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Français, en différentes fois, y passèrent. Leur dernier, chef, le duc de Beaufort, y périt. Cette assistance prêtée aux ennemis des Ottomans semblait glorieuse, mais était une déviation de la politique séculaire de la France. Louis qui s'expose ainsi à une rupture avec le vieil allié de François Ier et de Henri IV, renoncera bientôt à l'autre partie de leur politique, à l'alliance des protestants. Il reprendra le rôle de CharlesQuint et de Philippe II, celui de chef armé du catholicisme et de monarque absolu; il prétendra, comme eux, à la prépondérance en Europe, et cette ambition fera le malheur de la France, comme elle avait fait celui de l'Espagne.

Guerre de Flandre (1667); droit de dévolution. La mort du roi d'Espagne, en 1665, fut l'occasion de la première guerre de Louis XIV. Philippe IV ne laissait qu'un fils âgé de quatre ans, Charles II, qu'il avait eu d'une seconde femme. L'infante Marie-Thérèse, depuis six années reine de France, était née d'un premier mariage. Or, c'était l'usage dans les Pays-Bas que l'héritage paternel fût donné ou dévolu aux enfants du premier lit, à l'exclusion de ceux du second. Louis XIV réclama ces provinces au nom de sa femme. La cour d'Espagne consulta les jurisconsultes et les théologiens, quand il aurait fallu lever une armée; elle soutint que ce droit de dévolution était une coutume civile, qui ne pouvait être appliquée, dans l'ordre politique, à la transmission des États; et que d'ailleurs l'infante, en se mariant, avait renoncé à toute prétention sur la monarchie de son père. Le ministère français répondit que les renonciations étaient nulles, par ces motifs que Marie-Thérèse était mineure lorsque son père avait exigé d'elle cette renonciation, et que la dot, condition essentielle du contrat, n'avait pas été payée; qu'enfin les Pays-Bas étant le patrimoine héréditaire des rois d'Espagne, plutôt qu'une possession de la couronne, devaient être régis, comme les domaines privés, par le droit de dévolution. La première raison avait quelque apparence de fondement; la seconde n'était même pas spécieuse mais le roi de France comptait bien plus sur ses armes que sur ses raisons.

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Les Pays-Bas n'avaient point alors de nationalité parce que, depuis le quatorzième siècle, ils n'avaient eu que des maîtres étrangers. Ces provinces, continuation naturelle de notre territoire et de notre idiome, ne répugnaient pas alors à une union avec la France: cette guerre était donc utile et légitime autant que peut l'être une guerre d'invasion.

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L'Espagne manquait de marine, d'armée, d'argent. Le pays qui avait envoyé plus de cent vaisseaux à Lépante contre les Turcs, et qui en avait réuni plus de cent soixante-quinze en 1588 contre l'Angleterre, se vit réduit à en emprunter quelques-uns à des navigateurs génois pour son service du Nouveau-Monde. Après avoir eu des armées formidables sur tout le continent, il ne pouvait plus entretenir un effectif de 20 000 hommes. Avec les mines du Nouveau-Monde, il était obligé de recourir à des souscriptions pour se défendre ou pour subsister. Il n'avait plus de commerce; ses manufactures de Séville et de Ségovie était en grande partie tombées; l'agriculture était anéantie; la population, qui s'était élevée à vingt millions sous les Arabes, était alors descendue à six....'. » Pour lui ôter tout secours du dehors, Louis XIV s'assura de la neutralité de l'Angleterre et des ProvincesUnies, décida les princes allemands de la ligue du Rhin à lui fournir des troupes, et gagna même l'Empereur,sur lequel la cour de Madrid avait compté.

Ce fut une promenade militaire plutôt qu'une invasion. Le roi entra en Flandre avec 50 000 hommes et Turenne (1667): Charleroi, Tournai, Furnes, Courtrai, que la France a perdus; Douai, Lille, qu'elle a conservés, furent pris aussitôt qu'assiégés; la dernière seule fit une résistance sérieuse qui arrêta l'armée dix-sept jours. Le comte de Bruay commandait dans la place. La politesse castillane était alors célèbre. Bruay, dès qu'il sut l'arrivée de Louis XIV devant ses murs, envoya prier le roi de ne pas trouver mauvais qu'il défendît la place jusqu'à la dernière extrémité. Il offrit de faire passer de la ville tout ce qui serait nécessaire au service de sa maison, il promettait de ne point tirer du côté que Sa Majesté désignerait pour son quartier, A quoi Louis répondit que son quartier serait dans tout le camp. En trois mois la province entière fut soumise.

Aux approches de l'hiver, on proposa un armistice aux Espagnols: le gouverneur des Pays-Bas, Castel-Rodrigo, le repoussa avec hauteur, en disant que cette suspension d'armes serait accordée par la nature, et qu'il n'avait pas besoin

1. Mignet, Introduction aux negociations relatives à la succession d'Espagne, p. 29. Au moment où commençait cette première guerre de Louis XIV, Colbert avait déjà, en six années, augmenté le produit des impols de 11 500 000 livres, diminué les dépenses de 19 900 000 livres, par consequent double le revenu net du trésor.

