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jour que comme celui de l'Alcoran, c'est-à-dire par la défense de parler et la menace d'être empalé si l'on désobéissait. »

Les réformes qu'il propose sont pour la plupart empruntées au Détail de la France: il réclame de nouveau la mise en vigueur des belles ordonnances de Sully sur les tailles; il abandonne toutefois son projet, qui consistait à imposer les cheminées, et, reprenant un à un tous les impôts qu'il a précédemment flétris, il discute les inconvénients inhérents à chacun d'eux, dont le moindre est de ruiner les intérêts du pays sans nul profit pour le roi. Pour les boissons, au lieu de ces droits multiples « revêtus d'un nom de guerre', et qui sont autant de piéges tendus à des malheureux qui ne savent ni lire ni écrire, il demande l'établissement d'une taxe uniforme et invariable, facile à percevoir et destinée par cette raison même à favoriser la circulation des denrées. Pour les douanes il réclame dans le plus bref délai leur suppression complète dans tout l'intérieur du royaume, la liberté absolue d'exportation comme étant le seul moyen de relever la valeur des produits nationaux ; s'il consent au maintien des droits d'entrée sur les marchandises étrangères, c'est à la condition qu'on fera disparaître toutes les entraves dont le payement de ces droits a été accompagné jusqu'à ce jour, et qui ont éloigné de nos ports tous les étran

1 Tels que parisis, sou denier, traverse, resve, haut passage, grand, petit et nouveau droit, jauge, passe-debout, etc. V. Factum de la France, p. 331.

gers qui les encombraient naguère. Il termine par la capitation qu'il propose d'établir au dixième de la valeur de tous les biens, meubles et immeubles; bien appliquée et bien entendue, la capitation est l'impôt le plus raisonnable et le plus juste, en ce sens qu'il atteint chaque contribuable dans la proportion de ce qu'il possède; ce dixième, payable en argent, pourra produire chaque année environ quatre-vingts millions qui, ajoutés aux autres droits, devront suffire aux terribles exigences du moment.

Telles étaient en abrégé les idées du réformateur; pleines de justice, inspirées par l'étude approfondie d'une organisation défectueuse, basées sur une logique irréfutable, elles auront cependant à lutter pendant tout un siècle pour se faire jour et triompher des passions égoïstes d'un petit nombre d'hommes dans les mains desquelles s'est concentrée toute la fortune publique. Toutefois le cri de détresse poussé par Boisguillebert fut si perçant que l'écho en retentit jusqu'à Versailles. Ce livre reproduisait avec une vérité si saisissante' toutes les misères de l'époque,

1 Dès le début de son livre, Boisguillebert, mettant en opposition l'état de la France avant et après l'adoption de son système, déclare que la situation de son pays serait celle d'un condamné qui, après avoir été menacé du dernier supplice, recevrait sa grâce du roi et passerait dans un instant du dernier malheur à une très-heureuse situation, « ou bien encore celle d'une place assiégée dont il suffit d'ouvrir les portes pour faire cesser les rigueurs exceptionnelles qu'elle a dû subir pendant tout le temps qu'a duré l'investissement. La ville de la Rochelle, lors de sa prise par le roi Louis XII, ne fut qu'un moment à acheter le pain cent sous la livre, c'est-à-dire à voir tous les jours cent ou cent vingt de ses habitants mourir de faim, et puis, les portes ouvertes par sa reddition, elle se procura ce même pain à moins d'un sou la livre. » V. p. 320. 11 conclut en s'écriant qu'il présente ses Mémoires au public « à une con

raison Sully, mais il oubliait que l'industrie, naissante sous Henri IV, était pleine de vie sous Louis XIV; qu'il fallait la soutenir et non l'étouffer, et qu'on devait à l'avenir développer en même temps l'agriculture et l'industrie, sœurs ennemies mais inséparables.

Le Détail de la France était passé inaperçu. Plein de confiance en lui-même, Boisguillebert publia un second livre intitulé le Factum de la France.

Dix années se sont écoulées depuis l'époque où il publiait son premier ouvrage ; dix années de sinistre mémoire, pendant lesquelles toutes choses sont allées de mal en pis; ses sombres prévisions ne se sont que trop bien vérifiées: la diminution dans les revenus publics a atteint en 1707 le chiffre de quinze cents millions. A quelle cause attribuer cette énorme misère, sinon à cette routine fatale qui consiste à suivre les chemins frayés, si mauvais qu'ils soient, et contre laquelle il s'est élevé de toutes ses forces dans son premier ouvrage? A quelles causinon à l'injustice et à l'incertitude de la taille, à l'avilissement des grains 1, aux aides, aux

