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après une longue agonie: sans qu'un signe de compassion sortit de la foule, qui suivait avec la plus avide curiosité les moindres circonstances du supplice.

Après les chefs vinrent les soldats. Bâville accorda la vie au seul dénonciateur, puis il frappa sans pitié. L'hôte des camisards, Alison, fut condamné à la roue, ses biens confisqués et sa maison, qui devait d'abord être démolie, et qui était l'une des plus belles de Nimes, ne fut épargnée que parce qu'elle n'était pas entièrement payée. L'armurier Jacques Rougier, qui avait vendu des fusils aux conjurés, fut pendu. Un hôtelier de Nîmes, celui de la Coupe d'or, fut pendu comme Rougier pour avoir logé deux chevaux qui appartenaient aux Camisards '. L'impitoyable Berwick battit de nouveau les Cévennes et ramena des bandes de prisonniers; Bâville les remit à ses juges, et les échafauds se dressèrent à la fois à Uzès, à Nimes et à Montpellier. Il est difficile d'évaluer le nombre des victimes, mais il fut considérable. A force d'exécutions, dit froidement Berwick, en un mois de temps le calme fut rétabli 2. Le feu, la corde ou la roue firent disparaître tous ceux qui étaient soup

impatience! « Telle fut, dit Louvreleuil, la détestable fin de ces quatre brigands.... Ils allèrent où va le chemin qu'ils avoient pris, ils furent payés du maître qu'ils avoient servi, je veux dire qu'ils tombèrent entre les mains du démon, qui paya de ses noires fureurs, de ses tisons ardents et de ses cruautés éternelles l'obéissance qu'ils avoient rendue à ses suggestions criminelles. »>

1 Peyrat, t. II, p. 310.

• Mémoires de Berwick,

çonnés d'avoir caché ou servi les protestants. Un vieillard de quatre-vingts ans, Pierre Régis de Tornac, fut condamné à mort et exécuté pour avoir acquitté des lettres de change dont l'argent devait être remis aux Camisards 1. Ceux qui parurent les moins coupables furent ensevelis dans les galères ou les prisons. Tous ces condamnés moururent comme leurs devanciers, priant sur la roue et chantant au milieu des flammes 2.

Mais de tous ces supplices, celui de M. Laurens Boëton, de Saint-Laurent d'Aigouzes, bourgeois âgé, riche et allié aux meilleures familles du pays, et compromis dans ce complot, frappa surtout les esprits. Boëton était un brave et excellent officier, parvenu jusqu'au grade de capitaine, dont la révocation de l'édit de Nantes avait brisé la carrière. Depuis lors, il avait vécu dans ses terres ; quelques paroles imprudentes l'avaient fait arrêter, et il n'était sorti de prison que pour préparer sa vengeance. Lors du soulèvement de Cavalier, il avait pris les armes; il avait été assiégé dans son château par une division catholique, et il s'était défendu avec une telle vigueur, que Bâville lui avait offert une capitulation qui, contrairement aux usages de cette guerre, fut scrupuleusement observée. Boëton n'en était pas

1 Court, t. III, p. 204.

• Tous ces scélérats moururent avec une intrépidité surprenante. » Relation catholique du temps, citée par Court, t. III, p. 216.

