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Mais il vit enfin sa situation s'améliorer: une dame remarqua son air honnête et intelligent, et, ayant besoin de quelqu'un pour accompagner ses fils au college, elle le prit à son service. Ce fut là la source de sa fortune; elle fut rapide, prodigieuse.

Avide d'instruction, doué de la mémoire la plus heureuse et de la pénétration la plus rare, il profita pour lui-même des leçons que l'on donnait à ses jeunes maîtres, et se livra à l'étude avec ardeur. De rapides progrès récompensèrent ses efforts; Amyot était à peine sorti de l'adolescence, que déjà il brillait parmi les littérateurs les plus distingués de l'époque.

Il est vrai que le nombre n'en était pas grand, et que la disette des bons ouvrages se ressentait de celle des bons auteurs, si, comme on l'assure, une épigramme grecque suffit pour tirer le nom d'Amyot de l'obscurité. Selon quelques-uns de ses biographes, elle fut présentée au roi, et le chancelier de l'Hôpital, qui la vit, fut si enchanté de ce petit ouvrage, qu'il jugea l'auteur digne, par son savoir, de veiller à l'éducation des enfans de France. Sur sa recommandation, Henri II le nomma leur précepteur; haute mission qu'il remplit avec talent et avec zèle, et qui eut toutefois de

bien tristes résultats : Charles IX fut son élève.

Plein de confiance en son habileté, Henri II l'employa dans des négociations importantes : ce fut lui qu'il choisit pour porter au concile de Trente cette protestation hardie que l'on trouve dans les actes de ce concile. L'évêché d'Auxerre fut la récompense des services qu'il rendit dans cette circonstance.

Après la mort de François II, Charles IX, parvenu au trône, appela près de lui son précepteur, dont il appréciait les vertus et la haute capacité. La charge de grand aumônier de France étant venue à vaquer, le roi la lui donna, quelque chose qu'il pût dire pour se défendre de l'accepter. Mais cette nouvelle ayant été portée à Catherine de Médicis, qui avait destiné cette dignité à un autre, elle fit appeler Amyot dans son cabinet, où elle le reçut d'abord avec ces effroyables paroles: « J'ai fait bouquer les Guises et les Châtillons, les connétables et les chanceliers, les rois de Navarre et les princes de Condé; et je vous ai en tête, petit prestolet! » Amyot eut beau protester qu'il avait refusé cette place, la reine lui fit entendre que s'il l'acceptait, il ne vivrait pas vingt-quatre heures. C'était le style de ce temps-là.

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Les paroles de cette princesse étaient des arrêts, et le roi était entier dans ses sentimens jusqu'à l'opiniâtreté. Entre ces deux extrémités, Amyot, pour se dérober également à la colère de la mère et aux libéralités du fils, prit le parti de se cacher. Quatre jours s'écoulèrent sans qu'il parût à la table du roi ; ce prince ⚫ étonné ordonna qu'on le cherchât, mais ce fut en vain. Alors, se doutant du motif de cette absence, il entra dans une telle fureur, que la reine, qui le craignait, fit dire à Amyot qu'elle le laisserait en repos.

Amyot échappa donc au ressentiment de Catherine de Médicis, et c'était un bonheur peu commun, comme chacun sit; mais il ne put échapper à la misérable passion des richesses toute la modération qu'il avait d'abord montrée s'évanouit. Les abbayes, les honneurs, les gratifications, rien ne pouvait satisfaire son avidité. Un jour que, pour ajouter un nouveau bénéfice à ceux qu'il possédait déjà, il sollicitait la libéralité de Charles IX: « Eh quoi! mon maître, lui dit le prince, ne disiez-vous pas autrefois que si vous aviez mille écus de rente vous seriez content? Je crois que vous les avez, et plus.-Cela est vrai, sire, répondit l'insatiable prélat; mais c'est que l'appétit vient en mangeant. >>

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Toutefois sa haute fortune n'altéra point en lui le sentiment de la reconnaissance. Il légua par son testament une somme de douze cents écus à l'hôpital d'Orléans, en mémoire des douze sous qu'il en avait reçus, dans des temps moins heureux.

De tous ses ouvrages, le plus célèbre est sa Traduction des œuvres de Plutarque,qu'on lit encore, après plus de deux siècles. «Le lecteur, dit Racine, dans la préface de sa tragédie de Mithridate, le lecteur trouvera bon que je rapporte les paroles de Plutarque telles qu'Amyot les a traduites; car elles ont une grâce dans le vieux style de ce traducteur, que je ne crois point pouvoir égaler dans notre langue moderne. » Cet éloge du grand poète suffit pour faire connaître tout le mérite de cet écrivain. La traduction du roman grec des Amours de Théogène et Chariclée avait précédé celle des Hommes illustres, et lui avait valu l'abbaye de Bellozanne. Ses autres ouvrages moins remarquables sont une traduction de la Pastorale de Daphnis et celle des sept livres de Diodore de Sicile.

Né à Melun, en 1513; mort à Paris, en 1593.

BEAUMARCHAIS

(PIERRE-AUGUSTIN CARON DE).

Il eut l'art d'embellir chaque instant qui s'envole,
Et sous un air léger, insouciant, frivole,

L'essor de la raison n'en fut que plus hardi.

(ANONYME.)

I est peu d'hommes qui aient joué sur la scène du monde un rôle aussi brillant et aussi singulier que Beaumarchais. Sorti des rangs du peuple, il s'éleva par ses seuls moyens, et obtint une célébrité tellement bruyante, qu'elle alarma Voltaire lui-même.

Beaumarchais avait tout ce qu'il faut pour réussir dans le monde, un esprit supérieur, net et décidé, une activité prodigieuse, des manières gracieuses, une gaîté inaltérable, l'esprit de chaque chose, et surtout une har diesse que rien n'étonna jamais. Il mena tout de front, le commerce et les arts, les lettres et les affaires. De là cette brillante existence, cette rapide et prodigieuse fortune, qui excita

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