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MÉMOIRES

POUR LA VIE

DE MALHERBE,

PAR LE MARQUIS
DE RACAN*.

I.FRANÇOIS DE MALHERBE naquit à Caen, environ l'an 1555. Il étoit de l'illuftre Maifon de Malherbe Saint

CE petit Ouvrage fut imprimé pour la première fois à Paris en 1651 -8 pour la feconde dans un petit Récueil, que Saint-Uffans fit paroitre à Faris en 1672 fous le Titre de D1VERS TRAITEZ de Morale, d'Hilloire & d'Eloquence; pour la troisième fois en 1717 dans le T. I des ME'MOIRES CHiftoire & de Littérature, récucillis par M. de Sallengre; enfin à la tete de f'Edition, , que les Frères Barbou donèrent en 1723 à Paris, des EUVRIS DE MALHERBE, en 3 Vol. in-12; & par tout le Titre eft LA VIE de MALHERBE. Ménage dit dans fes OBSERVATIONS fur les Poefies de MALHERBE, p. 59, du T. 11 de l'Edition de 1723 nomée ci-dessus, la feule que je dois citer ici : J'apprens des MF MOIRES de M. DE RACAN pour la VIE de MALHERBE, écrits en ma faveur. dans le deffein que j'avois d'écrire la Vie de ce Prince de nos Poètes Liri ques, &c. Toutes les' fois qu'il cite cet Ouvrage, il ne le nome pas autrement. Mais eft-ce bien l'ouvrage de Racan, que nous avons? Ou l'avons-nous tel qu'il l'avoit fait ? C'eft, dit M. l'Abbé Goujet, BIBLIOTH. FRANC. T. XV, p. 183. un point de Critique qui m'a paru fort bien difcuté dans les Remarques Critiques de M. l'Abbé Joly,

Chanoine de Dijon, fur le Dictionaire de Bayle (imprimées à Dijon en 1748 in-fol. p. 514.) J'y renvoie. Je me contenterai de dire, qu'après avoir Lien examiné ce qui peut être dit fur ce fujet, M. Joly conclut « qu'il n'y a au

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cun lieu de douter que Racan n'ait jeté fur le papier des Mémoires pour la Vie de fon Maître, l'autorité de Ménage y étant formelle.,, Mais que ces Mémoires aient été imprimés iels qu'ils font fortis de la plume de Racan; , c'eft, dit-il, ce que je ne me perfuaderai jamais. Racan, ajoute-t-il, étoit incapable de doner au public », un tiu de contradictions & d'abfur,,dités, qui bleffent également la mé,, moire de fon Maître & fa propre ré"putation,, M. Joly croit donc " que "les Mémoires de Racan, avant que

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d'être mis en lumière, étant pafes », de main en main, plufieurs perfons

qui avoient connu Malherbe, fe firent ,, un plaifir, les uns de tone foi, les ,, autres par malignité, de les au

gmenter, plus fouvent felon leur caprice on fur des bruits incertains que fuivant les loix de la confcience ,, & de la vérité,,. La conje&ure de M. l'Abbé Joly fait honeur à fa manière de penfer: mais je la crois fans fondement. Les Mémoires de Racan fu

Aignan, qui a porté les armes en Angleterre fous un Duc Robert de Normandie (1); & cette Maifon s'êtoit rendue plus illuftre en ce pais-là qu'au lieu de fon origine, où elle s'étoit tellement rabaiffée que le Père de notre Malherbe n'êtoit qu'Affeffeur à Caen (2). Il fe fit de la Religion un peu avant que de mourir. Son Fils, dont nous parlons, en eut un déplaifir fi fenfible, qu'il en quitta le Pais & s'alla habituer en Provence à la fuite de M. le Grand-Prieur, qui en avoit le Gouvernement ( 3 ). Il entra dans fa Maison à l'âge de