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1 Boisguillebert insiste longuement sur cette cause, dont il n'avait pas parlé dans le Détail, et qui selon lui fait perdre trois cents millions de revenus à l'Etat. Dans un traité spécial il examine la question plus à fond et se montre ardent partisan de la libre exportation des grains, comme étant le seul moyen de maintenir un équilibre salutaire entre la trop grande cherté et le trop grand avilissement des blés: « Si le laboureur vend son blé trop cher, voilà une famine qui fait périr une infinité de monde, dont on n'a fait que trop d'expérience; et, par fait contraire, le blé étant à vil prix comme aujourd'hui, ne pouvant atteindre non-seulement au payement du propriétaire, mais même aux frais de la culture,

douanes1? Il tonne avec une brûlante indignation, qui trouve son excuse dans l'accroissement des fléaux et dans la conviction d'une âme honnête, contre cet odieux système «< qui n'a pu se maintenir jusqu'à ce

le canal nécessaire pour faire passer cette manne aux mains des ouvriers qui n'ont d'autre revenu que leurs bras, est coupé, savoir: le maître qui n'est point payé. Et voilà deux cents professions (qui composent aujourd'hui les états polis et opulents) à sec; leur travail leur devient infructueux, comme les grains en perte à ce laboureur; en sorte qu'il est par là mis hors de pouvoir, non-seulement de payer son propriétaire, mais même de continuer à cultiver la terre: ce qui en fait demeurer quantité en friche, négliger les engrais des meilleures et prodiguer les grains à des usages étrangers, comme nourriture de bestiaux, surtout les chevaux, et confections de manufactures, savoir les bières et amidons.... Le mal est que MM. les ministres qui se sont mêlés de cette direction depuis 1660 ont cru que cette manne coûtait aussi peu à percevoir et faire venir que celle que Dieu envoya dans le désert aux Israélites, ou tout au plus qu'elle était comme des champignons ou comme des truffes, qu'elle croissait en tout son contenu à pur profit au laboureur, et qu'à quelque bas prix qu'elle pût être, il gagnait moins, mais ne pouvait jamais perdre; et qu'ainsi il fallait qu'une autorité supérieure empêchât que les pauvres ne fussent victimes de son avidité. C'est néanmoins cette autorité qui a tout gâté, ayant également ruiné les riches et les pauvres, dans l'une et dans l'autre extrémité de cherté et d'avilissement qui se sont enfantées et s'enfantent même toujours réciproquement. V. Factum de la France, p. 285 et 286.

1 Cela a été si loin pour les droits de sortie, quoiqu'on sache que la richesse d'un Etat consiste dans les envois au dehors, qu'il s'en trouve jusqu'à vingt-six dans un seul port de mer, c'est-à-dire vingt-six droits ou déclarations à passer à diverses personnes ou différents bureaux avant qu'un seul vaisseau puisse décharger ou mettre à la voile et emporter ou débarquer les marchandises chargées. Il n'y a pas un de ces receveurs de droits ou déclarations qui ne veuille faire sa fortune; ils savent bien tous que ce ne peut être par le moyen de leurs gages, qui sont souvent très-médiocres; ce n'est donc que par les vexations........ Qui est-ce qui n'eût point pensé que c'est la même chose, sans aucune différence, que si un prince ayant à recevoir cent mille livres par an, son intendant commettait dix personnes avec mille livres de gages chacune pour percevoir dix mille livres chacune, bien qu'une seule faisant toute la recette, n'eût pas de quoi s'employer en ne donnant que la vingtième partie de son temps. » V. Factum de la France, p. 314 et 316.

jour que comme celui de l'Alcoran, c'est-à-dire par la défense de parler et la menace d'être empalé si l'on désobéissait. »

Les réformes qu'il propose sont pour la plupart empruntées au Détail de la France: il réclame de nouveau la mise en vigueur des belles ordonnances de Sully sur les tailles; il abandonne toutefois son projet, qui consistait à imposer les cheminées, et, reprenant un à un tous les impôts qu'il a précédemment flétris, il discute les inconvénients inhérents à chacun d'eux, dont le moindre est de ruiner les intérêts du pays sans nul profit pour le roi. Pour les boissons, au lieu de ces droits multiples « revêtus d'un nom de guerre', et qui sont autant de piéges tendus à des malheureux qui ne savent ni lire ni écrire, il demande l'établissement d'une taxe uniforme et invariable, facile à percevoir et destinée par cette raison même à favoriser la circulation des denrées. Pour les douanes il réclame dans le plus bref délai leur suppression complète dans tout l'intérieur du royaume, la liberté absolue d'exportation comme étant le seul moyen de relever la valeur des produits nationaux ; s'il consent au maintien des droits d'entrée sur les marchandises étrangères, c'est à la condition qu'on fera disparaître toutes les entraves dont le payement de ces droits a été accompagné jusqu'à ce jour, et qui ont éloigné de nos ports tous les étran

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1 Tels que parisis, sou denier, traverse, resve, haut passage, grand, petit et nouveau droit, jauge, passe-debout, etc. » V. Factum de la France, p. 331.

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