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OLBROWN ET RUSLA,

ÉPISODE DU POÈME D'ISNEL ET ASLÉGA,

imité de l'ancien scandinave.

DANS les forêts qui couvrent la Scanie
Par son adresse Olbrown était connu :
Vingt fois de l'ours à ses pieds abattu
Son bras nerveux sut dompter la furie;
Frappé par
lui d'un trait inattendu,

Vingt fois des cieux l'aigle tomba sans vie.
Dans l'âge heureux d'aimer et d'être aimé,
Aux doux desirs son cœur long-tems fermé
De la beauté méconnaissait l'empire:
Il voit Rusla, se détourne et soupire.
A ses genoux il portait chaque jour
D'un sanglier la hure menaçante,
Et d'un chevreuil la dépouille sanglante.
Il méritait, il obtint son amour.
A mes regards tu seras toujours belle,
Répète Olbrown. Un sourire charmant
Dit que Rusla sera toujours fidelle;

Et pour

sceller cette union nouvelle Chacun toucha la pierre du serment.

La Nuit descend: l'étoile pacifique
S'assied au nord sur un lit de frimas.
Près d'un torrent qui roule avec fracas
Ses flots bourbeux s'élève un toit rustique;

De vieux sapins le couvrent de leurs bras.
C'est là qu'Olbrown a dirigé ses pas.
Trois fois il frappe, et trois fois il écoute
Si l'on répond à ses vœux empressés.

Il n'entend rien, et dit : « Ses yeux lassés
<< Au doux sommeil ont succombé sans doute.»
Il frappe encore, et soudain il ajoute:
"Belle Rusla, c'est moi, c'est ton amant
« Qui vient chercher le prix de sa tendresse.
« Quoi! du sommeil est-ce là le moment?
« Réveille-toi, Rusla; tiens ta promesse:
<< Ne tarde plus; un vent impétueux,
<< Un vent glacé siffle dans mes cheveux.
<<< Sous un ciel pur l'étoile scintillante
<< Du froid naissant atteste la rigueur :
<< Ne tarde plus, et que ma voix tremblante,
<< Belle Rusla, passe jusqu'à ton cœur. »

Un long soupir échappé de sa bouche
Suivit ces mots. Il frappe, et cette fois
La porte cède à la main qui la touche.
De la pudeur il ménagea les droits.
Rusla honteuse a voilé son visage:
Elle rougit de ses premiers desirs,
Elle rougit de ses premiers plaisirs.
Son jeune sein du cygne offre l'image,
Quand sur un lac, balancé mollement,
Il suit des flots le léger mouvement.

Dans sa tendresse elle est timide et douce:
Tantôt ses bras entourent son amant,
Tantot sa main faiblement le repousse,
Et son bonheur fut un enchantement.

Il dura peu. La trompette éclatante
Le lendemain rappela les guerriers:
Rusla frémit, et sa voix gémissante
Maudit en vain les combats meurtriers;
Olbrown y court. Seule avec sa tristesse
Vécut alors l'inquiète Rusla.

De noirs pensers affligeaient sa tendresse.
Combien de fois de pleurs elle mouilla
Ce lit témoin de sa première ivresse!
Combien de fois sa plaintive douleur
Redit ces mots échappés à son cœur!
<< Dans les combats ne sois point téméraire;
<< Crains d'exposer une tête si chère,

<< Crains pour mes jours, et du guerrier puissant << Ne brave point le glaive menaçant.

«Mais il te cherche au milieu du carnage:

Tu l'attendras; je connais ton courage;
<< Tu l'attendras : que de pleurs vont couler!
«Le trepas seul pourra me consoler.

<< Jeune héros, des amans le modèle,
<< Dans le sentier où la gloire t'appelle
« Tes premiers pas rencontrent le tombeau.

<< Astre charmant, astre doux et nouveau
<< Tu n'as pas lui long-tems sur la colline;
<< De ton lever que la chûte est voisine!
<< Tu disparais: que de pleurs vont couler!
« Le trépas seul pourra me consoler. »

A chaque instant, inquiète, éperdue,
Sur
un rocher que la mousse a couvert,
Elle s'assied, et du vallon désert
Ses yeux en vain parcourent l'étendue.
Si tout à coup sur le chemin poudreux
Le vent élève une épaisse poussière,
Son cœur palpite, elle craint, elle espère;
Sa bouche au ciel adresse mille vœux,
Et le plaisir brille sur son visage,
Comme l'éclair qui sillonne un nuage.
Le vent s'appaise: elle voit son erreur,
Baisse les yeux, se plaint de son martyre,
Laisse échapper une larme, soupire,
Et du rocher descend avec lenteur.

Après six mois un sinistre murmure,
Un bruit perfide et trop accrédité,
Peignit Olbrown victorieux, parjure,
Sur d'autres bords par l'hymen arrêté.
Par le trépas si l'on perd ce qu'on aime,
On croit tout perdre; un voile de douleurs
S'étend sur nous; le chagrin est extrême,
Et cependant il n'est pas sans douceurs:

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Mais regretter un objet infidelle,

Pleurer sa vie, et rougir de nos pleurs,

C'est pour l'amour le plus grand des malheurs.
Belle Rusla, cette atteinte cruelle

Perça ton ame, et depuis ce moment
Vers le tombeau tu marchas lentement.

Dans les ennuis se flétrissent ses charmes; Ses yeux éteints ne trouvaient plus de larmes. « O toi qu'ici rappellent mes soupirs, « Dit-elle enfin, o toi qui m'as trahie, << Que le remords n'attriste point ta vie! << Tandis qu'ailleurs tu trouves des plaisirs, << Moi je succombe à ma douleur mortelle; « D'un long sommeil je m'endors en ces lieux; << Et le rayon de l'aurore nouvelle

<< Sans les ouvrir tombera sur mes yeux. »

L'infortuné, qui ne pouvait l'entendre, Quittait alors les rivages lointains: Il espérait, toujours fidele et tendre, Avec l'amour conler des jours sereins. << Rusla, mon cœur a gardé ton image; «Ton nom sacré dans l'horreur des combats

« A fait ma force; et bientot dans tes bras « Je recevrai le prix de mon courage. » Disant ces mots, d'un pas précipité

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