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CHAPITRE III.

Retour de Marigny en Vendée.

Prise de Mortagne. - Fin des incendies et des égorgements en masse. Nouveau système de la Convention. Combat du vendredi saint. -Victoire de Marigny.

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L'abbé Bernier. Pacte fédératif entre Charette, Marigny, Stofflet et Sapinaud. —Condamnation à mort de Marigny. — Son exécution.

L'évacuation de Chollet devant les incessantes entreprises du général Stofflet a laissé ce dernier maître de toute la contrée où ont combattu Cathelineau, La Rochejaquelein, d'Elbée, Bonchamp et Lescure. L'armée de Charette occupe son ancien territoire; elle l'a disputé, elle l'a reconquis pied à pied, et voilà qu'au même instant Marigny reparaît dans les cantonnements où il a laissé de si bons souvenirs. Trois mois de misère passés dans les bois ou dans les marais, des souffrances morales de toute nature n'ont point engourdi cette volonté toujours impatiente des combats. Il a longtemps erré sur la rive droite de la Loire, espérant à chaque heure saisir un instant pro

pice pour se jeter en Vendée; il s'est longtemps caché dans les environs de Nantes pour épier la marche des bleus. Déguisé en paysan, il est venu à Savenay et à Pont-Château, afin de tenter des soulèvements. On l'a même vu pénétrer dans les murs de Nantes, où Carrier était alors dans toute l'horrible ardeur de ses noyades.

Ignorant si M. Henri est mort ou survit, ainsi que lui, à l'armée vendéenne, il s'est rendu à la maison que le rcprésentant du peuple occupe dans le quartier de Richebourg. Carrier est avec Goullin, son noyeur privilégié. A la vue de ce paysan aux formes athlétiques, à la figure si pleine de martiale noblesse, et qui, entr'ouvrant ses grossiers habits, laisse apercevoir un large poignard et une paire de pistolets, les deux révolutionnaires frémissent d'effroi. « Je ne veux, dit-il au représentant, te faire aucun mal. Je suis Marigny, le général des brigands. J'ai besoin de passer quelques heures à Nantes, et je suis venu t'annoncer que je voulais être libre. Je ne te demande pas ta parole d'honneur, elle m'est inutile; mais je dois te dire que si je suis arrêté ta mort précédera la mienne, car toutes mes dispositions sont prises pour cela. >>

Carrier avait peur du courage. Il connaissait le Vendéen; il le crut donc sur parole, et Marigny put en toute sécurité recueillir sur la guerre les nouvelles qu'il s'était exposé à venir demander. Il apprend que M. Henri et Stofflet sont à la tête de rassemblements, qui se grossissent à chaque heure; mais les deux rives de la Loire, mais les routes conduisant dans le Bocage sont si bien gardées que, malgré toute sa bravoure, il sent qu'il y aurait excès de témérité à tenter ainsi la Providence; il retourne dans les

bois, et il y reprend sa vie de proscrit. Cependant vers le milieu de mars, découvrant une favorable issue sur le fleuve, il traverse les cantonnements ennemis; puis de péril en péril il arrive enfin dans le haut Poitou.

A sa voix si connue quelques paysans se réunissen autour de lui: de tous les chefs qui les avaient conduits au combat Marigny seul survivait. Les habitants de ces contrées, aussi volontaires que par le passé, ne voulaient obéir qu'à ceux des généraux auxquels ils accordaient non seulement leur confiance, mais encore une amitié pleine de dévouement fraternel. Ils admiraient Charette et Stofflet; ils faisaient pour le succès de leurs armes les vœux les plus sincères; mais de tous ces paysans bien peu avaient cru devoir aller continuer dans d'autres rangs la guerre commencée sous la bannière de Lescure et de Marigny. Les soldats seuls de La Rochejaquelein s'étaient donnés à Stofflet; mais par l'estime dont M. Henri entourait le garde-chasse de Maulevrier, devenu son major-général, ils avaient appris à le regarder comme un des leurs. Après la mort du généralissime d'outre-Loire ils étaient restés fidèles à celui qui ne l'avait jamais abandonné.