rent imprimés en 1651, dix-&-neuf ans avant fa mort; & nous ne voïons nulle part qu'il fe foit plaint lui-meme, ni perfone pour lui, que l'on cût altéré fon ouvrage. La première Edition des Obfervations de Ménage eft de 1666, quinze ans après l'impreffion des Mémoires de Racan; & Ménage, bien loin d'avertir que ce que le Public avoit entre les mains n'étoit pas le véritable ouvrage de Racan, ne dit meme nulle part que ces Mémoires fuffent imprimés. Il doit donc refter pour conftant que, quant au fond, nous avons les Memoires de Racan tels qu il les avoit faits. Il ne les avoit pas écrits pour le Public. Il les avoit compilés au hazard, jetant tout fans ordre & fans file fur le papier, à mesure que fa mémoire le lui fournisfoit; & laiffant à Ménage à faire le choix des matériaux qu'il lui donoit à mètre en ceuvre. Je ne puis rien dire de l'Edition de 1651, qu'il ne m'a pas été poffible de trouver. Pour celle de 1672, dont les autres font des copies, il eft certain que Saint- Uffans n'a pas fait difficulté de l'interpoler. La Fable du Meunier & de fon Fils n'avoit pas été mise en Vers par la Fontaine en 1651, & le XXXVIIe Entretien de Balzac ne vit le jour qu'en 1657. Je n'ai donc pas fait difficulté de retrancher de ces Mémoires ces deux Pièces qui n'y pouvoient pas être en 1651. Saint-Vilans a fait encore des changemens de ftile en quelques endroits, & d'autres altéracions. Come mon intention eft de rendre ces Mémoires le plus conformes qu'il me fera poffi le à leur original; je donerai les endroits que Ménage en cite, précisément tels qu'il les rapporte, & j'aurai foin d'ên avertir. En confrontant ces endroits avec les Editions ordinaires, on verra la preuve des libertés que Saint - Uffans avoit prifes.

1. (1) C'EST Robert III, Duc de Normandie, Fils de Guillaume le Conquérant. M. de Foix, dit BALZAC, Entrct. XVIII, (lorfqu'il fut ) nomé d l'Archevêché de Toulouse, toit Confeiller au Parlement de Paris.....

Sans ce grand exemple de M. de Foix, Malherbe ne je fut jamais réfolu à traiter pour fon Fils d'un Ofice de Confeiller au Parlement de Provence. Ses Amis lui repréfentèrent en cette occafion qu'après un Gentilhome, Parent des Rois & Allié de toutes les Maifons Souveraines de l'Europe, le Fils d'un Gentilhome. quoique de la race de ceux qui fuivirent en Angleterre Guillaume le Conquérant › pouvoit fans fcrupule exercer une Charge de Confeller.

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(2) VOICI ce qu'on lit dans le Perroniana fi l'on peut faire quelque fond fur ce Livre. Malherbe est un bon efprit, qui écrit fort bien en Vers & en Profe. M. Bertaut m'envoia un jour cette Ode à la Reine (ci p. 51), fans me dire l'Auteur. Je la trouvai excellente. Il a même en fes difcours quelque chofe de bon & de hardi. Il eft Fils d'un Père qui avoit bon efprit, qui étoit Lieutenant-Général à Saint18. C'étoit la fleur du Pais. Il étoit grand ami de mon Père. M. l'Abbé Goujet, ibid. p. 174, dit: M. Huet fe contente de dire que Malherbe fortoit d'une famille qui poffedoit depuis longzems tes premières Magiftratures de la Ville de Caen. Son Pere, Confeiller au Baillage, lui deftinant fa Charge, le fit étudier dans l'Univerfité de Caen, où il eut l'avantage d'avoir pour Maitre le celebre Jean Rouffel, qui avoit Su joindre la force de l'Eloquence & les graces de la Poèfie Latine à la profondeur de la Jurifprudence. Il l'envoia enfuite en Allemagne & en Suiffe. où il prit à Heidelberg & à Bale les leçons des plus habiles Profeffeurs de l'une & de l'autre ville. Revenu à Caen, il fit des difcours dans les Ecoles publiques, aïant l'épée au côté ; ce qui n'étoit pas fans exemple, dit M. Huet.

(3) HENRI d'Angoulême, Grand Pricur de France, Fils naturel de Henri II, accompagna le Maréchal de Retz, Gouverneur de Provence, dans le féjour qu'il alla faire en cette Province en 1574, & lui-même en eut le Gouvernement en 1579.

dix-fept ans (4), & le fervit jufqu'à ce qu'il fut affaffiné par Artiviti (5).

