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Il y a bien plus de raifon de fe vendre, étant jeune; car PENSE'Es qui voudroit doner de l'argent pour une Vieille.

FAUSSES.

ABSUR

XVI. CE qui ne renferme aucun fens raisonnable, foit XVI. en foi-même, foit rélativement à ce qui précède ou ce qui DITE's. fuit, eft ce qui porte ici le nom d'Abfurdités.

Las que me fert de voir ces belles plaines
Pleines de fruits, d'arbriffeaux & de fleurs ;
De voir ces prés bigarés de couleurs,
Et l'argent vif des bruïantes fontaines?

C'est autant d'eau pour reverdir mes peines
D'huile à ma braise, à mes larmes d'humeurs,
- Ne voïant point celle pour qui je meurs

Cent fois le jour de cent morts inhumaines.

Ces fruits & ces fleurs font autant d'humeurs à mes larmes, jugés de cette belle conception (99).

Mon Dieu ! mon Dieu ! Que j'aime fes beaux ieux,
Dont l'un m'eft doux, l'autre plein de rigueur.
Je ne puis imaginer come une Femme a un œil doux &
l'autre rigoureux. Les ieux tantôt doux & tantôt rigoureux,
cela fe peut mais non le refte.

Je mourus dedans moi, penfant trouver ma vie
Au cœur de la Beauté qui me l'avoit ravie:
Mais depuis je n'ai pu, dont j'ai fuuffert la mort;
Et fi je femble vif, las! ne t'en émerveille,
Le tiran fait en moi cette étrange merveille
Pour montrer clairement qu'il eft puiffant & fort.
Vers 1-3. Chimère extravagante. Il mourut dedans lui,
penfant trouver la vie au cœur de fa Maîtreffe qui la lui
avoit ravie : mais depuis il ne put, dont il est mort.
Les trois derniers Vers ne font pas moins abfurdes.
Madame, Amour, Fortune & tous les Elemens
Animés contre moi, font bandés pour me nuire:
Sans plus le doux fommeil de leurs fers me retire.

(99) Il en faut dire autant de clure que les deux Stances enfemble des mots d'huile à mabraife; & con- font d'une abfurdité très complète.

SV.

42 R.

$7 R.

ABSURDITE'S.

29 R.

123 R.

#34 V.

63 R.

Etrange Imagination; le fommeil le retire des fers da feu, de l'air, de l'eau & de la terre.

Elle est fourde aux flots de mes pleurs ;

Et clôt, de peur d'être benine,

L'oreille au fon de mes douleurs.

Quel fon ont les douleurs? Je ne les ouis jamais timer ni carilloner.

Venus, au lieu de lait, quand j'étois au berceau, Me fit fucer des feux, des foupirs & des larmes. Pour les larmes, bon: mais des feux & des foupirs, il n'y a pas d'apparence.

Si mon ardent cri ne te peut échauffer.

Ce n'eft pas la coutume que les cris échauffent ceux à qui

l'on crie.

O Mort! tu perds ton tems de me poursuivre ainfi,
Me tenant miférable en fièvre continue
Qui trouble mon cerveau, come la mer émue
Batant de cent bouillons un rocher endurci

Je n'ai plus de couleur, mon œil eft tout noirci;
Ma langue, ardant fans ceffe, eft sèche devenue,
Mon accès violent jamais ne diminue;

Et tu ne peux finir ma vie & mon souci.

C'eft

que tes coups font vains contre une froide lame Sans cœur, fans mouvement, fans efprit & fans ame, Qui rebouche les traits de ta cruelle main.

Si tu veux donc, ô Mort! triompher de ma vie,
Il faut contre ma Dame adresser ta furie.

Bleffe mon cœur qu'elle a, je mourrai tout foudain. Terset I, Vers 1 & 2. A quel propos peut-on dire, Je fuis une froide lame. J'ai bien oui dire en boufonant, C'cft une chaude lame : mais froide, jamais. S'il prend lame pour tombe, à quel propos ce qui fuit? En a-t-on jamais vu qui ait cœur, mouvement, efprit & ame (100)?

