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C'est une honte éternelle sur le drapeau tricolore, une honte dont il faut qu'il se lave, car, malgré le temps qui efface tout, elle y reste attachée avec d'affreux souvenirs. Mais, afin que la postérité ne rejette point au compte de quelques misérables, exécuteurs en sous-ordre de ces crimes, les attentats commis au nom de la révolution par des chefs investis de ses pleins pouvoirs, il est bon de citer une page tout entière écrite de la main de Turreau.

LIBERTÉ, FRATERNITÉ, ÉGALITÉ, QU LA MORT.

TURREAU, général en chef de l'armée de l'Ouest.

Il est ordonné au général Huchet de partir sur-le-champ pour se rendre à Luçon. Il prendra le commandement de toutes les forces armées qui s'y trouvent, ainsi que dans les postes adjacents; il fera enlever par tous les moyens militaires les subsistances et fourrages qui se trouvent par sa droite, depuis Sainte-Hermine jusqu'à Chantonnay, en avant de lui jusqu'à Saint-Hilaire, La Chaise et ChâteauFromage; par sa gauche, depuis Le Bourg, La Roche-surYon jusqu'à La Claie, le tout inclusivement. Toutes les subsistances qui en proviendront seront dirigées, ainsi que les bêtes à cornes, sur Luçon. Aussitôt les enlèvements faits, tous les bourgs, villages, hameaux, fours et moulins seront entièrement incendiés sans exception. Les habitants qui seront reconnus avoir pris part directement ou indirectement à la révolte de leur pays seront exterminés surle-champ. Il se conformera particulièrement à l'arrêté des représentants du peuple, du 2 ventôse, concernant les

réfugiés; il remettra au général Bard notre ordre portant

sa suspension provisoire.

Le général en chef de l'armée de l'Ouest.

Signé à l'original TURREAU.

Pour copie conforme à l'original,

Signé HUCHET.

A cette guerre d'extermination la Vendée relève la tête; elle sort des forêts où elle s'était cachée, puis, rangée sous les ordres de La Rochejaquelein, de Charette et de Stofflet, elle essaie d'entrer en lutte avec les armées de la Convention. La Rochejaquelein le premier est encore en campagne. Par l'ordre de bataille que suivaient les bleus, toujours soutenus par le croisement continuel de leurs flanqueurs, il était devenu impossible de concerter un mouvement militaire. Les blancs ne pouvaient que harceler cette armée, car, isolés les uns des autres, ils n'étaient ni assez forts ni assez nombreux pour se présenter en ligne. Cependant La Rochejaquelein, qui dans les combats d'outre-Loire a déployé l'expérience et la sagacité des grands capitaines, voit qu'aujourd'hui il ne s'agit plus de stratégie, mais de témérité, et que c'est en exposant à chaque instant sa vie qu'il peut entretenir l'ardeur des siens; il choisit mille Vendéens aussi déterminés que lui; il part de Jallais avec eux, et se lance à travers les colonnes d'Amey et de Cordelier. Il se fait jour au milieu de cette double armée, tombe sur Chemillé, que le général Beaufranchet devait défendre, emporte la ville l'épée à la main; puis, retournant sur ses pas, il fond sur les derrières de la colonne de Turreau et la disperse.

Cette victoire inattendue double ses forces; mais elle ne change point les dispositions prises par les bleus; alors M. Henri, qui, en face de tant de troupes agglomérées sur un seul point, sentait l'impossibilité de continuer ainsi la guerre en rase campagne, se retire dans la forêt de Vezins, où il établit son quartier d'hiver. De là chaque nuit il sort avec quelques centaines d'hommes d'élite; tantôt il coupe les communications de l'ennemi, tantôt il surprend ses patrouilles, enlève ses munitions et leurs escortes ; puis, toujours servi par son audace, il renouvelle sans cesse de pareilles attaques.