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de la recevoir comme une grâce d'un ennemi. Cet accès de fierté, qu'il aurait fallu soutenir par des forces imposantes, fut puni de la perte d'un nouveau territoire.

« On était plongé dans les divertissements à Saint-Germain, dit Voltaire, lorsque au cœur de l'hiver, au mois de janvier 1668, on fut étonné de voir des troupes marcher de tous côtés, aller et revenir sur les chemins de Champagne, dans les Trois-Évéchés : des trains d'artillerie, des chariots de munitions s'arrêtaient, sous divers prétextes, dans la route qui mène de Champagne en Bourgogne. Cette parti de la France était remplie de mouvements dont on ignorai. la cause. Les étrangers par intérêt, et les courtisans par curiosité, s'épuisaient en conjectures; l'Allemagne était alarmée : l'objet de ces préparatifs et de ces marches irrégulières était inconnu à tout le monde. Le secret dans les conspirations n'a jamais été mieux gardé qu'il ne le fut dans cette entreprise de Louis XIV. Enfin, le 2 février, le roi part de SaintGermain avec le jeune duc d'Enghien, fils du grand Condé, et quelques courtisans: les autres officiers étaient au rendezvous des troupes. Il va à cheval à grandes journées, et arrive à Dijon. 20 000 hommes assemblés de vingt routes différentes se trouvent le même jour en Franche-Comté, à quelques lieues de Besançon, et le grand Condé paraît à leur tête. Besançon, Salins et Dôle capitulent; la FrancheComté est soumise en trois semaines; et le conseil d'Espagne écrit au gouverneur « que le roi de France aurait dû envoyer ses laquais prendre possession de ce pays, au lieu d'y aller en personne. »

Ces rapides succès inquiétèrent les États voisins, surtout la Hollande : elle conclut en cinq jours, avec l'Angleterre et la Suède, la triple alliance de la Haye, qui offrit sa médiation à la France et l'imposa à l'Espagne. Turenne et Condé voulaient qu'on n'en tînt compte, et promettaient la conquête des Pays-Bas avant la fin de la campagne. Ils voyaient juste, car aucune des trois puissances médiatrices n'était prête pour la guerre la Hollande n'avait pas d'armée; avec quelques écus, on eût ramené la Suède, et ce n'était pas les vaisseaux anglais qui nous eussent empêchés d'aller à Bruxelles. Louis XIV manqua cette fois d'audace. Le roi d'Espagne semblait sur le point de mourir, et il n'avait pas d'héritier. L'Empereur et le roi de France venaient, dans cette prévision, de convenir entre eux du partage de

la monarchie espagnole. Louis se dit qu'il était inutile de combattre pour quelques villes quand il allait avoir un empire, et il signa le traité d'Aix-la-Chapelle (2 mai 1668), qui lui reprit la Franche-Comté et ne lui laissa que ses conquêtes en Flandre. Le raisonnement eût été juste si le roi d'Espagne fût mort à ce moment; mais ce moribond mit trente-deux années à mourir, et l'occasion perdue ne se retrouva plus.

Causes de la guerre de Hollande. Louis XIV ne pardonna pas aux Hollandais cette intervention dans ses affaires. Il avait été choqué de la liberté toute républicaine de leur ambassadeur, Van Beuningen, échevin d'Amsterdam, dans les conférences d'Aix-la-Chapelle : « Ne vous fiez-vous pas à la parole du roi? lui disait un jour de Lionne. — J'ignore ce que veut le roi, répondit-il, je considère ce qu'il peut. » Louis XIV se plaignait encore de l'insolence de leurs gazetiers, et surtout de médailles injurieuses qui auraient été frappées après la paix. On prétendait à la cour de France que Van Beuningen s'était fait représenter avec cette légende : In conspectu meo stetit sol: allusion blessante à l'emblème que Louis XIV s'était choisi un soleil dardant ses rayons sur le globe avec ces mots pour devise: Nec pluribus impar1. Mais, si roi absolu qu'on soit, on ne met pas l'Europe en feu pour de telles misères. Ce que des historiens ont appelé une guerre de médailles, c'est-à-dire de ressentiment personnel, fut aussi une guerre de tarifs. Louis XIV n'aimait pas, sans nul doute, ces républicains orgueilleux, qui devaient, disait-il, leur salut à ses ancêtres, mais Colbert détestait ces rivaux de notre commerce. On a vu ses efforts pour les chasser de nos côtes et pousser nos marchands à faire eux-mêmes leurs transports. Les Hollandais, attaqués par des tarifs, se défendirent par des surtaxes sur nos vins, nos eaux-de-vie et les produits de nos manufactures (1668). «C'est un pas bien hardi pour les États, écrivit aussitôt Colbert à notre ambassadeur à la Haye; vous verrez dans peu qu'ils auront tout lieu de se repentir.

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1. Il est maintenant constaté que cette médaille n'a jamais existé (voy Clément, Histoire de Colbert, p. 330, note 2, d'après des dépêches manuscrites). Quant à la devise du roi, Nec pluribus impar, c'était un cri d'orgueil. Louvois l'explique ainsi : Seul contre tous: Louis XIV, dans ses Mémoires, lui donne un autre sens : Je suffirai à éclairer encore d'autres mondes, ce qui, au fond, revient au même."

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