(100) Defportes, prenant le mot de lame dans le fens de tombe, dit par une Métaphore prodigieufement forcic, Je suis une froide lame pour Je

fuis mort. Mais, come nons avons vu Malherbe le dire ailleurs, ce qui convient au fignifié, ne convient pas tou jours au fignifiant.

MAU

INVEN

Terfet II. Chimère (101). XVII. J'AI promis de finir par les mauvaises Inventions XVII. ou les Traits mal imaginés, c'est-à-dire, les Traits d'Ima- VAISES gination qui s'accordent mal avec le Bon-Sens. Je ne rap- TIONS. porterai rien dans ce dernier Article, qui n'eût pu trouver place parmi les Abfurdités : mais come les exemples, que l'on va voir, renferment des Penfées vicieuses à différens égards, & que par cette raison ils appartiènent en mêmetems à différens Articles, j'ai cru devoir les mètre à part.

Celui que l'Amour range à fon commandement,
Change de jour en jour de façon différente.
Hélas j'en ai bien fait mainte épreuve apparente,
Aiant êté par lui changé diverfement.

Je me fuit vu muer pour le commencement
En Cerf qui porte au flanc une flèche Sanglante:
Après je devins Cigne, & d'une voix dolente
Je préfageai ma mort me plaignant doucement.
Après je devins Fleur languissante & panchée ;
Puis je fus fait Fontaine auffi foudain fèchée,
Epuifant par mes ieux toute l'eau que j'avois.

Or' je fuis Salemandre, & vis dedans la flame:
Mais j'espère bientôt me voir changer en voix,
Pour dire inceffamment les beautés de ma Dame.
Si cette Imagination n'eft bourue, il n'y en a & n'y en aura
jamais. (102).

Mon œil fera la lampe, & la flame immortelle
Qui m'ard inceffamment fervira de chandelle.
Mon corps fera l'autel, & mes foupirs les vœux;
Par mille & mille Vers je chanterai l'Office;
Puis épanchant mes pleurs & coupant mes cheveux,
J'y ferai tous les jours de mon cœur facrifice.

(101) Quoique dans le Jargon de l'Amour un Amant ait droit de dire: Je ne suis plus le maître de mon cœur, Iris le poffède, il ne s'enfuit pas qu'il puifle dire: Je fais fans cœur » puif qu'Iris & le mien.

(102) Malherbe, aiant renfermé dans un crochet, tout ce que j'ai fait mètre en Italique, ne paroit pas avoir compris dans fa cenfure le premier Quatrain, où je ne vois rien qui n'annonce bien le fujet.

10 R.

12 V.

VAISES.

MAU- S'il y a rien au monde de ridicule, c'est cette Imagination. INVEN- Son œil fera la lampe, & fa flame la chandelle (103).

TIONS.

16 V.

J'ai longtems voïagé courant toujours fortune
Sur une mer de pleurs, à l'abandon des flots
De mille ardens foupirs & de mille fanglots,
Demeurant quinze mois fans voir foleil ni lune.
Je réclamois envain la faveur de Neptune,
Et des Aftres jumeaux fourds à tous mes propos;
Car les vents irrités combatans fans repos,
Avoient juré ma mort fans espérance aucune.

Mon defir trop ardent, ainfi qu'il lui plaifoit,
Sans voile & fans timon la barque conduifoit,
Qui couroit incertaine au vouloir de l'orage.

Mais durant ce danger un écueil je trouvai,
Qui brifa ma nacelle, & moi je me fauvai,
A force de nager évitant le naufrage.

Si ce Sonnet eût été dans la nacelle qui fe brifa, il ett été au fond de la mer auffi-bien qu'ici.

