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l'épaule, fait enlever de Port-Royal de Paris seize religieuses, les disperse dans des couvents éloignés et les remplace par des sœurs orthodoxes'. Mais il exhorte en vain les religieuses des Champs à signer le formulaire. Il leur interdit les sacrements2, et les quitte en leur adressant ces paroles : « Vous êtes pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons 3. » Après lui, Bossuet use inutilement contre la froide conviction des religieuses cette éloquence à laquelle rien ne résistait. La sœur de Dufossé, de Port-Royal de Paris, qui avait accepté le formulaire, avec bien des angoisses et des larmes, se rétracte publiquement devant la communauté, après la visite et sur les tendres reproches de son frère. On s'imaginerait difficilement quelle terreur inspirait le formulaire à ces âmes honnêtes et troublées 5. Dans la seule crainte de le siguer, plusieurs religieuses tombent malades. Jacqueline Pascal, cette forte, cette courageuse, cette charmante sœur de Pascal, qui a donné sa signature, meurt de chagrin et de remords“.

1 Parmi elles étaient 'abbesse et la prieure. 26 août 1664. Histoire abrégée de Port-Rogal, p. 25-28.

217 novembre 1664.

Racine, p. 254.

• Dufossé nous a laissé le plus touchant récit de cet épisode. V. ses Mémoires, p. 251-56.

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J'avoue que je frémis encore, écrit Fontaine vingt ans après, lorsque je me représente en quels déchirements étoit M. Singlin (alors directeur des religieuses), au sujet des signatures qu'on exigeoit en 1662. » Mémoires de Fontaine, t. II, p. 283.

A trente-six ans. 4 octobre 1661. V. le beau livre de M. Cousin : Jacqueline Pascal (Paris, Didier, 1844, in-8°). M. Cousin l'a caracté risée en un mot: la Cornélie du christianisme. Elle avait pris à Port

Après avoir dompté Port-Royal de Paris, Louis XIV s'attaque à la maison des Champs. Il y envoie un chapelain, une tourière orthodoxe, et quatre gardes du corps commandés par un exempt, avec mission d'épier les moindres actions des religieuses et de repousser les visiteurs'. Ces soldats occupent toutes les portes du monastère, tant en dedans qu'en dehors; ils se promènent nuit et jour en buvant dans les enclos, qu'ils font retentir de leurs blasphèmes et de leurs chansons obscènes. Un scandale inouï dans les chastes annales de Port-Royal signale la présence de ces hôtes du roi : cette misérable tourière, choisie par l'archevêque et envoyée dans le couvent, devient enceinte et accuse le chapelain d'être son complice. Louis XIV, moins tolérant que Mazarin, ferme la maison des Granges et poursuit les solitaires. D'Andilly, malgré ses soixante-seize ans et ses protections à la cour, est relégué avec son fils Luzancy à sa terre de Pomponne'. Sacy, Fontaine et Dufossé sont mis à la Bastille. Le grand Arnauld, toujours traqué dans Paris, où des amis dévoués se disputent sa personne comme si elle eût attiré sur eux la bénédiction du

Royal le nom de sœur Euphémie. V. encore Racine, p. 231. — Malebranche lui-même, qui avait signé le formulaire par soumission, crnt de son devoir après la paix de l'Eglise, en 1673, de faire une rétractation formelle dans laquelle il reconnaissait devant Dieu la faute qu'il avait faite ayant été assez souvent dans le trouble à cause de cette action.» V. M. Cousin, Fragments de philosophie moderne, p. 255. Note. 1 En juillet 1665; elles y restèrent jusqu'en février 1669. * Histoire abrégée de Port-Royal, p. 28.

3 En 1664. Il y écrivit ses Mémoires. Mémoires de d'Andilly, p. 471. Mai 1666. V. le curieux récit de leur arrestation. Dufossé, p. 78.

ciel 1, échappe cette fois encore. Les choses en viennent à ce point que Louis XIV nomme des commissaires pour instruire le procès des évêques qui rejettent le formulaire 2.

Au milieu de ces persécutions, l'auteur du formulaire, Alexandre VII, vient à mourir 3, et son successeur, Clément IX, pontife doux et conciliant, offre aux Jansénistes d'accepter, il est vrai, le formulaire, mais avec certaines restrictions, qui puissent rassurer leurs consciences. Leurs puissantes protectrices à la cour, la duchesse de Longueville et la princesse de Conti, le pieux et honnête M. de Gondrin, archevêque de Sens et oncle de madame de Montespan, les ministres Lyonne et Arnauld de Pomponne s'interposent, et les opponts signent une transaction, qui prend le nom de paix de Clément IX ou de paix de l'Eglise.

