclésiastique.

L'ABBÉ.

Je parle en chrétien.

LA MARECHALE.

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Je veux me justifier sur madame de ***** dont j'ai critiqué la figure; elle a sans doute

* L'abbé de Vauxelles était homme de lettres fort distingué par ses talens et ses principes; il avait beaucoup d'usage du monde; il était aimé et recherché dans la société. Entre autres écrits, il a fait un éloge justement estimé de madame de Sévigné.

des traits réguliers, un beau teint, une taille élégante; mais, quoiqu'elle ne soit pas recueillie dans sa beauté *, car elle est pour cela beaucoup trop évaporée; elle s'en occupe à toute minute; elle relève à chaque instant son collier, et les rubans de son parfait contentement; elle mord continuellement ses lèvres pour les rougir; elle étale en avant ses deux pieds croisés pour faire voir qu'ils sont jolis; en un mot, elle a tous les tics de la fatuité féminine **

LE PRÉSIDENT

***

Les hommes, par la suite, inventeront,

Expression de madame de Sévigné, parlant d'une belle personne de ce temps.

** On portait alors des colliers serrés dans le haut du cou, et on les relevait, parce qu'on trouvait que plus ils étaient près du dessous du menton, plus ils embellissaient le visage. On appelait parfait contentement un nœud de rubans posé sur le haut de la poitrine. Tous ces petits soins de toilette, dont parle la maréchale, étaient alors fort ridicules et de mauvais ton. Qu'aurait-on dit, si l'on eût vu dans ce temps les jeunes gens se permettre dans un cercle une affectation habituelle de ce genre? celle de porter sans cesse la main à leur chevelure, pour y maintenir ou pour y produire ce qu'on appelle un coup de vent, et cela pendant toute la durée d'une longue visite?...

*** Le président Périgny, du parlement de Dijon, était uni

peut-être pour leur usage, quelques-uns de ces

tics.

L'ÉVÊQUE.

Oh! cela est impossible; car un tel ridicule dans un homme serait doublé.

LA MARECHALE, à l'évêque.

Monseigneur, on ne parle en ce moment que de votre beau Discours sur l'état futur de l'Église. Vous auriez bien dû nous l'apporter; ce qui nous aurait occupés beaucoup plus solidement la conversation frivole que que vous venez d'entendre.

L'ÉVÊQUE.

Comme on ne peut jamais prévoir jusqu'où peut aller l'indulgence de madame la maréchale, je n'ai point eu la présomption de l'apporter; mais j'en sais par cœur quelques mor

ceaux....

versellement recherché dans le grand monde pour son esprit et son amabilité. Les princes du sang n'admettaient point chez eux (on ne sait pourquoi) des hommes de robe; mais ils recevaient tous M. de Périgny, qui, lorsqu'il n'était point en Bourgogne, passait sa vie au Palais-Royal, à Villers-Cotterets, au Temple et à l'Ile-Adam.

TOUS, à la fois.

Ah! parlez, parlez, monseigneur ! Nous

vous écoutons.

L'ÉVÊQUE.

Voici les fragmens que je me rappelle :

« N'écoutez que Jésus-Christ et ses apótres; >> eux seuls ne vous tromperont point. D'un » côté, Jésus-Christ vous dit: Allez, je suis » avec, vous jusqu'à la fin des siècles; de l'au» tre : Pensez-vous, quand le fils de l'homme » reviendra, qu'il trouve encore de la foi sur » la terre? Saint Paul nous annonce les beaux » jours de l'Église, et comme une résurrection » de la mort à la vie, par le retour des enfans » de la dispersion; et tout à coup, jetant un regard terrible sur les peuples de la genti»lité, il les menace d'un affreux retranche»ment: Prends donc garde, ó gentil! car si » Dieu n'a pas épargné les branches natu»relles, crains qu'il ne t'épargne encore » moins *.

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Qui ne serait effrayé de ces redoutables

* L'auteur ne manque jamais de citer à chaque paragraphe le passage latin de la sainte Écriture.

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