II. PENDANT fon féjour en Provence, il s'infinua dans les bones graces de la Veuve d'un Confeiller & Fille d'un Préfident, dont je ne fais point les noms (1). Il l'époufa après quelques années de recherche, & il en eut plufieurs enfans qui font morts avant lui. Les plus remarquables font une Fille qui mourut de la pefte à l'âge de cinq ou fix ans, & qu'il assista jusqu'à la mort (2) ; & un Fils qui fut tué malheureusement en duel par M. de Piles (3).

III. LES actions les plus remarquables de fa vie, & dont je me puis fouvenir, font que pendant la Ligue, lui & un nomé de La Roque, qui faifoit joliment des Vers & qui eft mort à la fuite de la Reine Marguerite (1), poufferent M. de Sulli fi violemment l'espace de deux ou trois lieues qu'il en a toujours gardé du reffentiment contre Malherbe, & « c'êtoit » la caufe, à ce qu'il disoit, qu'il n'avoit jamais pu tirer de » faveurs de Henri quatrième, pendant que M. de Sulli gou>>vernoit les Finances ».

IV. Je lui ai oui conter auffi plufieurs fois qu'en un partage de fourage ou de butin qu'il avoit fait, il y eut un Capitaine d'Infanterie affés fâcheux qui le maltraita d'abord, jusqu'à lui óter fon épée ; ce qui fut caufe que le Capitaine eut pour un tems les Ricurs de fon côté : mais enfin Malherbe aiant fait en forte de retirer fon épée, il obligea ce Capitaine infolent d'en venir aux mains. D'abord il lui dona un coup à travers le corps, qui le mit hors de combat ; & alors ceux qui l'avoient méprifé auparavant, le félicitèrent de fa belle action. V. Il m'a fouvent dit encore qu'êtant habitué à Aix depuis la mort de M. le Grand-Prieur fon Maître (1), il fut commandé de mener deux cens homes de pied devant la ville de Martigues. Cette ville êtant infectée, les Efpagnols l'affiégeoient par mer, & les Provençaux par terre, pour empê

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Fils du Poëte, fut tué vers l'automne
de 1627, étant fur le point d'étre
reçu Confeiller au Parlement de Pro-
vence. Il a laiffé, dit M. l'Abbé Gou-
jet, ibid. p. 179, quelques Vers
2 ok
il y a plus de feu, mais moins de cor-
reation que dans ceux de fon Père. Je
ne les ai pu trouver nulle part. Si je
les avois recouvrés, on m'eût fu quel-
que gré de les avoir joints aux Poèfier
de fon Père.

III. (1) AU fujet de ce Poète La Roque, Voïés la Table raisonée, &c. p. 419.

V. (1) CE Prince fut tué par Altoviti le 2 de Juin 1586 à Aix,

cher que les habitans ne communiquaffent le mauvais air; & ils la tinrent fi étroitement affiégée par des lignes de communication, qu'ils réduifirent le dernier vivant à mètre le drapeau noir fur la ville avant la levée du fiége. Voilà ce que je lui ai oui dire de plus remarquable en sa vie avant notre connoiffance.

VI. SON nom & fon mérite furent connus de Henri lo Grand par le rapport avantageux, que lui en fit M. le Carle Roi lui dinal du Perron (1). En une certaine rencontre, demandant s'il ne faifoit plus de Vers, il lui dit, « que de» puis que fa Majefté lui avoit fait l'honneur de l'emploier >> en fes affaires, il avoit tout-à-fait quité cet exercice ; & » qu'il ne faloit point que perfonne s'en mêlât après un cer>> tain Gentilhomme de Normandie, habitué en Provence » nomé Malherbe, qui avoit porté la Poèfie Françoise à un » fi haut point, que perfone n'en pouvoit jamais appro» cher » (2). Le Roi fe reffouvint de ce nom de Malherbe. Souvent même il en parloit à M. Defyveteaux, alors Précepteur de M. de Vendôme, & qui en toutes rencontres offroit à Sa Majefté de le faire venir de Provence : mais le Roi ne lui en dona point d'ordre; de forte que Malherbe ne vint à la Cour que trois ou quatre ans après que le Cardinal du Perron eut parlé de lui. Etant donc venu à Paris par occafion pour les affaires particulieres, M. Defyveteaux prit fon tems pour en avertir le Roi ; & auffi-tôt Sa Majefté l'envoia querir. C'êtoit en l'année 1605 (3). Come le Roi êtoit fur le point de partir pour le Limofin, Sa Majefté lui commanda de faire des Vers fur fon voïage, qu'il lui présenta à son retour. C'eft cette excellente Pièce qui commence :