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La concorde semble rétablie pour toujours, et les deux partis la célèbrent avec une effusion et une générosité toutes françaises. On frappe une médaille

1 Fontaine, t. Jer, p. 135.

2 Mémoires de l'abbé Arnauld, p. 542.

3 1667.

M. de Gondrin, ayant trouvé un jour madame de Montespan dans les appartements du roi, lui donna un soufflet en lui disant : « Que faites-vous ici ? » Cette affaire arrêta quelque temps les négociations. V. Mémoires de Fontaine, t. II, p. 406.

5 Arnauld de Pomponne ne fut ministre des affaires étrangères qu'en 1671, à la mort de Lyonne, mais il était déjà associé aux travaux du ministère, et particulièrement connu et distingué de Louis XIV. Mémoires de l'abbé Arnauld, p. 54.

6 Arrêt du 23 octobre 1668, qui rappelle toutes les personnes dépossédées de leurs bénéfices pour avoir refusé d'accepter le formulaire. Histoire abrégée de Port-Royal, p. 29.

pour éterniser le souvenir de la paix récente1. Le ministère ouvre la Bastille, et les solitaires reviennent aux Granges. L'archevêque de Paris présente Sacy au roi et le chancelier lui offre une riche abbaye, que le modeste Janséniste a peine à refuser2. Louis XIV reçoit avec une cordialité respectueuse le père d'Arnauld de Pomponne, son ministre préféré; la mâle vieillesse, le noble visage et les beaux cheveux blancs d'Arnauld d'Andilly charment le roi. « Sire, lui dit-il gracieusement, j'ai une grâce à demander à Votre Majesté, c'est qu'elle daigne m'aimer un peu.>> Pour toute réponse, Louis XIV se jette à son cou et l'embrasse. Le roi désira voir ensuite le grand Arnauld, qui, poursuivi de grenier en grenier, faisait encore trembler une société formidable. dont les mille langues et les mille bras étaient déchaînés contre lui. Son neveu, Arnauld de Pomponne, le conduisit lui-même à Saint-Germain, où se trouvait la cour. Le roi lui donna les plus nombreux témoignages de sa bienveillance et de son estime, et comme Arnauld s'excusait des paroles un peu vives qui avaient pu lui échapper dans la lutte, Louis XIV le pria de n'y plus songer, ne voulant pas, ajoute Fontaine, qu'il s'humiliât d'une chose qui méritait plutôt des louanges". Le nonce Borgellini voulut lui-même

1 Mémoires de Fontaine, t. II, p. 382.

2 Fontaine, t. I, p. 392. L'abbé Arnauld, fils de d'Andilly, moins scrupuleux, accepta l'abbaye de Chaume en Brie. Mémoires de l'abbé Arnauld.

3 Dufossé, p. 315.

* Fontaine, t. II, p. 402.

recevoir Arnauld, et, après les plus affectueux compliments, il dit en propres termes : Votre plume, monsieur, est une plume d'or . » Le pape Innocent XI avait pour Arnauld, qu'il regardait comme irès-orthodoxe, la plus haute et la plus sérieuse estime. La cour de Rome alla jusqu'à lui offrir une place parmi les cardinaux.

A l'exemple du maître, Paris se passionne pour les hommes de Port-Royal. La foule s'entasse à SaintRoch, aux sermons jansénistes du P. Desmares. Les nombreux amis de Sacy célèbrent dans des dîners de réjouissance sa sortie de la Bastille. Le bon Janséniste n'ose refuser ces petites fêtes, où le suit Fontaine, son compagnon de captivité, et il y porte son air doux et grave et son impassible sérénité. Les Parisiens se pressent pour voir les principaux Jansénistes, et surtout le grand Arnauld, le plus populaire et le plus célèbre de tous, « cet homme doux et sublime, digne de vivre au siècle des apôtres,» a dit Racine. Un grand concours de peuple l'environnait à chaque sortie, avide d'apercevoir un homme si fameux par ses ouvrages, et dont la personne, si longtemps cachée dans Paris même, était si complétement inconnue. On accourait des provinces les plus éloignées pour l'entendre. Les plus grands dignitaires de l'Eglise se faisaient une joie et un honneur de converser quelques instants avec lui. Et de même que,

Dufossé, p. 315.

Fontaine, t. I, p. 108. 3 Fontaine, t. 11, p. 399.

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