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Ce fut son dernier succès; il cessa de paraître à la tête des armées, et se retira à Chantilly, où il vécut dès lors, au milieu des gens de lettres, même des philosophes. Durant la campagne de Hollande il avait désiré s'entretenir avec Spinosa, et quand Malebranche publia sa Recherche de la vérité, il voulut en connaître l'auteur. Il se plaisait aux discussions savantes comme aux batailles, s'y mêlait avec esprit, avec feu, et quelquefois, dit la Fontaine, prenait la raison comme la victoire à la gorge. Lorsque dans ces conversations littėraires il soutenait une bonne cause, il parlait avec beaucoup de grâce et de douceur; mais quand il en soutenait une mauvaise, il ne fallait pas le contredire. Le feu de ses yeux étonna une fois si fort Boileau dans une dispute de cette nature, qu'il céda par prudence et dit tout bas à son voisin : « Dorénavant, je serai toujours de l'avis de M. le Prince, quand il aura tort. (Mémoires de Louis Racine.) Tableau charmant qui nous représente dans ces allées de Chantilly, « où les jets d'eau, dit Bossuet, ne se taisaient ni jour ni nuit, nos plus grands poëtes discutant avec l'un de nos plus grands hommes de guerre. Condé mourut en 1686, victime de son dévouement pour la duchesse de Bourbon sa petite-fille, atteinte de la petite vérole.

Campagne de 1676; victoires navales; Duquesne et d'Estrées. - On retomba l'année suivante dans cette guerre de sièges que Louis XIV préférait. Condé et Bouchain furent pris; Maestricht, assiégé par le prince d'Orange, fut délivré; mais les Allemands rentrèrent dans Philippsbourg, que du Fay défendit trois mois et ne rendit que lorsqu'il manqua de poudre. Une gloire inattendue consola la France de ces faibles succès et de ces revers. Les habitants de Messine, révoltés contre l'Espagne, s'étaient placés sous la protection de Louis XIV (1675) ; il leur envoya une flotte commandée par le duc de Vivonne, frère de Mme de Montespan, et qui avait Duquesne sous ses ordres. Ce grand marin, né à Dieppe en 1610, avait d'abord été armateur et corsaire, puis il s'engagea au service de la Suède, où il acquit de la réputation; revenu en France pour entrer dans la marine royale, il passa par tous les grades, devint lieutenant général, mais ne put monter plus haut, parce qu'il était protestant. Sur les côtes de Sicile il eut pour adversaires Ruyter et les Espagnols. Un premier combat près de l'île de Stromboli resta indécis (1676); un second, à la hauteur de Syracuse, fut une com

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Château de Chantilly.

plète victoire. Ruyter y fut tué. Louis XIV ordonna qu'on rendît les honneurs militaires, dans tous nos ports, au vaisseau qui rapportait en Hollande les restes de ce grand homme de mer. Enfin Duquesne, Vivonne et Tourville écrasèrent dans une dernière rencontre, à Palerme, les flottes ennemies. La France eut pour quelque temps l'empire de la Méditerranée (1676).

Les Hollandais avaient, cette même année, pris Cayenno et ravagé nos établissements des Antilles. Le vice-amira d'Estrées arma à ses frais huit bâtiments que le roi lui confia, moyennant réserve de moitié des prises; il reprit Cayenne et détruisit, dans le port de Tabago où elle se croyait hors d'atteinte, une escadre ennemie de 10 vaisseaux. En 1678, 11 enleva cette île même et tous les comptoirs hollandais au Sénégal. Le pavillon français régna alors sur l'Atlantique comme sur la Méditerranée.

Campagne de 1677; Créqui et Luxembourg; bataille de Cassel. — Créqui avait succédé à Turenne en Allemagne, Luxembourg à Condé aux Pays-Bas. Le premier répara sa défaite de Consarbrück dans une campagne digne de Turenne. Par une suite de marches habiles, qui le placèrent constamment entre l'ennemi et notre frontière, il couvrit la Lorraine et l'Alsace contre un adversaire supérieur en nombre, le battit à Kochersberg, entre Strasbourg et Saverne (7 oct. 1677), et lui enleva Fribourg, ce qui reportait la guerre sur la rive droite du Rhin. Le second, qui rappelait plutôt le vainqueur de Rocroy, prit avec le roi Valenciennes, dont les mousquetaires enlevèrent en plein jour les formidables ouvrages, puis Cambrai, et gagna avec Monsieur, sur le prince d'Orange, la bataille de Cassel, près de Saint-Omer qui capitula (avril 1677). Gand ouvrit ses portes l'année suivante.

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Défection de l'Angleterre (1678). Ainsi Louis XIV attaquait ou se défendait partout: un événement imprévu le décida à faire la paix. Les Anglais ne voyaient pas sans une sorte d'effroi les progrès de son influence sur le continent, et surtout le développement de sa marine'; ils murmuraient

1. Le plus grand obstacle à l'alliance française, écrivait Charles II dès les premières années de son règne, c'est le grand soin que l'on se donne maintenant en France pour se créer un commerce et pour être une puissance maritime imposante. Chaque pas que la France fera dans cette voie, perpétuera la jalousie entre les deux nations.

contre leur roi, enchaîné à l'alliance de ce redoutable voisin, et l'opposition nationale devenait tous les jours plus vive dans le Parlement. Charles II disait tristement à l'ambassadeur français, M. de Ruvigny (6 juin 1675), que, pressé par ses sujets, il était comme une place assiégée qui ne peut plus se défendre. » Dès 1674 il avait cessé d'agir contre les

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Hollandais; en 1678 il fut forcé de s'unir à eux, de consentir au mariage de sa nièce, Marie, avec le stathouder, et de se déclarer contre la France (janvier 1678).

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Traité de Nimègue (1678); pacification générale (1679). Alors Louis XIV proposa la paix aux ProvincesUnies. Le prince d'Orange devait son élévation à la guerre; essaya de rompre les négociations en surprenant à Saint

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Denis, près de Mons, le maréchal de Luxembourg, qui se reposait sur la foi d'un armistice (11 août 1678): il fut repoussé après un combat désespéré de six heures. Je m'attendais bien, disait-il plus tard, à perdre du monde, mais cette perte devait être de peu de conséquence, puisque, aussi bien, la paix étant faite, il aurait fallu congédier les troupes. Quel mépris de la vie humaine ont tous ces batailleurs ! les hommes ne sont pour eux que les pièces d'un échiquier.

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La Hollande, l'Angleterre, l'Espagne et l'Empereur traitèrent à Nimègue, l'électeur de Brandebourg à Saint-Germain, le roi de Danemark à Fontainebleau (août 1678 à septembre 1679). Cette fois encore ce fut l'Espagne qui paya les frais de la guerre; elle abandonna la Franche-Comté, et, aux PaysBas, les deux dernières villes de l'Artois, Aire et Saint-Omer, vec douze autres places, Valenciennes, Cambrai, Maubeuge, ondé, Bouchain, etc., que Vauban uvrit aussitôt de fortications, pour en faire la barrière de la France. L'électeur

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