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parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller querir justice et faire donner la question à toute ma maison à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là? de celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde; et, si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE PREMIÈRE: HARPAGON, LE COMMISSAIRE, SON CLERC.

LE COMMISSAIRE.

Laissez-moi faire, je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de personnes.

HARPAGON. Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main; et, si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de la justice.

LE COMMISSAIRE. - Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait dans cette cassette ?

HARPAGON. - Dix mille écus bien comptés.

LE COMMISSAIRE. — Dix mille écus ?

HARPAGON. Dix mille écus.

LE COMMISSAIRE. Le vol est considérable.

HARPAGON.

Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime; et, s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté.

LE COMMISSAIRE. En quelles espèces était cette somme ? HARPAGON. - En bons louis d'or et pistoles bien trébuchantes. LE COMMISSAIRE. Qui soupçonnez-vous de ce vol ?

HARPAGON. Tout le monde ; et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et les faubourgs.

1. Querir: chercher.

LE COMMISSAIRE. Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne, et tâcher doucement d'attraper quelques preuves, afin de procéder après, par la rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris.

SCÈNE II: MAITRE JACQUES, HARPAGON,
LE COMMISSAIRE, SON CLERC.

MAITRE JACQUES, au bout du théâtre, en se retournant du côté dont il sort. Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure, qu'on me lui fasse griller les pieds, qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et qu'on me le pende au plancher.

HARRAGON. - Qui ? celui qui m'a dérobé ?

MAITRE JACQUES. Je parle d'un cochon de lait que votre intendant vient d'envoyer, et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie.

HARPAGON.

Il n'est pas question de cela, et voilà monsieur

à qui il faut parler d'autre chose.

LE COMMISSAIRE. Ne vous épouvantez point. Je suis homme à ne vous point scandaliser, et les choses iront dans la douceur.

MAITRE JACQUES.

LE COMMISSAIRE.

à votre maître.

MAITRE JACQUES.

Monsieur est de votre souper ?

Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher

Ma foi, monsieur, je montrerai tout ce

que je sais faire, et je vous traiterai du mieux qu'il me sera possible.

HARPAGON. - Ce n'est pas là l'affaire.

MAITRE JACQUES. Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la faute de monsieur notre intendant, qui m'a rogné les ailes avec les ciseaux de son économie.

HARPAGON. Traître, il s'agit d'autre chose que de souper, et je veux que tu me dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris.

MAITRE JACQUES. On vous a pris de l'argent ?

HARPAGON.

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Oui, coquin! et je m'en vais te faire pendre si tu ne me le rends.

LE COMMISSAIRE.

Mon Dieu, ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête homme, et que, sans se faire mettre en prison, il nous découvrira ce que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose, il ne vous sera fait aucun mal et vous serez récompensé comme il faut par votre maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.

MAITRE JACQUES, à part. Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant depuis qu'il est entré

céans 1, il est le favori, on n'écoute que ses conseils; et j'ai aussi sur le cœur les coups de bâton de tantôt.

HARPAGON.

Qu'as-tu à ruminer ?

LE COMMISSAIRE. Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter, et je vous ai bien dit qu'il était honnête homme.

MAITRE JACQUES. Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que c'est monsieur votre cher intendant qui a fait le coup.

HARPAGON.

Valère ?

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MAITRE JACQUES.

LE COMMISSAIRE.

que vous avez.

HARPAGON.

mon argent ?

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L'as-tu vu rôder autour du lieu où j'avais mis

MAITRE JACQUES.

Oui, vraiment. Où était-il votre argent? HARPAGON. Dans le jardin.

-

MAITRE JACQUES. Justement. Je l'ai vu rôder dans le jardin. Et dans quoi est-ce que cet argent était ?

HARPAGON. Dans une cassette.

MAITRE JACQUES. Voilà l'affaire. Je lui ai vu une cassette. HARPAGON. Et cette cassette, comment est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la mienne.

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LE COMMISSAIRE. Cela s'entend. Mais dépeignez-la un peu, pour voir.

