Page images
PDF
EPUB

rien à attendre des hommes que la mort: ils s'y dévouent. De Tinguy, gouverneur au nom du roi, représente en vain que l'île va être prise d'assaut, et qu'une capitulation honorable, garantie par le général Haxo, doit être acceptée. Au nom de la garnison le capitaine Dubois s'écrie: « Nous combattrons jusqu'à la mort.

Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1794 l'armée de débarquement, au milieu d'une tempête affreuse, opère sa descente sur trois points à la fois. La mer était agitée. A chaque instant, à travers les ténèbres, il devenait plus difficile d'aborder au rivage. Impatient de joindre les royalistes, l'adjudant-général Jordy, dont le nom est devenu célèbre dans les deux camps par ses exploits presque fabuleux, se précipite à la mer; il a de l'eau jusqu'à la ceinture, ses pieds enfoncent dans les sables mouvants, et pourtant, l'épée haute à la main, il appelle ses soldats. Tous se jettent à sa suite. Jordy s'avance sur le village de La Fosse; il ya en surprendre les postes, couverts par une formidable artillerie; mais à la première décharge une balle lui traverse la cuisse; une autre balle le blesse à la tête; il tombe, il se relève, puis montrant aux siens la batterie qui fait feu « Grenadiers, enlevez-la!» s'écriet-il. Porté devant le front de sa colonne, il exécute luimême l'ordre qu'il a donné. Deux cents royalistes veulent s'opposer à cette manœuvre ; ils sont repoussés. Au point du jour le feu de la flottille républicaine que la nuit a suspendu recommence avec plus de fureur. Les forts de Noirmoutiers y répondent. La frégate La Nymphe, entraînée par les courants, essuie la bordée d'une batterie de trente-six. Elle échoue sous les yeux même des assiégés, qui

à cette vue font retentir les airs de leurs cris d'allégresse.

Ces transports ne devaient pas durer longtemps. Haxo et Dutruy, moins impatients que Jordy, avaient attendu l'heure de la basse marée. Cette heure était enfin venue. Leurs troupes de débarquement peuvent maintenant à pied sec traverser le Goi, et attaquer le poste de La Bassotière. Il est enlevé presque sans coup férir, et les six mille hommes de Haxo, réunis sur la plage, n'ont plus qu'à tenter un siége régulier que protége l'artillerie de leur flotte. Les difficultés du terrain, coupé en marais salants, avaient forcé ces chefs républicains à diviser leurs forces en petites colonnes, qui, s'avançant de tous les côtés à la fois, grossissaient aux yeux des assiégés le nombre réel de l'armée expéditionnaire. Tous les points de défense entre la ville et la mer avaient été évacués par les Vendéens, qui en se repliant sur Noirmoutiers y portaient la terreur et la confusion, entretenues encore par le feu des vaisseaux et par les décharges incessamment répétées de la mousqueterie.

En dehors de ces causes de démoralisation il y en avait une autre bien plus funeste, bien plus active: la division régnait au milieu des assiégés.

Les uns désiraient accepter une capitulation que, dans l'espoir d'épargner le sang français ou d'éviter les conséquences d'une résistance trop prolongée, Haxo avait fait proposer à Tinguy. Cette capitulation, dont il ne reste aucune trace et que le représentant Bourbotte a toujours niée, portait que la garnison serait prisonnière de guerre. Les autres, et c'était le plus grand nombre, excités par I emercier d'Apremont et par Dubois, youlaient résister

jusqu'à la fin. On combattit donc encore pendant quelques heures. Lemercier, toujours au premier rang, est tué. Sa dernière parole est un cri de Vive le roi! Mais les bleus avancent toujours; leur feu incessant a mis hors de combat la plus grande partie des blancs. Peu sont debout; mais les blessés qui peuvent encore se soutenir sur leurs genoux ou s'appuyer le long des murs n'en continuent pas moins une résistance désormais inutile. Le capitaine Dubois est frappé par une balle qui lui traverse la poitrine: « Je ne tomberai pas vivant, s'écrie-t-il, entre les mains des bourreaux de mon roi. » D'une main assurée il saisit un de ses pistolets, le place dans sa bouche et se fait sauter la cervelle. C'est le seul exemple de suicide que l'on rencontre dans l'histoire de la Vendée.

