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de me commettre 1. Si tu avais senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure, je te l'aurais fait épouser, au lieu de moi; mais, cela n'étant pas, je suivrai mon premier dessein, et je l'épouserai moi-même.

CLEANTE. Eh bien, mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon cœur, il faut vous révéler notre secret. La vérité est que je l'aime depuis un jour que je la vis dans une promenade; que mon dessein était tantôt de vous la demander pour femme, et que rien ne m'a retenu que la déclaration de vos sentiments et la crainte de vous déplaire.

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HARPAGON.

CLÉANTE.

Beaucoup de fois ?

Assez pour le temps qu'il y a.

HARPAGON. - Vous a-t-on bien

CLÉANTE.

reçu ?

Fort bien, mais sans savoir qui j'étais, et c'est

ce qui a fait tantôt la surprise de Mariane.

HARPAGON.

Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de l'épouser ?

CLÉANTE. Sans doute, et même j'en avais fait à sa mère quelque peu d'ouverture.

HARPAGON.

A-t-elle écouté, pour sa fille, votre proposition?

CLÉANTE. - Oui, fort civilement.

HARPAGON.
CLÉANTE.

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Et la fille correspond-elle fort à votre amour ? Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu'elle a quelque bonté pour moi.

HARPAGON, bas, à part. Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret, et voilà justement ce que je demandais. (Haut.) Oh! sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? C'est qu'il faut songer, s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi, et à vous marier dans peu avec celle qu'on vous destine. CLÉANTE. Oui, mon père, c'est ainsi que vous me jouez! Eh bien, puisque les choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j'ai pour Mariane; qu'il n'y a point d'extrémité où je ne m'abandonne pour vous disputer sa conquête, et que, si vous avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours peut-être qui combattront pour moi.

HARPAGON. mes brisées ?

CLÉANTE.

Comment, pendard! tu as l'audace d'aller sur

C'est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.

HARPAGON. Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas respect?

1. Auxquelles je ne voudrais pas m'exposer.

CLÉANTE. Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de déférer aux pères, et l'amour ne connaît personne.

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HARPAGON. Donnez-moi un bâton tout à l'heure.

SCÈNE IV: MAITRE JACQUES, HARPAGON, CLÉANTE.

MAITRE JACQUES. Eh eh eh messieurs, qu'est ceci ? à quoi songez-vous ?

CLEANTE. Je me moque de cela.

MAITRE JACQUES, à Cléante.

Ah! monsieur, doucement.

HARPAGON. Me parler avec cette impudence!

MAITRE JACQUES, à Harpagon. Ah! monsieur, de grâce. CLEANTE. Je n'en démordrai point.

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HARPAGON.

Hé quoi ! à votre père ?

Hé quoi! à votre fils?

- Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j'ai raison.

MAITRE JACQUES. - J'y consens. ( A Cléante.) Eloignez-vous un peu.

HARPAGON. J'aime une fille que je veux épouser; et le pendard a l'insolence de l'aimer avec moi et d'y prétendre malgré mes ordres.

MAITRE JACQUES. Ah! il a tort.

HARPAGON.

N'est-ce pas une chose épouvantable qu'un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s'abstenir de toucher à mes inclinations ?

MAITRE JACQUES. Vous avez raison. Laissez-moi lui parler et demeurez là.

(Il vient trouver Cléante à l'autre bout du théâtre.) CLEANTE.

- Eh bien, oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point; il ne m'importe qui ce soit, et je veux bien aussi me rapporter à toi, maître Jacques, de notre différend. MAITRE JACQUES. C'est beaucoup d'honneur que vous me

faites.

CLÉANTE. Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes vœux et reçoit tendrement les offres de ma foi, et mon père s'avise de venir troubler notre amour par la demande qu'il en fait faire.

MAITRE JACQUES.

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Il a tort assurément.

CLÉANTE. N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier? Lui sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ?

MAITRE JACQUES. Vous avez raison, il se moque. Laissezmoi lui dire deux mots. (Il revient à Harpagon.) Eh bien, votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit, qu'il ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites et lui donner quelque personne en mariage dont il ait lieu d'être content.