Les paysans des environs de Bressuire, de Mortagne et de toute cette partie du Bocage n'avaient pas les mêmes motifs pour s'attacher à l'un ou à l'autre des chiefs qui, dans ces trois mois de combat, avaient si dignement soutenu l'honneur des armes vendéennes. Avant de se décider à retourner sous le drapeau ils attendirent un général qui, par sa vie passée, pût leur servir de garantie. A la nouvelle que Marigny avait reparu dans le pays ils se soulevèrent, et se mirent à ses ordres.

T. II.

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C'était une espèce de triumvirat militaire que la force des choses établissait. Ainsi Charette commandait au bas Poitou, Bernard de Marigny à la partie de la Vendée que l'on appelle le haut Poitou ou le Bocage; l'Anjou obéissait à Stofflet. Ce partage s'était opéré sans conteste. Charette et Stofflet, à force de persévérance et d'exploits, étaient parvenus à écarter les bleus de leur territoire ; Marigny seul n'avait pas encore suivi cet exemple. Avec les troupes qu'il put réunir il se mit à l'œuvre.

Bressuire, Mortagne, Chiché, Argenton-le-Château étaient au pouvoir des républicains, qui de ces points, dont ils avaient fait autant de centres, s'élançaient pour répandre l'incendie ou porter la mort dans les campagnes. Les anciens soldats de Lescure, réfugiés dans les bois avec leurs familles, ne pouvaient opposer une résistance bien active à toutes ces persécutions; mais à peine ont-ils à leur tête Marigny, qu'ils regardent comme le frère d'armes et l'héritier de gloire du saint du Poitou, qu'ils brûlent de tirer vengeance des maux dont ils ont été victimes.

Prudent jusque dans ses excès de courage, Marigny ne veut pas engager ses soldats dans des rencontres qui pouvent devenir fatales au mouvement qu'il a provoqué. Il évite avec soin les forces envoyées à sa poursuite ; il ne s'attaque qu'aux détachements isolés; il n'intercepte que les convois dont l'escorte n'est pas assez nombreuse pour lui tenir tête. Après avoir pendant quelques jours aguerri sa nouvelle troupe et donné quelque consistance à ses bonnes volontés, il forme le projet de s'emparer de Mortagne. C'était l'action d'éclat par laquelle il désirait signaler son début dans le commandement.

La place de Mortagne était alors le poste le plus important que les royalistes eussent laissé aux républicains dans l'intérieur du Bocage; aussi ces derniers l'avaientils garni de munitions, d'artillerie et de soldats. Marigny, par d'habiles démonstrations, appelle en rase campagne une partie de la troupe qui se tient en observation dans les fortifications improvisées de Mortagne; puis, faisant volte-face, il serre si étroitement la ville qu'il devient impossible aux bleus de communiquer avec le dehors. Quelques soldats plus audacieux que les autres sont dé→ pêchés en ordonnances, afin de prévenir de cet état de choses les généraux qui peuvent porter secours aux assiégés: tous ces soldats sont tués à la vue même de la garnison. Le hasard amène un convoi de vivres et de fourrages sous le canon des républicains; les Vendéens courent à sa rencontre, l'enlèvent, et ne laissent pas même un homme vivant pour aller annoncer aux chefs de l'armée révolutionnaire le danger qui menace la ville. Marigny l'entourait avec quatre mille royalistes qui, pour toutes munitions de siége, avaient les uns des fusils, les autres des bâtons. L'occasion de conquérir quelques pièces d'artillerie ne s'était pas encore présentée.

Le général Marigny a ordonné l'escalade. Il est le premier sur les antiques remparts que les bleus ont relevés. Couvert d'un habit de paysan, costume habituel de ces gentilshommes qui grandissaient par le cœur en se faisant humbles par le vêtement, il ne se distingue de ses soldats que par la croix de Saint-Louis brillant sur sa poitrine. Debout au milieu des assaillants, il dirige, il essuie le feu. Le chef d'un bataillon de l'Orne, nommé Lenormand, a

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