Dans une de ces sorties il fit prisonnier un officiergénéral. Ce républicain portait sur lui l'ordre écrit de la main du général en chef Turreau « d'offrir, de donner aux brigands tous les sauf-conduits qu'ils demanderaient, en leur promettant l'oubli du passé s'ils déposaient les armes. >> Et Turreau ajoutait : « Aussitôt qu'ils seront partis pour retourner chez eux, il est enjoint aux généraux et aux soldats de les fusiller tous. » Le porteur d'un pareil ordre est exécuté sur-le-champ. C'était justice. La Rochejaquelein fait afficher dans toutes les paroisses cette promesse de sanglante amnistie, dont pendant la campagne d'outreLoire la révolution a déjà fait usage. Ce manque de foi triple les rangs de sa petite armée. Alors il conçoit le projet de tenter de plus vastes entreprises.

Turreau, dont le quartier-général était placé à Chollet, craint de voir attaquer cette ville, centre de ses opérations. Afin de la dégager, il laisse dans ses murs une forte garnison sous les ordres du général Moulin jeune; luimême marche sur Tiffauges et Gesté, où il espère attirer

La Rochejaquelein et Stofflet. On était à la fin de janvier. Si l'on s'en rapportait aux dires des royalistes, il serait impossible de bien préciser une date aussi importante, car les Vendéens étaient tous retirés dans les bois, sans communication avec le monde, sans même d'almanach. En France on n'imprimait que des calendriers républicains, et les paysans refusaient d'y avoir recours; mais un rapport très circonstancié de Pochet, commandant la place de Chollet, lève tous les doutes: il est daté du 29 janvier, et il annonce à Turreau la mort de La Rochejaquelein.

La garnison de cette ville était partie le 28 dans le but avoué d'incendier le bourg de Nuaillé. Afin de préserver des flammes cette population sans défense La Rochejaquelein se précipite contre les bleus; il les attaque au moment même où l'incendie commençait; il est vainqueur, et va donner l'ordre de la retraite, lorsqu'il aperçoit dans un champ de blé, à côté même de la route, deux grenadiers républicains que ses soldats se disposent à massacrer. « Arrêtez! dit-il aux siens, je veux les faire parler. >>> Malgré les prières de Stofflet et de Baugé, M. Henri s'avance. «Rendez-vous, crie-t-il aux grenadiers; je vous fais grâce. » Son nom est prononcé dans le même instant un des républicains l'a entendu; il présente au général le canon de son fusil, l'ajuste et tire sur lui; la balle frappe au milieu du front. Henri de La Rochejaquelein tombe mort.

A cette vue Stofflet s'élance; il a des larmes dans les yeux. « Qui de vous, s'écrie-t il, a tué notre général?— Moi, réplique l'assassin. » D'un coup de sabre Stofflet lui

fend la tête, et se retournant vers le second grenadier! Toi, tu es libre, dit-il d'une voix émue. M. Henri t'a fait grâce. »

Une nouvelle colonne républicaine arrivait au pás de course. La victime et l'assassin sont précipitamment ensevelis dans la même fosse; puis, en pleurant leur jeune général, les quelques témoins de cette affreuse scène se retirent, et recommandent le plus profond secret sur une mort qui peut décourager la Vendée.

Ce silence de Stofflet, dont on a calomnié la douleur, est le plus touchant hommage rendu à la mémoire de M. Henri. Lorsque sa mort se répandit enfin dans la Vendée, qui prit le deuil, le général en chef des républicains improvisa pour le généralissime de vingt-un ans la plus magnifique oraison funèbre. Dans ce moment la révolütion comptait sous son drapeau plus de neuf cent mille soldats, et pourtant Turreau écrivait au comité de salut public, le 9 mars 1794: «J'ai ordonné au général Cordelier de faire déterrer La Rochejaquelein et de tâcher d'acquérir des preuves de sa mort. »

Avant la république française les Romains n'avaient pris de telles précautions qu'une fois : c'était pour Annibal.

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