Page images
PDF
EPUB

LA HARPE

(JEAN-FRANÇOIS de).

Arbitre des auteurs, juge de leurs efforts,
Contre le mauvais goût son goût est une égide;
Et dirigeant l'esprit dans ses plus grands transports,
Lui donna la raison pour guide.

(ANONYME. )

C'EST à la charité d'un respectable prêtre que La Harpe dut le bienfait de son éducation. Orphelin dès son bas âge, il était tombé dans la plus profonde misère, et paraissait destiné à être confondu dans les rangs inférieurs de la société. L'intelligence avec laquelle il récita quelques vers français, en présence du principal du collège d'Harcourt, M. Asselin, le fit remarquer de cet ecclésiastique, qui l'admit au nombre des élèves qu'il dirigeait, et lui fit obtenir une bourse du gouvernement.

Le jeune La Harpe justifia par de rapides

TO NEW YORK PUBLIC LIBRARY

ASTOR, LENOX AND TILDEN FOUNDATIONS

[graphic][subsumed]

progrès l'idée qu'il avait donnée de son intelligence; il obtint de nombreuses couronnes durant le cours de ses études; mais en même temps il donna de son cœur l'idée la plus défavorable. Une satire sanglante quiparut contre l'abbé Asselin, son protecteur, lui fut généralement attribuée. Cette conduite sembla si odieuse, que l'autorité civile s'en mêla; le lieutenant de police Sartines le fit enfermer à Bicêtre, puis au For-l'Évêque. Il y resta cinq mois, et n'en sortit qu'au moment des compositions du concours général. Il sembla qu'il voulût faire oublier par de brillans suc cès le motif de sa captivité; il remporta le prix d'honneur. La peine sans doute n'avait pas été proportionnée au délit ; on l'avait trouvée généralement trop rigoureuse, et s'il était innocent, comme il n'a cessé de le protester, il est possible que cette injustice, en révoltant son cœur, ait contribué à cette aigreur de caractère qui lui fut si souvent reprochée.

Après les succès qu'il avait obtenus, sa route était tracée. Dénué de fortune, il sentit que son avenir dépendait de ses talens, et il entra sans hésiter dans la carrière littéraire qui s'ouvrait devant lui.

Il débuta par des Héroïdes, genre que le poète Colardeau avait mis à la mode. Mais ce

début ne fut pas heureux; on trouva généralement que sa poésie manquait de couleur, que ses idées étaient vulgaires, et qu'à tout prendre, ces productions n'étaient que des amplifications de collége. Le redoutable aristarque de l'époque, Fréron, prédit à l'auteur qu'avec beaucoup de travail il pourrait acquérir des qualités heureuses, mais point de génie. Il est vrai que La Harpe avait des griefs envers Fréron, qui ne lui pardonnait pas son admiration pour les philosophes, et la tendance qu'il manifestait déjà vers leurs doctrines.

Une oeuvre plus considérable le plaça bientôt dans une sphère plus élevée : sa tragédie de Warwick eut un succès d'enthousiasme; il n'avait que vingt ans lorsqu'il la donna au théâtre. Voltaire, quoique exilé, régnait alors sur le monde littéraire. Le jeune auteur sentit le besoin de s'appuyer d'un tel patronage; il lui dédia sa tragédie. Flatté de cette marque de déférence, le vieux philosophe se déclara dèslors son protecteur, et l'engagea à faire le voyage de Ferney; distinction flatteuse dont La Harpe profita avec empressement. Il alla près du grand écrivain chercher des leçons de ce goût qu'on remarque dans ses ouvrages, et telle fut l'indulgente amitié du maître pour

« PreviousContinue »