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CHAPITRE V.

Dissensions entre Charette et Stofflet.·

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Causes de ces dissensions.

-Le représentant Ruelle.

Pré

Leurs effets, Mort de Joly. — La république demande la paix.— - Madame Gasnier-Chambon. liminaires de la paix. — Stofffet se prononce contre tout traité. Conférences de La Jaunais.

Maître absolu dans ses cantonnements, Charette se plaint à Stofflet de le voir peu à peu empiéter sur un territoire dont, anx termes du pacte fédératif, cause de la mort de Marigny, les soldats doivent former une troisième armée indépendante. Il l'engage en même temps à suivre son exemple et à enlever aux bleus les différents postes dans lesquels ils se sont retranchés sur la rive gauche de la Loire. Bernier, le directeur politique de Stofflet, comprend aussitôt que les motifs allégués dans la lettre du général cachent l'intention de susciter une querelle. Sans répondre d'une manière positive à Charette, il se contente de lui donner de banales explications dont il sait parfaitement d'avance

que le chef du bas Poitou n'est pas homme à se contenter. Les prévisions de l'abbé Bernier étaient fondées : Charette, s'appuyant sur un refus dont lui-même devait bien connaître les raisons, reproche alors à Stofflet et à son conseil d'avoir émis un papier-monnaie sans le consentement des deux autres armées.

La question était grave, car elle touchait à l'organisa tion des troupes angevines; mais Bernier, qui ne pardonnait pas à Charette l'exclusion portée contre lui au moment où il aspirait au commissariat civil de la Vendée, Bernier avait pris toutes ses précautions. Une telle incul pation avait un côté injuste qu'il espérait bien pouvoir tourner contre Charette, et persuadé qu'il mettrait de son parti tous les hommes équitables il laissa le général se perdre en reproches et en accusations; puis, quand le jour des explications fut arrivé, il les fit donner par Stofflet. Il faut en quelques mots rappeler ces différends, qui agirent d'une si déplorable manière sur les destinées de la Vendée monarchique.

Le numéraire est toujours rare dans un pays où le commerce est borné et où les habitants peuvent vivre dans une heureuse aisance sans exposer aux hasards de la fortune la modeste propriété qui les nourrit. Loin des grandes villes, ne connaissant même point par ouï-dire les besoins du luxe, les Vendéens se contentaient d'entourer leurs familles de ce grossier bien-être matériel qu'ils trouvaient si largement sous leurs mains. Les fruits de leurs terres, la moisson de leurs champs, le lait de leurs vaches, la laine de leurs troupeaux suffisaient à leur ambition et à l'élégance traditionnelle des vêtements fabriqués dans le

Bocage, que leurs femmes, que leurs filles portent avec une si naïve coquetterie. Les nobles eux-mêmes, qui dans leurs petits châteaux n'avaient pour la plupart qu'une heureuse médiocrité, vivaient comme les paysans du produit de leurs fermes, et de père en fils ne songeaient jamais à l'accroître; car, sans désirs ainsi que sans ambition, ils aimaient à partager avec les paysans une abondance due aux sueurs de ces derniers.

La Vendée était donc une contrée riche par sa seule fécondité et par l'économie bien entendue de ses habitants. Sans point de contact avec les provinces limitrophes, elle n'avait pas soif d'or et n'avait jamais songé à en demander à l'industrie ou aux spéculations mercantiles. Quand la guerre contre les principes d'ordre et de monarchie fut déclarée il ne se trouvait que très peu d'argent en circulation. Les uns l'enfouirent, les autres l'emportèrent en émigration; quelques-uns le destinèrent à subvenir aux besoins de la division dont ils faisaient partie. Les premiers pillages révolutionnaires eurent promptement absorbé ce tiers de la fortune vendéenne; l'incendie, qui dévorait les récoltes et affamait le Bocage, les nécessités de la guerre amenèrent bientôt les généraux de la grande armée et le conseil supérieur à prendre des mesures que la probité de tous rendit ineffi caces. La république, qui avait tant de moyens d'action, créa un papier-monnaie. Ses assignats, véritable banqueroute faite à la confiance, et que la force imposait comme valeurs réelles, ses assignats curent cours. Les révolutionnaires furent plus loin dans leurs prévisions; ils interdirent la circulation de l'argent monnayé, qui, à leurs

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yeux, ne fut plus en public qu'un vil métal. La Vendée, posée en hostilité directe contre tout ce qui s'organisait et le déclarant nul par le seul fait de l'insurrection, avait le droit de créer un autre papier fictif ou, ce qui eût été plus politique, elle pouvait user du pouvoir que personne ne lui contestait il fallait contrefaire les assignats de la république. La contrefaçon n'cût pas été plus préjudiciable aux finances de l'état que l'invention. Une délicatesse de conscience, qu'il faut honorer dans les particuliers, mais que l'on doit vivement blâmer au point de vue politique, les arrêta dans cette création d'assignats. Ils inventèrent des bons royaux pour une insuffisante somme de 900,000 fr., et encore déclarèrent-ils que ces bons ne seraient valables qu'avec les signatures du prince de Talmont, du marquis de Donnissan et de l'abbé Bernier. C'était les rendre impossibles dans le commerce, et donner trop facilement gain de cause à la révolution, qui ne prenait pas tant de précautions. Ce papier n'eut donc cours que parmi les royalistes les armes à la main ils n'en avaient pas be

soin.

Après la campagne d'outre-Loire et le passage des colonnes incendiaires à travers le Bocage et le Marais, une pénurie de numéraire, plus absolue que jamais, se fit sentir. Les paysans se plaignaient de ce que ces bons d'une valeur purement éventuelle n'étaient pas reconnus et acceptés dans les transactions. Bernier, en homme qui a l'intelligence des nécessités qu'il faut subir, proposa de contrefaire les assignats nationaux et de les échanger contre les bons créés outre Loire, par ordonnance du bre 1793. C'était une mesure de bonne guerre qu'à coup

er novem

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