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ses pieds les plus grands personnages de la monarchie, confondus avec les petits-fils de Louis XIV. Elle essaya sa future royauté, reçut assise et fit placer près d'elle, sur un tabouret, la duchesse de Bourgogne. Plusieurs fois cette étrange belle-mère lui adressa des reproches si vifs qu'ils lui arrachaient des larmes 1; mais, en dépit de ses hauteurs, les princes et les courtisans affluaient à Meudon. Louis XIV avait soixante-huit ans : quelques années encore et mademoiselle Choin serait reine de France.

Mais la véritable souveraine de Meudon, celle qui gouvernait sinon le cœur au moins l'esprit de Monseigneur, était une de ses sœurs naturelles, la belle duchesse de Bourbon, fille de Louis XIV et de madame de Montespan, et mariée au duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé : Madame la duchesse, comme l'appellent simplement les contemporains, si célèbre par sa figure, son esprit, ses grâces, ses malices et ses chansons, et par ses amours avec le grand Conti; elle amusait Monseigneur, qui passait chez elle une partie de ses journées, depuis sa rupture avec la princesse de Conti, et lui témoignait tout

Saint-Simon, t. V, p. 319.

Louise-Françoise de Bourbon, dite Mademoiselle de Nantes, née en 1673, mariée en 1685 à Louis III, duc de Bourbon-Condé, veuve le 4 mars 1710, morte en 1713. Sa figure, dit élégamment Saint-Simon, étoit formée par les plus tendres amours, et son esprit étoit fait pour se jouer d'eux à son gré sans en être dominé. » T. VI, p. 307.

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Marie-Anne, fille de mademoiselle de La Vallière et de Louis XIV, dite Mademoiselle de Blois (la première). Née en 1666, elle épousa en 1680 Louis de Conti, qui mourut en 1685. On l'appelait à la cour la Grande Princesse, à cause de sa haute taille; elle est morte en 1739.

l'attachement dont il était susceptible. La duchesse enchantait mademoiselle Choin par une adroite obséquiosité, et les gouvernait tous deux en se jouant". Dans cette petite cour de Meudon, elle affichait la plus grande liberté d'esprit, et désolait par ses épigrammes et ses chansons la société de madame de Maintenon, qui ne pouvait la souffrir. Elle allait rarement à Versailles, et elle restait le plus souvent à Meudon, bravant ses ennemis, et bien certaine de les réduire au silence à la mort de Louis XIV. Pour excuser ses malices, elle avait persuadé facilement à Monseigneur que la méchanceté était une preuve d'esprit.

Après elle, les hôtes les plus habituels de Meudon étaient le grand Conti, son amant; les deux Vendôme, le duc et le grand prieur, que nous avons vus sur les champs de bataille; la princesse douairière de Conti, qui, malgré son abandon était restée l'amie de Monseigneur; les hôtes habituels d'Anet et de

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Boileau, dans une lettre à Racine, du 28 août 1687 (V. OEuvres de Racine, t. V, p. 116), s'exprime ainsi en parlant d'elle: « Quand elle auroit perdu la voix, il lui resteroit encore un million de charmes pour se consoler de cette perte, et elle seroit encore la plus parfaite chose que la nature ait produite depuis longtemps-» Quand le Dauphin n'étoit pas à la chasse, écrit Madame (t. II, p. 258), il étoit toujours chez la grande princesse de Conti, et ensuite chez madame la duchesse. - Madame la duchesse, que son humeur égale et gaie et sa santé constamment parfaite rendoit toujours la reine du plaisir, chez qui Monseigneur s'étoit réfugié, lorsqu'après l'aventure de la Choin (son expulsion), d'abord le malaise, ensuite l'ennui, joints à l'humeur de madame la princesse de Conti, le dérangèrent de chez cette dernière et le réduisirent aux plus simples bienséances. Saint-Simon, t. V, p. 357.

1 Saint-Simon, t. VI, p. 308.

2 Saint-Simon, t. XIII, p. 120. 3 Madame, t. II, p. 69.

Chenonceaux madame de Soubise la belle et mystérieuse maîtresse de Louis XIV, madame de Lillebonne et ses deux filles, madame d'Espinoy, qui servait d'espion à madame de Maintenon auprès de la duchesse de Bourgogne et de Monseigneur 1, et mademoiselle de Lillebonne, mariée secrètement, disaiton, au chevalier de Lorraine ; le duc d'Antin3, adroit courtisan du père et du fils; de jeunes gentilshommes dont les pères appartenaient à madame de Maintenon: Villeroy, Luxembourg, Biron, le comte de Roucy, le duc de La Feuillade, tous ceux qui blåmaient tout bas le rigorisme et l'ennui de Versailles, tous les politiques et les ambitieux qui voulaient conserver leur fortune sous le règne futur : le maréchal d'Huxelles, le duc d'Harcourt, le plus redoutable des courtisans pour son esprit; les deux Pontchartrain, le comte de Vaudemont, frère de madame de Lillebonne et fils naturel de Charles IV, ancien gouverneur du Milanais.