Lemercier et Dubois morts, la garnison n'avait plus de chefs. Les républicains entrent dans la ville. Là, dit-on, une dernière sommation est faite; des généraux promettent la vie à ceux qui se rendront à discrétion. En recevant cette promesse les Vendéens déposent leurs armes, puis, sur l'ordre de Turreau et des représentants en mission, on les jette dans une église. Aussitôt les soldats républicains envahissent les maisons; ils en arrachent les habitants: l'île entière est soumise à cette fouille. Lorsque les plus minutieuses perquisitions eurent rassemblé sous la main des vainqueurs tous les citoyens qui se trouvaient à Noirmoutiers, Turreau et Bourbotte exhibent à Haxo un décret de la Convention qui ordonne de n'épargner personne. Ce décret était signé de Carnot, de Robespierre, de Saint-Just, de Barrère et de Billaud-Varennes.

[ocr errors]

Le plus important prisonnier, celui sur lequel la révolution avait tant de vengeances à exercer, était d'Elbée. Couvert de blessures, mais encore plus affaibli par les tortures morales que par les souffrances physiques, il parut entouré d'une vingtaine d'officiers royalistes; sa figure pâle ne trahissait aucune émotion; elle gardait le calme dont il avait fait si souvent preuve sur le champ de bataille. « Voilà donc d'Elbée, s'écrie Bourbotte en l'apercevant. Oui, interrompt le général, voilà votre plus grand ennemi. Si j'avais eu assez de force et de santé pour me battre, Noirmoutiers ne serait pas en votre puissance, ou du moins vous l'eussiez plus chèrement acheté. »

Il n'en fallait pas tant pour le faire condamner à mort; mais il paraît que l'attitude si pleine de courageuse résignation du Vendéen produisit quelque impression sur Turreau; car à peine les commissaires de la convention eurent-ils abandonné la maison où se passait cette scène, qu'on le vit témoigner au chef royaliste des égards dont personne ne l'aurait cru susceptible. Était-ce de l'humanité ou de la perfidie? Nous aimons mieux croire à un bon sentiment. Turreau lui parle du sort qui attend les prisonniers et principalement madame d'Elbée, qui est parmi eux; il cherche à l'aide d'insidieuses paroles à l'amener à des révélations qui peuvent tourner au préjudice de l'armée royale. « Général, s'écrie d'Elbée, ma femme saura mourir avec la dignité d'une Vendéenne; mais quand je devrais la sauver par des aveux qui me déshonoreraient, vous n'espérez sans doute pas en obtenir de moi,

Cette attitude si digne fit impression sur Turreau, et à la date du 14 nivôse an ii il rendit justice au général d'Elbée. La lettre de Turreau, qui honore tant un royaliste, a droit d'être citée dans l'histoire de la Vendée, car les sentiments de d'Elbée étaient ceux de toute l'armée dans laquelle il avait combattu et que pendant quelques mois il avait commandée.

« D'Elbée, mande le général républicain, m'a paru convaincu que la contre-révolution ne pouvait s'opérer que par les moyens qu'offrait l'intérieur de la république. Tous les mouvements d'opposition qui se manifestèrent au dedans obtenaient ses éloges. Il n'avait pas perdu de vue le camp de Jalès et les autres points d'appui que le midi présentait à ses entreprises. La résistance de Lyon lui semblait glorieuse, tandis qu'il ne voyait qu'avec indignation Toulon et nos escadres livrées à l'Angleterre par la plus lâche de toutes les perfidies.

«Outre que cette manière de voir prouve qu'il avait bien observé et calculé les ressources des royalistes dans l'intérieur, c'estqu'elle décèle aussi un caractère de loyauté auquel il est difficile de refuser son estime, quelle que soit la bannière qu'on ait suivie.

[ocr errors]

D'Elbée a répondu avec peine aux questions réitérées et souvent indiscrètes des représentants, dont la visite me semblait inconvenante. Peut-être n'était-ce ni le lieu ni le moment d'entrer dans les détails d'une victoire, qui d'ailleurs n'a pas été difficile, devant l'homme qu'on devait faire porter au supplice le lendemain, et dont aussi l'état de faiblesse et de souffrance méritait quelques égards.

« PreviousContinue »