MAITRE JACQUES.

HARPAGON,

C'est une grande cassette.

Celle qu'on m'a volée est petite.

MAITRE JACQUES. Eh oui elle est petite, si on le veut prendre par là; mais je l'appelle grande pour ce qu'elle contient. Et de quelle couleur est-elle ? De quelle couleur ?

LE COMMISSAIRE.

MAÎTRE JACQUES.

LE COMMISSAIRE.

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1. Céans: ici, dans la maison.

MAITRE JACQUES.

· Elle est de couleur... là, d'une certaine couleur... Ne sauriez-vous m'aider à dire ?

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MAITRE JACQUES. N'est-elle pas rouge?
HARPAGON. Non, grise.

MAITRE JACQUES. Eh oui, gris-rouge; c'est ce que je voulais dire.

HARPAGON. Il n'y a point de doute. C'est elle assurément. Ecrivez, monsieur, écrivez sa déposition. Ciel! à qui désormais se fier? Il ne faut plus jurer de rien ;, et je crois, après cela, que je suis homme à me voler moi-même.

MAITRE JACQUES.

allez

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Monsieur, le voici qui revient. Ne lui pas dire au moins que c'est moi qui vous ai découvert cela.

SCÈNE III: VALÈRE, HARPAGON, LE COMMISSAIRE, SON CLERC, MAITRE JACQUES.

HARPAGON.

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Approche. Viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus horrible qui jamais ait été commis. VALÈRE. Que voulez-vous, monsieur ?

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Comment, traître, tu ne rougis pas de ton

VALÈRE. - De quel crime voulez-vous donc parler ?

HARPAGON. De quel crime je veux parler, infâme ! comme si tu ne savais pas ce que je veux dire! C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser : l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment! abuser ainsi de ma bonté et s'introduire exprès chez moi pour me trahir, pour me jouer un tour de cette nature!

VALÈRE. Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours et vous nier la chose.

MAITRE JACQUES, à part.

y penser ? VALÈRE.

Oh! oh! Aurais-je deviné sans

C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre pour cela des conjonctures 1 favorables; mais puisqu'il est ainsi, je vous conjure de ne vous point fâcher et de vouloir entendre mes raisons.

HARPAGON. Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infâme ?

VALÈRE.

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Ah! monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous; mais, après tout, ma faute est pardonnable.

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Comment, pardonnable? Un guet-apens, un

assassinat de la sorte ?

1. Conjonctures circonstances.

VALÈRE.

De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites.

HARPAGON.

Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi !

mon sang, mes entrailles, pendard !

VALÈRE. Votre sang, monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point faire de tort, et il n'y a rien en tout ceci que je ne puisse bien réparer. HARPAGON. C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi.

VALÈRE. — Votre honneur, monsieur, sera pleinement satisfait. - Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais,

HARPAGON.

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dis-moi, qui t'a porté à cette action?

VALÈRE. Hélas! me le demandez-vous ?

HARPAGON.

Oui, vraiment, je te le demande.

VALÈRE. Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire l'Amour. :

HARPAGON.

VALÈRE.

HARPAGON. louis d'or!

L'Amour ?

Oui.

Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes

VALÈRE. Non, monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce n'est pas cela qui m'a ébloui, et je proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai.

HARPAGON. Non ferai, de par tous les diables! je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait !

VALÈRE. Appelez-vous cela un vol?

HARPAGON. - Si je l'appelle un vol ! un trésor comme celui-là ! VALÈRE. C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes; et, pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez. HARPAGON. Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ?

VALÈRE.

Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner.

HARPAGON. Le serment est admirable, et la promesse plaisante!

VALÈRE. Qui, nous nous sommes engagés l'un et l'autre à jamais.

HARPAGON.

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Je vous en empêcherai bien, je vous assure.

VALÈRE. Rien que la mort ne nous peut séparer. C'est être bien endiablé après mon argent. Je vous ai déjà dit, monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon cœur

HARPAGON.
VALÈRE.

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