3 Il était né près d'Aigues-Mortes et habitait à Milhaud, dans le Rouergue.

resté moins fervent : il avait été l'un des principaux conseillers du complot, et il attendait chez lui, à Milhaud, le moment de prendre les armes, quand sa maison fut entourée par une compagnie de soldats commandée par le baron de Saint-Chaptes, marié à l'une de ses cousines germaines. On le conduisit à Nîmes, puis à la citadelle de Montpellier, où s'instruisit son procès. Il souffrit la torture avec un si admirable courage, que Bâville s'oublia jusqu'à insulter le malheureux patient 1. Il fut condamné à la roue et mené au supplice; durant le trajet, malgré le bruit des tambours, il ne cessa d'exhorter les spectateurs, dont plusieurs fondaient en larmes, à ◄ persévérer dans la communion de Jésus-Christ. » Deux religieux placés à ses côtés le pressaient d'abjurer, en lui offrant sa grâce au nom du roi; il dédaigna de leur répondre et se contenta de lever les yeux au ciel comme pour lui demander la grâce de le délivrer de leurs obsessions. Un de ses amis, qui se trouvait sur son passage, fut saisi d'une douleur si profonde qu'il se jeta en pleurant dans une boutique, pour éviter sa rencontre. Boëton l'aperçut et demanda la permission de lui parler; l'ayant obtenue: « Mon ami, lui dit-il, pourquoi me fuyez-vous, parce que vous me voyez couvert des livrées de Jésus-Christ? Pourquoi pleurez-vous, quand il me fait la grâce de m'appeler à lui et de sceller de mon sang la défense de sa cause?» Son ami, étouffé par

! Court, t. III, p. 211-216.

les sanglots, ne pouvait répondre, et il se précipitait pour l'embrasser, mais les soldats le repoussant emmenèrent Boëton. Du plus loin qu'il aperçut l'échafaud dressé sur l'esplanade, il s'écria : « Courage, mon âme, je vois le lieu de ton triomphe! Bientôt dégagée de tes liens douloureux, tu monteras vers le ciel. Il marcha ensuite au supplice avec un visage serein et la plus tranquille assurance, tandis que tous les spectateurs, catholiques ou protestants, éclataient en sanglots. Il les consola avec une douce fermeté et s'étendit lui-même sur la roue en faisant ses prières. Il y reçut les coups de barre de fer sans pousser un seul cri. Le bourreau, lui ayant rompu tous les membres, l'attacha sur la roue, les bras et les jambes passés sous le corps et la tête en bas, Pendant cinq heures il demeura ainsi, le corps mutilé, couvert de sang, et, durant cette épouvantable agonie, il ne cessa de chanter des psaumes. Bâville, témoin de ce long martyre, enjoignit alors au bourreau de l'achever. Un archer s'étant écrié qu'il fallait attendre la mort, puisqu'il ne voulait point renier ses erreurs, Boëton lui dit doucement : « Vous croyez, mon ami, que je souffre et je souffre en effet; mais sachez que celui qui est avec moi me donne la force de supporter avec joie mes souffrances. » Comme le bourreau s'approchait pour exécuter les ordres de Bâville, Boëton releva la tête et essaya de parler une dernière fois, cherchant à dominer le bruit des tambours, qui n'avaient pas cessé de battre. Après avoir recueilli toutes ses forces, il prononça

avec ferveur ces dernières paroles : « Mes frères bien-aimés, que ma mort vous soit un exemple, pour soutenir la pureté de l'Evangile, et soyez les fidèles témoins que je meurs dans la religion de Jésus-Christ et de ses saints apôtres. » Quelques instants après, au moment où le bourreau s'apprêtait à lui donner le coup de grâce, il rendit le dernier soupir 1.

Loin d'effrayer les protestants, cette exécution ne servit qu'à les raffermir dans leurs croyances. Ils rejoignirent leur demeure en pleurant Boëton et en célébrant l'héroïsme de sa fin. Les catholiques humains déplorèrent eux-mêmes la rigueur si longue, si raffinée et si froidement implacable d'un pareil supplice, tellement contraire à l'esprit de Dieu. Les plus éclairés s'élevaient contre la cruelle maxime de Machiavel qui semblait inspirer cette conduite : qu'un prince ne doit point se soucier du reproche de cruauté quand il s'agit de contenir ses sujets dans le devoir. Ils attribuaient avec raison les soulèvements continuels des protestants aux continuelles persécutions de Louis XIV, et ils ajoutaient qu'une semblable intolérance avait mis l'Autriche à deux doigts de sa perte, et précipité la ruine de l'Espagne. Telle était l'exaspération des esprits qu'il parut un livre intitulé la Loi du talion, où l'on établissait que le seul moyen d'arrêter en France les persécutions était de frapper les catholiques des États protestants, et pour chaque protestant français mis à mort de tuer un catholique

Court, t. III, p. 204.

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