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» du livre : Nous louons un cheval de ce qu'il » est vigoureux et adroit, non de son harnois; » un levrier de sa vitesse, non de son collier; » un oiseau de ses ailes, non de ses longes et » sonnettes. Pourquoi de même n'estimons» nous un homme par ce qui est sien? il a un » grand train, un beau palais, tant de crédit, » tant de rente: tout cela est autour de lui, » non en lui. Si vous marchandez un cheval » vous lui ôtez ses bardes; vous le voyez » nu et à découvert. Pourquoi, estimant un » homme, l'estimez-vous tout enveloppé et em» paqueté?

» Le style de Montaigne n'est pas noble, » ajoutez-vous. Je vous prie de jeter les yeux » sur le passage suivant, et de me dire si nos » écrivains modernes, qui ont tant rebattu les » pensées de Montaigne sur l'éducation des en» fans, l'ont surpassé par la noblesse et même » par l'élégance du style, à deux ou trois mots » près qui sont vieillis.

» Au lieu de convier les enfans aux lettres, » on ne leur présente qu'horreur et cruauté. » Otez-moi la violence et la force; il n'est » rien, à mon avis, qui abátardisse si fort » une nature bien née. Si vous avez envie qu'il

» craigne la honte et le châtiment, ne l'y en» durcissez pas. Endurcissez-le à la sueur » et au froid, au vent, au soleil, et aux ha»sards qu'il lui faut mépriser. Otez-lui toute » mollesse et délicatesse au vétir et au cou» cher, au manger et au boire: accoutumez » le à tout; que ce ne soit pas pas un beau garçon » et dameret, mais un garçon vert et vigou» reux. Enfant, homme, vieil, j'ai toujours » cru et jugé de même; mais, entre autres » choses, cette police de la plupart de nos » colléges m'a toujours déplu: c'est une vraie » geôle de jeunesse captive. Arrivez-y sur » le point de leur office, vous n'oyez que » cris, et d'enfans suppliciés, et de maîtres » enivrés en leur colère. Quelle manière pour » éveiller l'appétit, envers leurs leçons, à ces » tendres âmes et craintives, de les y guider » d'une trogne effroyable, les mains armées » de fouets! Combien leurs classes seraient

plus décemment jonchées de fleurs et de feuil»lées, que de tronçons d'osiers sanglans? jy » ferais portraire la joie, l'allégresse, et flora, » et les grâces*. »

*

Toutes ces critiques et ces pensées ont été pillées par

» La précision et la véhémence caractéri» sent particulièrement le style de Montaigne, » et il en donne un exemple dans la manière » dont il définit sa façon d'écrire.

» Le parler que j'aime, dit-il, c'est un par» ler simple et naïf, un parler succulent et ner» veux, court et serré, non tant délicat et » peigné, comme véhément et brusque.

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que

>> Quant à Voiture, vous le traitez aussi mal les autres poètes *. Il y a, sans doute, à >> critiquer dans ses ouvrages; mais il y a en» core plus à louer. Dans votre temple du » goût, vous bornez tout son mérite à avoir >> fait quatre ou cinq petites pièces de vers, et

peut-être autant de lettres. Au lieu de quatre » ou cinq, on peut vous en citer au moins » quarante, que vous seriez jaloux d'avoir >> écrites. Quant aux vers, vous avez tâché

Jean-Jacques Rousseau, et forment le fond de son Émile. Il a pillé bien d'autres choses de Montaigne et de Sénèque : j'en ai parlé ailleurs avec détail.

* Clément a cité un grand nombre de poètes et d'écrivains très-injustement jugés par Voltaire.

» d'oublier que Voiture, indépendamment de >> plusieurs petites poésies très-agréables, a » fait une épître au prince de Condé, qui n'est >> point une petite pièce, puisqu'elle a près de » quatre cents vers, et qu'elle est aussi excel>> lente qu'aucune qu'on ait faite depuis dans le » même genre. Comme elle mérite d'être lue » tout entière, je n'en rapporterai rien que » deux vers que vous n'avez pas dédaigné d'i» miter : le poète dit au héros de ménager sa » vie, parce qu'il n'est plus au temps des » Amadis et des armures enchantées, que la » mort aujourd'hui fait lancer ses traits d'une >> force sans seconde,

» Et qu'un peu de plomb peut casser

» La plus belle tête du monde.

» Vous, monsieur, vous dites au roi de >> Prusse :

» Songez que les boulets ne vous respectent guère,
» Et qu'un plomb dans un tube entassé

par

des sots,

>> Peut casser d'un seul coup la tête d'un héros.

» Il faut convenir que l'imitation n'a ni les » grâces ni la belle simplicité de l'original. Il » importe fort peu que ce plomb soit chargé » par sots; un sot peut être brave, et ce

des

:

» mot n'est point l'opposition de héros d'ail» leurs, la description physique de ce plomb » entassé dans un tube, qui a une prétention de » science déplacée, ôte à ce sentiment toute »sa fleur et sa délicatesse, surtout quand >> vous ajoutez ces deux vers bizarres :

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>> Lorsque, multipliant son poids par sa vitesse,
» Il fend l'air qui résiste, et pousse autant qu'il presse.

» Je ne sais si ce ne serait pas en partie » votre ingratitude envers Voiture, et le peu » de justice que vous lui rendez, qui aurait » fait dire à Rousseau, dans une lettre qui » vous concerne entièrement : « Il pille à » droite et à gauche tous les auteurs qu'il trouve » sous sa main, et les dénigre ensuite, dans » l'espérance que, sur sa parole, on se dé» goûtera de les lire, et que, par ce moyen, ses »larcins demeureront à couvert.

» Il Il y a une autre épître de Voiture à M. de » Coligny, laquelle est presque aussi longue » que celle au prince de Condé, et qui, sans >> être aussi bonne, est néanmoins très» agréable.

>> On peut vous rappeler encore une épître

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