A la société de Meudon se rattachait à Paris toute une classe d'hommes appartenant à la noblesse, au parlement, aux lettres ou à l'armée, qui détestaient le joug de madame de Maintenon et rêvaient, sous Monseigneur, un avenir de licence et de plaisirs.

1 V. à ce sujet Saint-Simon, t. V, p. 354-355.

2 V. Dangeau (Lemontey), p. 146, plus tard abbesse de Remiremont, en 1711.

3 Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, duc d'Antin, né en 1665, mort en 1736, gouverneur général de l'Orléanais, l'un des douze grands gouvernements de France, après la mort de sa mère madame de Montespan. V. Dangeau (Lemontey), p. 187-488.

Sans relever deJansénius ou de Calvin, ils flétrissaient les persécutions religieuses et réclamaient pour tous la liberté. La plupart, en haine de la dévotion officielle, affichaient le plus incroyable cynisme de mœurs et de langage. Louis XIV leur jetait le nom dédaigneux de libertins, mais il y avait au fond de ces désordres une pensée qui échappait au roi lui-même. Ils protestaient en riant, mais ils protestaient. Fils de Rabelais et des sceptiques du xvr siècle, pères des philosophes du xvi, ils étaient, si l'on peut ainsi parler, voltairiens avant Voltaire.

Les libertins avaient à Paris plusieurs maisons où ils se réunissaient pour boire et causer en liberté. Leur quartier général était le Temple, où logeait le grand prieur de Vendôme. Là dans les vastes appartements des Templiers, ou sous les berceaux de roses du jardin, venaient l'abbé de Bussy-Rabutin, fils de l'auteur de l'Histoire amoureuse des Gaules, ami du duc d'Orléans, et devenu évêque de Luçon sous la Régence; l'abbé Servien, enfermé plus tard à la Bastille, et célèbre par l'originalité de ses réparties et le scandale de ses mœurs; l'abbé Courtin, vieil ami de Chapelle, homme d'esprit et de goût; l'abbé de Châteauneuf, amant de Ninon et parrain de Voltaire ; le président de Maisons, magistrat riche et mondain ; le chevalier de Bouillon; le duc de Sully; le vieux marquis de Coulanges, l'aimable chansonnier, le cousin de madame de Sévigné, ancien conseiller au Parlement de Paris et qui avait vendu sa charge pour vivre au sein des plaisirs; le poëte épicurien Vergier,

mort assassiné sous la Régence; le duc de Nevers, Philippe Mancini, parent de Vendôme par sa sœur, à la fois neveu de Mazarin et de madame de Montespan, connu alors par des poésies légères, et dont la vie s'était passée dans les aventures et les plaisirs ; les hôtes de Chenonceaux et d'Anet, La Fare, Chaulieu, Campistron, Palaprat, Fontenelle et tous les libres penseurs qui cachaient leurs attaques dans des chansons. Le temps a emporté les noms des autres. Les disciples ont effacé leurs précurseurs 2.

Non loin du Temple se trouvait un autre asile des libres penseurs, la maison de Ninon, récemment fermée par la mort 3. Ninon, belle jusqu'à soixante ans, amie des femmes les plus honnêtes et maîtresse des plus grands hommes du siècle, recevait la plupart des convives du grand prieur et se piquait d'unir les grâces de son sexe avec la liberté du nôtre ", Quelques mois avant sa mort, l'abbé de Châteauneuf, son amant, lui avait présenté le petit Arouet, son filleul, alors âgé de dix ans et qui déjà faisait des

1 Philippe Mancini, né à Rome en 1639, d'une sœur de Mazarin, était l'oncle des Vendôme par sa sœur, Laura Mancini, duchesse de Mercœur, et le neveu de madame de Montespan par sa femme, mademoiselle de Thianges.

2 A cette société du Temple il faut rattacher encore à l'étranger par la communauté des idées: en Angleterre, la société de la belle duchesse de Mazarin, l'historien Saint-Réal (mort en 1692), le spirituel SaintEvremond (1613-1703), et en Hollande, le plus illustre d'entre eux, le grand sceptique Bayle (1677-1706).

3 Ninon venait de mourir le 17 octobre 1705, à quatre-vingt-cinq ans. Elle était née le 10 novembre 1620.

On sait que Ninon disait: Je ne suis qu'un honnête homme.

Voir cependant sur Ninon les commentaires de M. Paulin Paris, édition de Tallemant des Réaux, t. VI, p. 20.

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