HARPAGON. Ah! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu'il voudra.

MAITRE JACQUES. - Laissez-moi faire. (Il va au fils.) Eh bien, votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites, et il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère; qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur et lui rendre les déférences, les respects et les soumissions qu'un fils doit à son père.

CLÉANTE.

Ah! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés.

MAITRE JACQUES, à Harpagon. Cela est fait. Il consent à. ce que vous dites.

HARPAGON.

Voilà qui va le mieux du monde.

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MAITRE JACQUES, à Cléante. Tout est conclu. Il est content de vos promesses.

CLÉANTE. Le ciel en soit loué !

MAITRE JACQUES.

Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble; vous voilà d'accord maintenant, et vous alliez vous quereller faute de vous entendre.

CLÉANTE. Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.

MAITRE JACQUES.

Il n'y a pas de quoi, monsieur.

HARPAGON. Tu m'as fait plaisir, maître Jacques, et cela mérite une récompense. Va, je m'en souviendrai, je t'assure. (Il tire son mouchoir de sa poche, ce qui fait croire à maître Jacques qu'il va lui donner quelque chose.)

MAITRE JACQUES. Je vous baise les mains.

SCÈNE V CLÉANTE, HARPAGON.

CLÉANTE. Je vous demande pardon, mon père, de l'emportement que j'ai fait paraître.

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Cela n'est rien.

Je vous assure que j'en ai tous les regrets du

HARPAGON. Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.

CLÉANTE.

HARPAGON.

Quelle bonté à vous d'oublier si vite ma faute !

On oublie aisément les fautes des enfants,

lorsqu'ils rentrent dans leur devoir.

CLÉANTE.

Quoi ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?

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HARPAGON. C'est une chose où tu m'obliges par la soumission et le respect où tu te ranges.

CLÉANTE. Je vous promets, mon père, que jusques au tombeau je conserverai dans mon cœur le souvenir de vos bontés. Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose que de moi tu n'obtiennes.

HARPAGON.

CLÉANTE.

Ah! mon père, je ne vous demande plus rien, et c'est m'avoir assez donné que de me donner Mariane. HARPAGON. Comment ?

CLÉANTE.

Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous avez de m'accorder Mariane.

HARPAGON.
CLÉANTE.

HARPAGON.

Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ? Vous, mon père.

Moi ?

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Comment! c'est toi qui as promis d'y renoncer. Moi, y renoncer?

Oui.

Point du tout.

1

Tu ne t'es pas départi 1 d'y prétendre ?

Au contraire, j'y suis porté plus que jamais.
Quoi! pendard, derechef??

CLÉANTE. Rien ne peut me changer.

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CLÉANTE. - Faites tout ce qu'il vous plaira.

HARPAGON.

- Je te défends de me jamais voir.

1. Tu ne t'es pas départi : tu n'as pas renoncé. -2. Derechef: de nouveau,

encore!

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LA FLÈCHE, Sortant du jardin avec une cassette. que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.

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Qu'y a-t-il ?

Ah! monsieur,

Suivez-moi, vous dis-je, nous sommes bien. Comment ?

- Voici votre affaire.

Quoi ?

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J'ai guigné ceci tout le jour.

Qu'est-ce que c'est ?

Le trésor de votre père, que j'ai attrapé.
Comment as-tu fait ?

Vous saurez tout. Sauvons-nous, je l'entends

SCÈNE VII: HARPAGON.

HARPAGON. (I' crie au voleur dès le jardin, et vient sans chapeau.) Au voleur au voleur ! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste ciel Je suis perdu, je suis assassiné! on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon argent ! Qui peut-ce être ? Qu'est-il devenu? où est-il ? où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir? où ne pas courir? N'est-il point là ? n'est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête! Rends-moi mon argent, coquin!... (Il se prend lui-même le bras.) Ah! c'est moi. Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi! Et, puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support. ma consolation, ma joie; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré! N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Euh! que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je

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