O Dieu dont les bontés de nos larmes touchées (4). Le Roi fut fi content de ces Vers, que, defirant le retenir à fon fervice, il commanda par avance à M. de Bellegarde de lui doner fa maifon, jufqu'à ce qu'il l'eût fait mètre fur l'êtat de fes Penfionaires. M. de Bellegarde lui dona fa table, un cheval & mille livres d'appointemens.

VII. RACAN, qui êtoit alors Page de la Chambre fous M. de Bellegarde & qui commençoit à faire des Vers, eut par cette rencontre la connoiffance de Malherbe, dont il apprit

VI. (1) ALORS feulement Evêque d'Evreux.

(2) CE fut au voïage de Lion en 1601, que le Cardinal du Perron fit au Roi l'éloge de Malherbe, come on le voit par une Lètre du Poète à ce Prélat, duo de Novembre 1601. LET. de Mal. L. II. Lèt. II. Le Cardinal

fondoit fon jugement fur l'ODE ¿ la Reine Marie de Médicis fur fa bienvenue en France. V. ci-deffus I, 2, & Table raifonée, Liv. I, XI.

(3) Au mois de Septembre, come on l'apprend de la Lètre XIII du Liv. II des LETRES de Malherbe,

(4) CI, P. 78.

ce qu'il a jamais fu de la Poèfie Françoife, ainfi qu'il l'avoue lui-même dans une Lètre qu'il a écrite à M. Conrart. Cette connoiffance & l'amitié qu'il contracta avec Malherbe, dura jufqu'à la mort arrivée en 1628, quatre ou cinq jours avant la prife de la Rochelle, come nous le dirons ci-après.

VIII. A LA mort de Henri le Grand, la Reine Marie de Médicis gratifia Malherbe de cinq cens écus de penfion; ce qui lui dona moïen de n'être plus à charge à M. de Bellegarde (1). Depuis ce tems-là il a fort peu travaillé ; & je ne pense pas qu'il ait fait guère autre chofe que les Odes pour la Reine Mère, quelques Vers de Balet, quelques Sonnets au Roi, à Monfieur & à des particuliers ; & cette dernière Pièce qu'il fit avant que de mourir, qui commence.

Donc un nouveau labeur à tes armes s'apprête (2).

IX. POUR parler de fa Perfone & de fes Mœurs, fa conftitution étoit fi excellente, que j'ai oui dire à ceux qui l'ont connu en fa jeuneffe, que fes fueurs avoient quelque chofe d'agréable, come celles d'Alexandre. Sa converfation étoit brufque mais il ne difoit mot qui ne portât. En voici quelques-uns.

X. PENDANT la prifon de M. le Prince (1), le lendemain que Madame la Princeffe (2) fut accouchée de deux enfans morts, pour avoir éte incommodée de la fumée qu'il faifoit en fa chambre au Bois de Vincennes, il trouva un Confeiller de Provence de fes amis en une grande trifteffe, chés M. le Garde des Sceaux du Vair. Il lui demanda la caufe de fon affliction. Le Confeiller lui répondit « que les » Gens de bien ne pouvoient avoir de joie après le malheur » qui venoit d'arriver, de la perte de deux Princes du Sang, >> par les mauvaises couches de Madame la Princeffe ». Matherbe lui répondit ces propres mots : Monfieur, Monfieur, cela ne doit point vous affliger; vous ne manquerés jamais de

maître.

XI. UNE autre fois, un de fes Neveux le venant voir au

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IV jufqu'à celle de Malherbe, & renferme près de la moitié de fes Poèfics; ce qui femble démentir ce que Racan avance dans cet Article. Il devoit po xtant être fur de ce qu'il difoit; & Pen en peut conclure, que nous n'avons pas toutes les Poèfies de Malherbe.

(1) HENRI de Bourbon, Prince de Condé.

(2) CHARLOTF-Marguerite de Montmorenci, dont Henri IV avet été fort amoureux. Notre Poète a fait plufieurs Pièces, au nom de ce Roi, pour cette Frinede.

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