Le Tiran des Hébreux transporté de furie
Ne fit jamais meurtrir tant d'Enfans innocens,
Que je tue au maillot de Penfers languiffans;
Et ne touche à celui qui menace ma vie.

Car lui, déja rusé, fuïant cette furie
Se fauve à la Beauté qui domine mes fens ;
Et là, tout affuré, rit des maux que je sens,
Et m'abuse fans fin par quelque tromperie.

Or' en fes chauds regards ce Penfer fe formant,
Or' en fes doux propos mon efprit va charmant,
L'emprifone & l'étreint en des chaînes pefantes.

Hélas! C'eft le malheur qui m'étoit deftiné,
Et que me préfageoient deux étoiles luifantes
Que je vis fur le point que ce méchant fut né.
Imagination beftiale, prife d'Angelo Conftantino mot à
mot (104).

(103) C'est tout ce que Malherbe dit: mais, n'approuvant pas le furplus qui réellement eft de la même

trempe, il a renfermé les úx Vers dans un crochet.

(104) Malherbe reprend une con

Tour ce que l'on vient de lire, rapproché des Ecrits de Malherbe, fait voir dans ce Poète un Maître en l'Art de versifier, attentif à la recherche de ce qui pouvoit rendre notre Verfification plus parfaite qu'il ne l'avoit trouvée; un Maître en l'Art d'écrire, inftruit des Règles de la Langue, en connoiffant le véritable génie, & capable d'apprendre aux autres à joindre à fa pureté des agrêmens qu'elle n'avoit point eus jufqu'alors; enfin un Maître dans la Science de juger qui, perfuadé que l'Eloquence & la Poèfie font du reffort de l'Imagination, êtoit convaincu que celleci doit être conduite par la Raifon & le Bon-Sens.

C'est ce que je m'étois propofé de prouver, en donant ici quelques légères idées des obligations que la Langue & la Poèfie Françoife ont à Malherbe. C'est en effet ce qu'il faloit qu'il fût, pour opérer dans l'une & dans l'autre une auffi grande révolution ; & c'eft fous ces mêmes points de vue, que nous le préfente Balzac, fon contemporain, fon ami, fon disciple, & le feul peut-être de nos Auteurs, qui l'ait bien connu come Poète, come Ecrivain & come Critique.

MALHERBE, dit-il (105), fut le premier ou l'un des premiers qui découvrit la route qui conduit aux bons Vers. Parmi Les ténèbres de l'Erreur & de l'Ignorance, il ouvrit le premier les ieux à la lumière ; & fatisfit l'oreille, ce juge fi difficile à contenter. Il ne put fouffrir, après qu'il eût connu l'usage du bled, que nos François fe nourriffent encore de gland. Il leur apprit ce que c'est que juftesse & pureté dans le Stile. Il leur apprit que le choix des Termes & des Penfées eft la fource de l'Eloquence; & même que l'heureuse difpofition des Chofes & des Mots l'emporte le plus fouvent fur les Chofes & les Mots

tradiction évidente dans le fecond Quatrain & le premier Vers du fecond Terfet. Quand ce Penfer, dit-il, de peur d'être tué parmi les autres s'eft fauvé, n'étoit-il pas formé ? Si les Oifons pouvoient dire ce qu'ils penfent, ils imagineroient mieux. Au refte ce Sonnet eft encore plus répréhensible que Malherbe ne le dit. Si l'on prend garde aux Allufions continuelles qui s'y font au Masacre des

Innocens, à la naissance de JESUSCHRIST, à fa fuite en Egipte, à l'Etoile qui s'arrêtant fur l'Etable de Béthléem annonça la naiffance du Sauveur; on aura peine à ne le pas traiter d'impie.

(105) Dans une Lètre Latine à Silhon fon Confrère à l'Académie Françoise. Voïés P'Edition in - folio de fes Œuvres, T. II. pag. 65 des Œuvres Latines.

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